Les mutations de la recherche pharmaceutique sur fond de concentration du secteur

Dans nos récentes livraisons nous parlions des espoirs que suscite l’arrivée d’une nouvelle administration et d’un nouveau patron à la tête de la FDA ("Food and Drug Administration"). D’une façon plus générale, nous évoquions également la panne de l’innovation dans les grands groupes pharmaceutiques (seulement 19 médicaments mis sur le marché en 2007) ainsi que le fort mouvement de recul de l’activité des sociétés de capital risques dans tous les domaines, y compris celui des sciences de la vie qui concentrent sans doute les plus grands efforts de recherche et développement publics et privés aux Etats-Unis.

Cette situation cache pourtant deux tendances. Les industriels du domaine sont en train de développer des stratégies d’adaptation, non sans conséquences sur le paysage du marché et sur le système d’innovation américain.

Quelles sont ces tendances ? La première est liée à l’inéluctable concentration du secteur pharmaceutique. A ce jour, compte tenu des très fortes baisses boursières, les grands groupes ont des appétits aiguisés en raison des menaces qui pèsent sur leurs chiffres d’affaires (à l’instar de Pfizer dont les produits sont appelés à devenir génériques) mais aussi en raison de leur force de frappe financière. Les fabricants de médicaments américains sont assis sur un formidable pactole liquide de 113 milliards de dollars. Certes, ils enregistrent des performances financières en baisse régulière et la valeur boursière des 20 plus grands fabricants est inférieure d’un trillion à celle de 2000 mais, dans le contexte actuel, c’est un atout sans comparaison. A ceci s’ajoute le fait que l’industrie est un puissant moteur de R&D : quelque 214 milliards ont été dépensés en recherche depuis 2004.

Dans ce cadre, il faut s’attendre à des mouvements de fusions et acquisitions qui iront en augmentant et qui concerneront d’abord les grands groupes, ce que l’on appelle ici les fusions géantes ("megamergers"). Rien que pour 2008, les sociétés pharmaceutiques ont réalisé des fusions pour une valeur de 142 milliards, soit près de 20% de plus qu’en 2007. La plus spectaculaire est l’offre, à ce jour non finalisée, de Roche sur Genentech. Dans la même catégorie, il faut mentionner l’acquisition de ImClone Systems par Bristol-Myers. Une décision dictée par le souci de Bristol-Myers d’être plus présent dans le domaine des anti-cancéreux. Le mouvement ne va pas s’arrêter là. Pfizer, que l’on dit malade de la bourse, délaissant la recherche et pour tout dire menacée, est à l’affût de nouvelles acquisitions pour refaire le "plein" d’innovations et d’idées nouvelles. La société est prête à mettre sur la table quelque 26 milliards… Glaxo et Wyeth sont dans des dispositions similaires, quoique ne luttant pas dans la même catégorie, la seconde société étant, comme on le sait, plus vulnérable que la première aux prédateurs.

Mais ce n’est que parler des grosses sociétés. Les sociétés de taille moyenne comme Amgen ou Gilead sont exposées mais pas en danger. Et les plus modestes ? Elles sont particulièrement vulnérables. Toutes celles qui ne possèdent pas de modèle industriel et une année de chiffre d’affaires en réserve, soit environ 38% des 370 petites sociétés de biotechnologie recensées par BIO ("Biotechnology Industry Organization"), sont carrément menacées. Au niveau des très jeunes entreprises, et alors que les capitaux-risqueurs sont hors du marché, la pression est très forte. Certaines d’entre elles, quand elles ne sont pas avalées par les grands groupes ou placées sous la protection de la loi sur les faillites (Atherognics Inc., entre autres), se procurent des liquidités en cédant à des fonds d’investissement les revenus escomptés de leurs futurs médicaments. C’est ainsi qu’Oramed a récemment financé les essais cliniques de son antidiabétique.

Une autre stratégie de survie consiste à totalement remettre en question l’économie de la société en licenciant un tiers du personnel de recherche et laissant tomber les anticancéreux pour investiguer un médicament destiner à prévenir les attaques cardiaques (Cytokinetics Inc.). D’autres sociétés, moins mal loties et ayant des capacités financières plus solides mais en revanche peu de perspectives de commercialisation, se lancent dans les acquisitions comme Transcept Pharmaceuticals qui a acheté Novacea pour son anti-cancéreux en attendant que la FDA donne son approbation au médicament de Transcept destiné à soigner les insomnies.

Tous ces mouvements participent à une inéluctable concentration du secteur pharmaceutique. Mais ce n’est qu’un aspect de la situation. Chez les donneurs d’ordre et les grosses sociétés pharmaceutiques, qui ont à la fois remplacé les capitaux risqueurs, les anges et les banques, les activités de R&D sont en train de se métamorphoser au profit de nouveaux modèles d’organisation plus créatifs et plus proches du terrain. L’exemple le plus spectaculaire est celui de Glaxo qui a remis à plat sa recherche, autrefois fonctionnant comme une chaîne d’assemblage séquentielle où les idées de médicaments passaient de façon mécanique du chimiste au biologiste, où la bureaucratie prenait le pas sur la créativité. Désormais, l’astucieux patron de Glaxo, Andrew Witty (ndlr : "witty" signifie ingénieux et habile pour concevoir et mettre en oeuvre), qui a fait une brève immersion dans une jeune pousse, ne pense qu’à une chose, celle de transformer sa recherche en "unités de performance pharmaceutiques" travaillant sur des cibles thérapeutiques précises avec un budget de trois ans. Autrement dit, il vise à imposer un mode de fonctionnement et de décision plus proche de la jeune entreprise que du grand groupe. Même tentative chez Pfizer, qui incite ses chercheurs à quitter la grande maison tout en procédant à des acquisitions de jeunes entreprises pour également copier leurs modèles de recherche.

Concentration du secteur, réorganisation de la recherche, deux mouvements qui se combinent pour produire un nouveau paysage de la recherche dans le domaine de la pharmacie. Les industriels américains ne s’arrêtent pas à ce constat et vont plus loin dans l’analyse des conséquences de la situation actuelle, également marquée par l’absence de la prise de risques et d’innovations : les priorités sont inévitablement mises sur les médicaments de confort (calvitie, impuissance, etc.) au dépens du traitement de maladies graves. Et cela peut avoir une incidence en matière de santé publique mais aussi pour l’économie en général.

Un signe que la branche pharmaceutique, si elle n’est pas menacée, ne se pose pas moins de questions existentielles après 20 ans de recherches intensives et des centaines de milliards de dollars dépensés.

Source :

– "Cash-Poor Biotech Firms Cut Research, Seek Aid. ", Jeanne Whalen Ron Winslow, 29/10/08, The Wall Street Journal – https://online.wsj.com/article/SB122523819921178005.html?mod=rss_whats_news_us_business
– "Financial crisis: How will it affect new drug development?" Jordan Lite, 27/10/08, Scientific American – https://www.sciam.com/blog/60-second-science/post.cfm?id=financial-crisis-how-will-it-affect-2008-10-27

Pour en savoir plus, contacts :

"Recherche pharmaceutique : vers un nouveau modèle collaboratif sur fond de crise et d’incertitudes", BE 139, 24/10/08, https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/56416.htm
Code brève
ADIT : 56728

Rédacteur :

Antoine Mynard, [email protected]

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