Dans le petit monde de l’innovation américain, les praticiens ont tendance à opposer les investisseurs providentiels (que l’on surnomme "anges", de l’anglais "business angels") aux sociétés de capital risque. Dans la situation actuelle, marquée par un coup de frein des transactions, une baisse de la prise de risque et une irrésistible quête de liquidités, tout le monde est logé à la même enseigne. On observe une stratégie de précaution consistant à attendre les lendemains qui chantent.
Mais attendre ne signifie pas être inactif pour engager la réflexion sur ce que sera le nouveau modèle de fonctionnement de l’innovation ou de collaboration qui émergera de la crise actuelle. C’est le sens de la récente réunion organisée par le Conseil National du transfert de technologie et de l’entreprenariat[1] où l’on a débattu des mérites respectifs des bureaux de transfert des universités (TTO pour Technology Transfer Offices), des anges et des capitaux risqueurs.
Que retenir ? Tout d’abord que les anges n’accordent pas facilement leurs faveurs providentielles aux TTO qui apparaissent à leurs yeux comme excessivement éloignés des réalités économiques et technologiques. Comme le déclare John Houston, actuel président de l’Association des investisseurs providentiels (Angel Capital association), peu d’affaires sont conclues à ce jour avec les TTO : en moyenne une sur vingt. Selon lui, cette situation s’explique par l’impréparation des TTO à engager des discussions contractuelles. Le même déplore des délais de négociation excessivement longs, combinés à une offre mal définie sans retour sur investissement identifié. David Weaver, fondateur et président d’une autre association active dans la région des grands lacs (Great Lakes Angels), va plus loin : les TTO ne possèdent pas d’offre prête à l’investissement et éprouvent des difficultés à fournir des renseignements précis sur la mise à disposition de la technologie sous forme de licence afin d’ensuite en faire une société.
Ces retours du terrain sont corroborés par une récente étude conduite par l’Institut Stevens de l’innovation (Université de Californie du Sud) qui fait le point sur les attentes des investisseurs vis à vis des TTO. L’étude réalisée auprès de 94 investisseurs providentiels et de sociétés de capital risque révèle un sentiment de frustration, voire de désamour, à l’endroit des TTO : beaucoup d’affaires ne peuvent se conclure en raison de l’absence de prévisions quant à "un plan de sortie" capable de générer 200 millions de CA d’ici cinq à sept ans. Les investisseurs sont aussi très soucieux de privilégier des technologies "plate forme", c’est-à-dire des technologies capables, grâce à des développements spécifiques à partir d’une même base technologique, de pénétrer plusieurs marchés ou secteurs économiques. C’est ce que les experts en économie industrielle appellent des "économies d’envergure". Mais les universités ne savent pas répondre à ce type de demandes.
D’une façon générale, les investisseurs ne comprennent pas la nature des offres qui leur sont faites dans les universités, tout en regrettant l’absence de données sur le paysage concurrentiel de la technologie proposée par les TTO, sur les dates de retour sur investissement et sur le calendrier prévisionnel des revenus envisagés. Les capitaux risqueurs ajoutent en moyenne deux à trois ans supplémentaires aux prévisions formulées par les universités, jugées peu opérationnelles et exagérément optimistes.
Concernant l’implication des personnels académiques, la critique se fait plus dure. Si les investisseurs s’accordent à penser que l’inventeur et son personnel proche jouent un rôle important dans la négociation d’un accord, surtout en tant que caution technologique, ils suggèrent que le découvreur confie à terme la gestion de l’entreprise à un expert qui ne soit pas issu du monde académique. Selon les mêmes investisseurs, les TTO doivent se livrer prioritairement à ce travail d’explication auprès des inventeurs qui sont appelés à développer des " attentes plus réalistes " face aux rigueurs du marché et à se borner à un rôle "évangélique" de promotion de leur trouvaille une fois le tour de table engagé.
Au total, l’étude conclut sur le constat que les universités sont encore insuffisamment outillées pour favoriser l’émergence d’écosystèmes en entreprenariat capables de réduire la distance qui sépare l’offre de la demande. Du côté des investisseurs, et c’est aussi ce qui ressort de la réunion, la conjoncture est à ce point défavorable que leurs intérêts se portent désormais davantage sur les technologies qui font l’objet d’investissements préalables ou de projets qui impliquent d’autres financeurs. Les anges et les capitaux risqueurs n’hésitent plus à franchir les frontières, en quête de dossiers bon marché, moins risqués et sans doute plus lucratifs mais dans de nouveaux cadres de collaboration.
Conclusion, tout le monde pèche : les universités par optimisme et les anges par infidélité. Sans doute pourquoi la Grâce est si difficile à obtenir…
[1] le NCET2, co-organisé par les Universités de Columbia et du Wisconsin-Madison ainsi que par la NSF et le NIH.
Source :
– "NCET2 Panel Says Angel Investors Often Reluctant to Span Spinout Funding Gap", Ben Butkus, 08/10/08 – https://www.biotechtransferweek.com/issues/2_39/features/149906-1.html
– "At University Startups Confab, USC Stevens Institute Shares Early Data from VC Survey", Ben Butkus, 08/10/08 – https://www.biotechtransferweek.com/issues/2_39/features/149907-1.html?CMP=OTC-RSS
Pour en savoir plus, contacts :
Angel Capital Association, https://www.angelcapitalassociation.org/
Code brève
ADIT : 56479
Rédacteur :
Antoine Mynard, [email protected]