Une équipe internationale de scientifiques, incluant des virologues américains et chinois, a publié le 31 mai 2020 une analyse génétique systématique de tous les connus chez les chauves-souris chinoises pour retracer l’origine du nouveau coronavirus. Ils observent la grande variété de ces virus dans le sud et le sud-ouest de la Chine et appellent à une surveillance plus étroite des virus de chauves-souris dans la région et à un changement du comportement humain, afin de réduire les risques de futures pandémies.
Cette recherche avait été soutenue à travers une subvention américaine de 3 millions de dollars attribuée à EcoHealth Alliance, une organisation à but non lucratif, mais cette subvention a récemment été annulée par les National Institutes of Health (NIH). Trente et une sociétés scientifiques américaines ont signé une lettre de protestation le 20 mai, suivie d’un courrier signé de 77 lauréats du prix Nobel, adressés aux NIH et au Ministère de la Santé et des Services Sociaux afin de demander une enquête sur l’arrêt de cette subvention.
Le débat quant à l’origine de la COVID-19 se polarise aux Etats-Unis. Les affirmations du président américain Donald Trump ou du secrétaire d’Etat Mike Pompeo sont contredites par la communauté scientifique américaine qui exclut la thèse d’un virus manipulé par l’homme, et juge peu probable une fuite d’un laboratoire. La grande majorité des déclarations et des publications des experts et des institutions de recherche américains soutiennent très largement l’hypothèse de l’émergence d’un virus d’origine naturelle ayant muté pour devenir compatible avec l’homme.
Enfin, les recherches en cours permettent d’alimenter le débat concernant l’origine et l’émergence de cette nouvelle zoonose. Deux experts interrogés mettent en perspective l’émergence de ce champ de recherche à l’interface entre environnement et changement climatique ainsi que ses perspectives futures.
Les scientifiques américains s’accordent sur l’origine naturelle du SARS-COV-2 ainsi que sur ses liens avec les changements environnementaux
Les coronavirus (sous-famille des Orthocoronavirinae, famille des Coronaviridae) sont classés en quatre genres : Alphacoronavirus, Betacoronavirus, Gammacoronavirus et le Deltacoronavirus. Les deux premiers genres sont généralement suspectés de provenir de chauves-souris, alors que les deux derniers sont censés provenir des oiseaux selon un article de chercheurs du Department of Epidemiology, University of North Carolina à Chapel Hill publié dans Nature Reviews.
L’identification des coronavirus du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) en 2003 a relancé la recherche sur ces virus. La recherche chez les animaux sauvages a conduit à la découverte de la plus grande diversité de coronavirus chez les chauves-souris, ce qui suggère que ces animaux en sont des réservoirs naturels (elles sont porteuses d’environ 60 virus connus pour infecter les humains) et donc peuvent être des responsables possibles des zoonoses associées. Animaux discrets, les chauve-souris sont souvent méconnues du grand public alors qu’elles jouent un rôle important pour la maintenance et l’amélioration de la santé des écosystèmes (dont la pollinisation, dispersion des graines et consommation de nombreux insectes) comme le rappelait Merlin Tuttle de l’université d’UT Austin -revendiquant plus de 60 années d’expertise sur les chauve-souris- lors sa visioconférence du 27 mai: Are Bats Really to Blame for the COVID-19 Pandemic?
Cette nouvelle zoonose serait la conséquence du bouleversement de nos écosystèmes et du rapprochement des espèces sauvages, domestiques, et des humains. Aux Etats-Unis comme en France, nombreux sont les scientifiques soulignant les liens complexes entre la pression anthropique exercée sur les écosystèmes et l’émergence de nouvelles maladies infectieuses, notamment des zoonoses.
Le rôle de la déforestation et du changement d’usage des sols
Le lien entre disparition d’espèces animales type grands mammifères, mais aussi de la biodiversité en général, du fait de la perturbation des écosystèmes par l’urbanisation croissante, et la modification des schémas de propagation des zoonoses est mis en avant par de très nombreux scientifiques, comme ceux de la School of Informatics, Computing and Cyber Systems (Northern Arizona University), ou du One Health Institute de UC Davis. Il a été constaté que de fortes atteintes à la biodiversité, notamment par le changement d’usage des sols convertis à la monoculture, ou le développement d’infrastructures par exemple, ont des conséquences sur l’état de populations de certaines espèces réservoirs de pathogènes.
