Alors que Donald Trump multipliait les annonces optimistes sur le développement d’un vaccin contre le SARS-CoV-2, et que les projets de vaccins se multipliaient dans le cadre de l’opération « Warp speed » qui visait à « fournir, d’ici la fin de l’année, un vaccin à tous les Américains », hormis dans la presse, peu d’éléments filtraient sur les avancées réelles des projets. La plupart étaient financés par la Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), notamment pour les essais cliniques, qui dépend du Health and Human Services (HHS, le ministère de la santé américain) depuis janvier.
L’opération « Warp speed » a été officialisée par la Maison blanche le 15 mai 2020 après avoir été révélée par la presse. Elle a par la suite été élargie à l’ensemble des contre mesures médicales. L’ensemble du soutien américain était géré par une équipe dédiée à la Maison Blanche. Cette dernière n’a pas communiqué officiellement le nom des entreprises qui auraient été sélectionnées pour accélérer le développement et la production des vaccins dans le cadre de cette opération. D’après la presse, il y aurait eu entre 5 et 7 entreprises sélectionnées. Selon le NYT il s’agissait de Moderna, AstraZeneca, Johnson & Johnson, Merck/MSD et Pfizer ; Bloomberg affirmait qu’il y en aurait deux supplémentaires, sans informations plus précises à l’époque. En tout état de cause, l’objectif des autorités américaines était de se donner les moyens de disposer de plusieurs vaccins pouvant couvrir dans un premier temps les personnes en première ligne et les plus fragiles, avant de couvrir l’ensemble de la population.
Cette article propose donc un point de situation sur l’état d’avancement des principaux vaccins qui étaient en phase d’essai clinique aux Etats-Unis au début du mois de juin 2020. Pour mémoire, en 5 mois, depuis la première publication de la séquence du génome du nouveau coronavirus SARS-CoV-2, 12 projets vaccinaux étaient passés au mois de juin en phase d’essais cliniques.
Moderna
Moderna était l’entreprise la plus en vue à ce moment tant parce qu’elle était la plus avancée que par la personnalité de son président, le français Stéphane Bancel. L’histoire de l’entreprise, son rapport aux publications scientifiques et plus tard des accusations de délit d’initiés apparues dans la presse ont entraîné une grande couverture médiatique de cette société [1].
Dès le 29 mai, l’essai de phase III a débuté avec les premières injections de vaccin sur à terme 600 personnes. Cette phase a pour but de tester deux doses du produit sur 300 volontaires dans deux tranches d’âge dont l’une recrutera des personnes de 55 ans ou plus. Au bout d’un mois, les volontaires doivent recevoir une injection de rappel. La phase II devrait être plus rapide que la phase I qui a pris environ deux mois pour recruter 45 volontaires sains. Si l’entreprise continue sur le même calendrier accéléré, l’essai de phase III pourrait débuter en juillet avec entre 10 et 30 000 personnes concernées. Moderna envisageait de demander l’approbation de la FDA pour son vaccin en fin d’année ou au début de l’année 2021.
AstraZeneca en phase clinique
La société britannique AstraZeneca a annoncé le 21 mai 2020 que BARDA s’était engagé pour un maximum d’1,2 Mds USD pour soutenir le développement, la production et la livraison d’un vaccin appelé AZD1222, développé avec le Jenner Institute d’Oxford University. Le programme financé doit comprendre un essai clinique de phase III avec 30 000 personnes aux Etats-Unis (qui devrait débuter à l’été), ainsi qu’un essai chez les enfants. Il s’inscrit dans le cadre de l’opération Warp Speed et a pour objectif de mettre à disposition 100 millions de doses d’un vaccin contre COVID-19 avant novembre, 200 millions d’ici décembre et 300 millions avant janvier 2021.
Le vaccin a d’abord été testé en Angleterre dans le cadre d’un essai de phase I/II sur plus de 1 000 personnes âgés de 18 à 55 ans après que des essais chez le singe aient montré que ces derniers ne présentaient pas de signe clinique après avoir été exposés à une charge virale de SARS-Cov-2 importante. Le gouvernement britannique a fourni 131 M £ pour accélérer son développement et une usine de production ayant la capacité de fabriquer 70 millions de doses de vaccins dans les quatre à six mois suivant l’ouverture du site permanent ouvrira à l’été 2021.
