L’administration américaine vient de déclarer officiellement l’ours polaire (Ursus maritimus) espèce menacée titre de la loi sur les espèces en danger (Endangered Species Act, ESA). Cette décision constitue la première reconnaissance officielle des effets du réchauffement global sur la biodiversité. Cependant, l’administration cherche simultanément à éviter que les mesures de protection concernées puissent lui être opposées sur le sujet du changement climatique. Cette approche est jugée abusive par les organisations environnementales qui ont aussitôt engagé de nouvelles procédures judiciaires.
Depuis 2001, la question de l’ours polaire a figuré au centre de plusieurs conflits qui opposent les ONG environnementales à l’administration Bush, notamment dans la controverse autour de l’implantation de forages pétroliers dans la réserve faunistique de l’Alaska (ANWR). La reconnaissance des menaces sur l’ours polaire a aussi constitué, pour les associations environnementales, une stratégie de contournement des positions de l’exécutif américain sur le réchauffement global.
Courant 2005, trois ONG : Center for Biological Diversity, Greenpeace et Natural Resources Defense Council, ont introduit une pétition pour l’inscription de l’ours comme espèce mondialement menacée au titre de l’ESA. La procédure de pétition oblige l’administration compétente (Ministère fédéral des espaces naturels et des ressources (Department of the Interior, DoI), par l’intermédiaire du Fish and Wildlife Service, FWS) à rendre un avis préliminaire sous délai de 90 jours, puis, le cas échéant un rapport détaillé assorti de propositions de mesures de protection sous délai de 12 mois à dater du dépôt de la pétition.
En dépit de ces obligations réglementaires, l’avis préliminaire (positif) n’a été rendu qu’en février 2006 et rapport détaillé et les propositions de réglementation qu’en décembre 2007. Selon la procédure réglementaire américaine, une période d’enquête publique s’est ensuite ouverte au cours de laquelle le FWS a reçu 670000 commentaires. Le FWS a alors invoqué le traitement de ces commentaires et l’acquisition d’informations scientifiques complémentaires pour retarder sa décision finale, jusqu’à ce qu’une cour fédérale mette en demeure l’administration, le 28 avril 2008, de conclure ce processus avant le 15 mai 2008. Le Ministre fédéral compétent (secrétaire à l’intérieur), Dick Kemphtorne, s’est plié à cette décision le 14 mai, en déclarant officiellement l’ours polaire "menacé".
Cette déclaration est une victoire certes très symbolique pour les ONG environnementales, mais l’issue ne faisait guère de doute depuis l’avis positif rendu par le Fish and Wildlife Service et en raison de la pression judiciaire et législative croissante. Les précautions de langage prises à cette occasion par l’administration sont en revanche beaucoup plus symptomatiques d’une stratégie consistant à ne pas créer de précédent réglementaire qui fragiliserait son positionnement politique sur le dossier du changement climatique.
Le secrétaire Kempthorne s’est ainsi inscrit dans la stricte observance du principe affiché par le président Bush en avril dernier, selon lequel les lois environnementales en vigueur "n’ont jamais eu pour intention de réglementer le changement climatique global". Le schéma réglementaire dévoilé par le secrétaire à l’intérieur permettra donc d’éviter les débordements, à savoir l’invocation" de l’ESA pour réguler les émissions de gaz à effet de serre". En premier lieu, il s’agira d’autoriser, dans le cadre de l’ESA, les activités permises par la loi de protection des mammifères marins (Marine Mammal Protection Act, MMPA). Sont visées les exploitations d’hydrocarbures dans les habitats concernés, autorisées par le MMPA, mais largement incompatibles avec l’ESA.
En second lieu, le FWS devra considérer comme acquise l’absence de "connexion causale" entre les émissions de gaz à effet de serre de sources spécifiques et les effets sur les espèces protégées. Enfin, le Ministre a annoncé son intention de toiletter l’ESA pour faire en sorte qu’elle ne puisse pas servir de base réglementaire au changement climatique. "Bien que les normes légales", a conclu M. Kempthorne, "m’obligent à inscrire l’ours polaire sur la liste des espèces menacées, je veux qu’il soit clair que cette inscription ne mettra pas un point d’arrêt au changement climatique".
Cette approche restrictive de l’ESA a aussitôt été condamnée par les associations environnementales pétitionnaires qui ont décidé de poursuivre l’administration devant les juridictions fédérales compétentes. De leur côté, les milieux conservateurs, avec le Sénateur de l’Oklahoma James Inhofe en figure de proue, n’ont pas manqué de commenter négativement la décision du DoI. Sarah Palin, gouverneur de l’Alaska, seul Etat de l’union directement concerné par la mesure, a enfin fait savoir qu’elle contestait le bien-fondé de cette décision et introduirait un recours en annulation.
Source :
– Exposé du Ministre Kemphtorne le 14/5/2008 : https://www.doi.gov/secretary/speeches/081405_speech.html
– Communiqué de presse du Fish and Wildlife Service : https://www.fws.gov/news/newsreleases/showNews.cfm?newsId=ECB61DD1-0D74-1D7B-4A67E9B51FB1626B
Pour en savoir plus, contacts :
– Page "ours polaire" du Fish and Wildlife Service : https://www.doi.gov/issues/polarbear.pdf
– Les actions du Center for Biological Diversity : https://www.biologicaldiversity.org/species/mammals/polar_bear/index.html
– Déclaration du Sénateur Inhofe : https://epw.senate.gov/public/index.cfm?FuseAction=Minority.PressReleases&ContentRecord_id=e8b76795-802a-23ad-4c8b-089a6b4c03fe
– Communiqué de l’Etat de l’Alaska : https://www.gov.state.ak.us/news.php?id=1163
Code brève
ADIT : 54812
Rédacteur :
Philippe Jamet, AST, [email protected]