Ce constat est également partagé par les nombreux experts (notamment de Boston University, Portland State University et University of Wisconsin-Madison) à l’origine d’un article dans Biology Conservation. Ils établissent une corrélation entre l’augmentation des modifications humaines des systèmes naturels et la multiplication récente de nouveaux “fléaux de notre temps” (Ebola, Nipah, SRAS, H5N1, Sida et autres). De nombreux articles publiés en ce début d’année 2020 dans la revue Royal Society par des scientifiques du EcoHealth Institute et de UC Davis, ou signés par des chercheurs de Stanford, de l’University of Minnesota, ou encore de l’University of Maryland, lient précisément la déforestation et la fragmentation des habitats animaux dans les zones rurales à l’augmentation du nombre de zoonoses, sans pouvoir la quantifier précisément. Des experts de Emory University (Géorgie), University of Notre Dame (Indiana), et de Stanford, suggèrent qu’en présence d’un nombre réduit d’hôtes animaux (suite à la diminution de la biodiversité), les pathogènes finissent par contaminer les humains et les animaux domestiques, par réduction de l’effet de dilution. Ils soulignent que les zones géographiques où les grands mammifères ont le plus perdu leur mobilité du fait du changement d’usage des sols (déforestation notamment) correspondent aux zones préférentielles de transmission aux êtres humains de maladies comme Ebola.
Ces dégradations des systèmes naturels augmentent les contacts entre espèces sauvages, animaux d’élevages et humains, par réorganisation des communautés écologiques et changements comportementaux notamment (par exemple le déplacement des habitats de chauve-souris à proximité de plantations destinées à la consommation humaine). Certaines espèces de mammifères peuvent constituer des réservoirs latents de virus (selon le One Health Institute de UC Davis, ainsi que selon des chercheurs de Stanford, l’USDA et d’autres universités américaines), et contribuer ainsi à la transmission à l’homme. L’expert en chiroptères Merlin Tuttle soutient aussi que, quel que soit l’hôte intermédiaire, le vrai problème est l’activité humaine, théorie soutenue par ailleurs par Jonathan Epstein, chercheur à EcoHealth Alliance. Leah Gerber, directrice du Center for Biodiversity Outcomes, met en avant deux éléments centraux dans la stratégie de lutte contre la prochaine pandémie : la présence disproportionnée des humains dans la nature et la destruction de la biodiversité.
Pour sa part, M. Sanjayan, PDG de Conservation International affirme que « même si nous ne connaîtrons peut-être jamais la chaîne exacte de transmission du SARS CoV-2 de la chauve-souris à l’homme, nous savons que l’accroissement de notre utilisation des terres est le principal facteur de propagation des maladies émergentes. Au cours de ces dernières décennies, les populations d’animaux sauvages ont connu un déclin catastrophique et, dans le même temps, les maladies infectieuses ont quadruplé. » Le Dr. Benjamin Chapman de la North Carolina State University suppose aussi que la véritable origine du virus ne sera probablement jamais découverte.
Le rôle de l’élevage
De façon générale, les conditions d’élevage industriel sont favorables à certains pathogènes, comme le souligne Richard Ostfeld (Cary Institute of Ecosystem Studies, New York). Des scientifiques des NIH montrent que les populations de bétail et de volaille ont augmenté exponentiellement au cours des dernières décennies, constituant de grandes concentrations d’animaux plus sensibles aux épidémies. Aux Etats-Unis et à l’échelle globale, la majorité de la viande consommée est issue d’exploitations d’élevage intensif. Krissy Kasserman, spécialiste en gestion de l’élevage industriel à Food & Water Watch (organisation militante issue de la société civile), maintient que les élevages industriels ont déjà été par le passé les épicentres d’épidémies (grippe aviaire ou porcine par exemple). Le risque de contamination est particulièrement grand pour l’élevage de volailles, qui témoigne non seulement de densités propices à la propagation d’épidémies (en moyenne 800 000 animaux par élevage), mais aussi d’une population animale au système immunitaire affaibli par, entre autres, la prise d’antibiotiques (les bactéries résistantes aux antibiotiques constituent une source majeure de maladies émergentes selon Richard Ostfeld). Cette observation amène à se questionner sur le rôle des fermes industrielles dans la propagation des zoonoses à grande échelle. Plusieurs sénateurs, dont Elizabeth Warren, ont déposé début mai un projet de loi, le Farm System Reform Act, proposant la mise en place d’un moratoire sur la construction de nouvelles exploitations d’élevage intensif aux États-Unis. Bob Martin, directeur en politiques des systèmes alimentaires au Johns Hopkins Center for a Livable Future, insiste sur la très forte probabilité d’émergence d’une nouvelle forme d’épidémie de grippe issue de l’élevage industriel, s’appuyant sur les résultats d’une étude menée entre 2005 et 2008 par la Commission Nationale sur la Production Industrielle d’Animaux de Ferme. Ce risque est aussi pointé par Leah Gerber (Arizona State University).