Pfizer et BioNTech aussi en phase d’essai clinique aux Etats-Unis
Pfizer et BioNTech ont annoncé le 5 mai 2020 que les premiers volontaires sains ont été recrutés dans le cadre de l’essai clinique de phase 1/2 visant à tester aux Etats-Unis le candidat vaccin BNT162. L’étude de phase 1/2 est conçue pour déterminer la sécurité, l’immunogénicité et le niveau de dose optimal de quatre candidats vaccins à ARNm, et doit être évaluée dans le cadre d’une étude unique et continue. Les recrutements doivent se faire dans plusieurs centres américains reconnus pour leur capacité à lancer rapidement des essais vaccinaux parmi lesquels – NYU Langone Health avec Mark J. Mulligan, directeur de la division des maladies infectieuses et de l’immunologie et directeur du centre de vaccination, la University of Maryland School of Medicine, Rochester University, et l’hôpital pour enfants de Cincinnati. Pendant la phase de développement clinique, BioNTech prévoyait d’assurer l’approvisionnement clinique du vaccin à partir de ses installations de fabrication d’ARNm certifiées BPF en Europe. En prévision d’un résultat encourageant, Pfizer et BioNTech s’efforcaient d’augmenter la production de vaccin afin de produire des millions de doses de vaccin en 2020, des centaines de millions en 2021. Des sites appartenant à Pfizer dans trois États américains (Massachusetts, Michigan et Missouri) et à Puurs, en Belgique, ont été identifiés comme centres de fabrication pour la production du vaccin COVID-19. Grâce à ses sites de production d’ARNm existants à Mayence et à Idar-Oberstein, en Allemagne, BioNTech prévoyait d’augmenter sa capacité de production afin de fournir des capacités supplémentaires pour un approvisionnement mondial du vaccin potentiel.
Johnson & Johnson comptait y arriver en septembre
Johnson & Johnson et BARDA devaient engager en commun plus d’un milliard de dollars dans la recherche et le développement d’un nouveau vaccin contre le coronavirus, Barda ayant annoncé un maximum de 496 M USD. Plusieurs versions d’un vaccin contre le coronavirus ont été testées chez l’animal en collaboration avec le laboratoire de Dan Barouch, directeur du Beth Israel’s Center for Virology and Vaccine Research (Harvard Medical School). J & J prévoyait de lancer la phase I au plus tard en septembre 2020. J & J était alors en capacité de produire annuellement 300 millions de vaccins, à partir de son bioréacteur de 2 000 litres, et commençait à mettre en place la deuxième installation aux États-Unis. Pour atteindre un milliard de doses, quatre usines seraient nécessaires.
Sanofi et GSK comptaient aussi entamer un essai de phase I/II en septembre
Sanofi développait deux stratégies de développement vaccinal : la première, basée sur une approche « classique » de production d’un fragment de protéine virale, la seconde, en collaboration avec une biotech localisée à Arlington dans le Massachusetts était basée sur une approche de vaccin à ARNm similaire à celle de Moderna. L’entreprise s’était associée à GSK pour développer son vaccin COVID-19, Sanofi fournissant l’antigène, GSK l’adjuvant permettant d’augmenter la réponse immunitaire pour une dose de vaccin plus faible.
Après l’annonce par la presse des 5 premiers projets retenus par l’opération “Warp Speed”, Vanina Laurent-Ledru, Vice-Président and Head, Global Public Affairs pour Sanofi Genzyme, nous a précisé “We have seen the news articles but have not heard anything directly from HHS about whether our program is or is not in Warp Speed and therefore cannot comment further. Our collaboration with BARDA on the non-clinical and phase 1 studies for our recombinant vaccine candidate is on track to initiate clinical trials in September. We believe that BARDA will continue to support our program as it advances in development. In addition, to our work on COVID-19, we have had a 15 year partnership with BARDA focused on pandemic influenza. This decision has no impact on our efforts to develop a vaccine for COVID-19. The fight against COVID-19 requires a global collaborative effort, and the more approaches and partnerships that continue to move forward the better chances of success of dealing with this public health emergency”.
Merck/MSD venait de se lancer
Le géant américain Merck/MSD s’était finalement lancé dans la course en rachetant notamment l’entreprise autrichienne Themis et son vaccin développé avec l’Institut Pasteur. Merck a ainsi déclaré le 26 mai 2020 qu’elle travaillait sur deux projets concurrents basés sur des technologies éprouvées et qui entraînent une immunité en une dose.
- Le premier programme de vaccins Covid-19 était réalisé en collaboration avec IAVI, groupe de recherche à but non lucratif, et visait à développer un vaccin basé sur la même technologie que celle utilisée par Merck pour le vaccin Ervebo contre Ebola autorisé fin 2019 par la FDA et déjà fabriqué à environ un million de doses. Le vaccin COVID-19 était en phase de développement préclinique avancé, avec des études de la phase 1 qui se profilaient pour l’année 2020. Il utilisait comme cheval de Troie une version modifiée d’un virus de la stomatite vésiculeuse pour pénétrer dans la cellule.
- Le deuxième candidat vaccin était alors déjà en cours de développement par Themis Bioscience, une société privée autrichienne de biotechnologie, et l’Institut Pasteur, grâce notamment à un financement du CEPI. Ce vaccin utilisait un virus de la rougeole modifié comme vecteur viral. Les essais cliniques de phase I de ce vaccin devaient commencer dans les semaines suivantes. Merck qui a annoncé acquérir l’entreprise Themis, comptait obtenir également le reste du pipeline de Themis, dont des vaccins expérimentaux contre les virus du Zika et du Chikungunya basés sur la même plateforme.