Le rôle du trafic de faune sauvage et des wet markets
Le trafic de faune sauvage à l’international tel que celui du pangolin, mais aussi sa vente dans les “wet markets” en Chine, est aussi identifié comme le facteur à l’origine de la propagation du SARS-CoV-2 par David Quammen, scientifique et auteur américain diplômé de Yales et Oxford, ayant publié Spillover en 2012, qui avait anticipé la pandémie à venir. Richard Ostfeld, déjà cité, souligne que le déplacement d’espèces sauvages engendré par le commerce illégal crée de nouvelles communautés animales et augmente le risque de propagation de maladies et d’émergence de zoonoses. L’étude des scientifiques de UC Davis conclut que le rapprochement entre humains et faune sauvage lié au trafic et à la consommation de bushmeat est certainement la cause de la contagion. Finalement, le Congressional Research Service, dans un document publié le 6 avril 2020, reconnaît la même chose, explicitant que “le SARS-CoV-2 fait partie des zoonoses probablement liées au commerce illégal de faune sauvage”. Le Service insiste sur la nécessité pour le Congrès de prendre les mesures nécessaires à la réduction de ce trafic.
En mai dernier, Anthony Fauci, membre de la task-force COVID-19 à la Maison Blanche, a lancé un appel à l’interdiction globale des wet markets. Les scientifiques à l’origine de l’article de Conservation Biology, cité plus haut, soutiennent aussi la mise en place d’un accord global contraignant et permanent mettant fin au commerce d’animaux sauvages.
Le rôle du changement climatique et de sa pression grandissante sur les écosystèmes
La Harvard School of Public Health explique sur son site officiel qu’il n’existe à l’heure actuelle pas de lien direct prouvé entre changement climatique et prévalence du COVID-19. Il est néanmoins reconnu que localement, les modifications du climat de certaines zones géographiques entraînent le déplacement de populations animales. Des espèces qui n’étaient originellement pas en contact se rencontrent, créant des opportunités d’infection de nouveaux hôtes par les pathogènes.
Par ailleurs, des études de la Stanford Medical School ont établi un lien de corrélation positive entre le changement climatique et le développement croissant des pandémies. Elles expliquent que le changement climatique est à l’origine d’un allongement des saisons qui influence la distribution géographique (altitudinale et latitudinale) de certaines espèces de moustiques vecteurs de maladies infectieuses comme la malaria. Sur le passage de maladies fongiques à l’espèce humaine, Arturo Casadevall, Chaire en microbiologie moléculaire et immunologie de la Johns Hopkins Bloomberg School of Public Health (Baltimore), explique que chaque nouvelle vague de chaleur extrême favoriserait le développement de champignons à même de franchir la barrière thermique du corps humain (qui contribue actuellement à nos défenses immunitaires).
Rachel Nethery, Xiao Wu, Francesca Dominici et leurs collègues de Harvard Chan invoquent quant à eux certaines conséquences du changement climatique comme la dégradation de la qualité de l’air pour expliquer l’aggravation de la prévalence et de la sévérité de maladies respiratoires comme la COVID-19. Leur recherche montre que les personnes vivant dans des environnements pollués sont plus susceptibles de mourir du virus. Les liens entre multiplication d’infrastructures humaines et d’activités de construction et prévalence de maladies respiratoires sont aussi mis en avant par des experts de Stanford dans un article de mars 2020.
Cette discipline scientifique se structure mais ne bénéficie pas d’un soutien comparable à la recherche antivirale ou vaccinale.
Un champ de recherche transversal aux origines scientifiques très diversifiées en cours de structuration
Une étude bibliométrique croisée entre les bases Lens et Web of Science analysant les activités de recherche américaine à l’interface de la santé et des impacts environnementaux d’origine anthropique montre que cette thématique, apparue dans les années 1990, n’a pas particulièrement connu de sursaut d’intérêt dans le présent contexte de la crise COVID-19. Et ce, même si certaines publications alertaient déjà sur les risques pandémiques suite aux changements d’utilisation des sols.
Ces dernières années, le volume des recherches américaines sur le sujet des coronavirus se situe entre 150 à 250 articles publiés par an jusqu’à 2019 (et plus de 590 à ce jour pour 2020). En particulier, une étude américaine coordonnée par l’University of California Davis déplore le peu de recherches sur les chauve-souris qui ne représentaient -avant la pandémie- que 6% des séquences analysées dans la base de données GenBank des National Institutes of Health (NIH), malgré leur rôle de réservoir et d’acteurs clés dans la diversité des coronavirus. Le manque de données de vingt pays très sensibles (hotspots) en Afrique centrale, Amérique latine et Asie (Chine, Indonésie, Laos, Malaisie, Népal, Thaïlande, Vietnam) était également souligné. La recherche classée comme Environmental Health a été la plus prolifique, même si ce terme n’est pas encore complètement défini scientifiquement. Le professeur Jonathan Patz, directeur du Global Health Institute et professeur à University of Wisconsin-Madison confirme que ce champ de recherche transversal, portant à la fois sur les questions vétérinaires, médicales, biologiques ou environnementales, profiterait d’une homogénéisation des différentes appellations. En effet, les différentes approches scientifiques ont favorisé l’apparition de divers concepts, telle que la discipline scientifique officialisée par l’OMS Global Health, ou l’initiative Planetary Health Alliance portée par Harvard, l’ONG EcoHealth ou même le mouvement One Health, tous partisans d’une approche systémique de la santé ; cette diversité amenant une certaine confusion dans la diffusion des résultats de ces recherches qui convergent pourtant sur la responsabilité de l’homme.
Pourtant mises en exergue par la crise actuelle, ces recherches n’ont bénéficié d’aucune annonce de grand programme ou de financement exceptionnel.
Malgré la sensibilisation du public et l’intervention de la communauté scientifique sur les liens entre impacts environnementaux d’origine anthropique et émergence de maladies infectieuses, ces champs de recherche n’ont pas bénéficié aux Etats-Unis de nouveaux financements ou de grands programmes dans le contexte pandémique actuel, contrastant significativement avec l’intervention internationale sur la recherche d’un vaccin ou le développement de médicaments antiviraux répondant de façon plus apparente à l’urgence sanitaire. Les NIH ne peuvent en effet financer que des recherches centrées sur les maladies humaines et leur transmission vers l’espèce humaine.
Nuançant ce constat, il importe d’évoquer l’annonce à la mi-mai 2020 d’un projet de loi porté par le sénateur démocrate du Delaware Chris Coons et le sénateur républicain de Caroline du Sud Lindsey Graham portant sur la régulation du commerce des animaux sauvages. Le Global Wildlife Health and Pandemic Prevention Act structurerait un mécanisme d’identification des espèces à risque, qui induirait ensuite un volet diplomatique sanctionnant les pays qui n’agissent pas selon les directives américaines. La phase d’identification des espèces à risque coordonnerait l’action de plusieurs agences américaines telles que le département d’Etat, la banque américaine de développement, les Centers for Disease Control and Prevention, le U.S. Fish and Wildlife Service, le U.S. Geological Survey, le département américain de l’Agriculture, et il dévoile l’attention particulière portée par certains membres du Congrès quant à la prévention de pandémies futures. Les conséquences concrètes de ce projet de loi pour la recherche scientifique restent à évaluer.
Au-delà du contexte pandémique, la communauté scientifique estime que cette thématique corollaire du changement climatique bénéficiera d’un intérêt croissant, même si elle ne bénéficie pas encore pour l’instant d’un soutien institutionnel.
Certains experts se montrent optimistes quant à leurs recherches. En effet, dans un contexte global de changement climatique, les conséquences sur la santé humaine bénéficieront d’une attention croissante. A titre d’illustration, le financement d’une étude sur les liens entre l’étalement de la biodiversité (biodiversity spillover) et des vecteurs de maladies infectieuses, à hauteur de 10 millions de dollars, a été annoncé l’année dernière par la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA). L’implication de la DARPA dans ce type de financements démontre que les maladies infectieuses sont bien considérées comme une menace à la sécurité nationale. La Harvard School of Public Health dénonce la dangereuse illusion d’ignorer la synergie entre changement climatique et santé dans l’établissement des politiques publiques.
Rédacteurs :
Stéphane Raud, Attaché pour la Science et la Technologie – Washington, DC
Renaud Seigneuric, Attaché pour la Science et la Technologie – Houston, Texas
Juliette Paemelaere, Chargée de mission Coopération Scientifique – INRAE – [email protected]
Julien Bolard, Attaché adjoint pour la Science et la Technologie – Washington, DC – [email protected]