Novavax avait recruté ses premiers volontaires sains
Le 26 mai 2020, soit deux semaines après avoir annoncé qu’elle avait reçu 388 M USD du CEPI pour faire progresser son candidat vaccin NVX-CoV2373, Novavax, une entreprise de biotechnologie basée dans le Maryland, a recruté ses premiers patients dans une étude de phase I/II. Les résultats préliminaires d’immunogénicité et de sécurité de la partie de la phase I de l’essai sont attendus en juillet. Si les données de la phase I sont prometteuses, Novavax a déclaré qu’elle lancerait rapidement la partie de la phase II de l’étude. Novavax a par ailleurs signé un accord de $60 millions du ministère américain de la défense (DoD) pour fabriquer et livrer 10 millions de doses de NVX-C0V2373 au DoD en 2020, qui pourront être utilisées dans un essai clinique de phase II/III ou dans le cadre d’une autorisation d’utilisation d’urgence (Emergency Use Authorization, EUA) si la FDA l’autorise. Le vaccin serait utilisé pour protéger les militaires et leurs familles
Le vaccin ADN d’INOVIO en essai clinique de phase I depuis le 7 avril 2020
Dans un article scientifique publié récemment dans Nature Communications, Inovio a démontré que son candidat vaccin entraînait la production d’anticorps neutralisants robustes et la réponse des cellules T contre le SRAS-CoV-2. Les données préliminaires sur la sécurité et les réponses immunitaires de l’essai clinique de phase I étaient attendues en juin avant le lancement des phase2/3 en juillet ou août. Pour les petites biotech la question de la production dans un contexte hyper concurrentiel pourrait devenir un enjeu important. Inovio rencontrait à ce sujet des difficultés avec son partenaire, le fabricant VGXI qui avait déclaré qu’il ne serait pas en mesure de fabriquer de nouveaux lots de vaccins cette année tout en refusant de partager sa technologie avec d’autres fabricants.
Conclusion
Avec l’opération Warp Speed, la priorité des autorités américaines était clairement donnée au développement et à la production domestique d’un vaccin visant à répondre aux besoins des Américains. Les autorités américaines ne s’en cachaient pas, même si elles laissaient ouverte la porte de la coopération internationale. Le Secrétaire à la Santé a par exemple affirmé que s’ils ne souhaitaient pas que les engagements internationaux viennent ralentir les efforts engagés aux Etats-Unis, il ne s’agissait pas pour autant d’opposer réponse domestique à réponse globale (car des progrès aux Etats-Unis serviraient au final le monde entier).
Par ailleurs, plusieurs initiatives du Congrès, à l’instar d’un projet de texte porté par le Sénateur Menedez, plaidaient pour une contribution des Etats-Unis au CEPI, dans l’optique justement de renforcer la contribution des Etats-Unis aux efforts de recherche et développement de vaccins pour la réponse globale. L’articulation de cette priorité nationale avec les engagements internationaux devait continuer d’être suivie avec attention et ce poste a continué de plaider activement pour ACT-A et notre approche portée dans le cadre multilatéral.
Enfin, alors que les vaccins étaient perçus comme un véritable moyen de relancer l’économie, on anticipait déjà une concurrence frontale entre la Chine et les Etats-Unis pour approvisionner le reste du monde en vaccins, dès lors leurs besoins domestiques assurés. A cette fin, la plupart des acteurs impliqués dans des projets vaccinaux ont très vite commencé à mettre en place leurs réseaux de production (AstraZeneca s’est engagée avec le CEPI, GAVI et l’OMS pour distribuer le vaccin de Oxford University dans le monde entier de manière équitable, Moderna a signé un contrat de dix ans avec le fabricant suisse de médicaments Lonza pour accélérer la fabrication du vaccin etc), le gouvernement américain a également contracté avec Emergent BioSolutions pour augmenter ses capacités de production.
Auteurs : Anne PUECH (SST Boston), Yves FRENOT (SST Washington)
Note :
[1] Le 18 mai 2020, Moderna a publié des données préliminaires sur les essais de phase I de son candidat vaccin contre le coronavirus. Dans la foulée le cours de ses actions a immédiatement grimpé de 30 % atteignant 87 dollars le 18 mai (pour mémoire, l’action était à 48 dollars le 6 mai). Moderna a alors vendu 17,6 millions d’actions, lui rapportant 1,3 milliard de dollars, le directeur financier, le directeur médical et le principal actionnaire de l’entreprise, la société de capital-risque Flagship Pioneering ont également vendu des actions. Une enquête de la SEC a été diligentée pour s’assurer que ces plans de ventes n’ont pas été modifiés récemment.