Recherche pharmaceutique : vers un nouveau modèle collaboratif sur fond de crise et d’incertitudes

On le sait, la recherche dans le domaine de la pharmacie vit des heures difficiles. Aux difficultés structurelles de la recherche, s’ajoute la situation boursière, à l’image du titre Pfizer qui perd du terrain depuis plus de 4 ans, avec une tendance accélérée à la baisse à mesure qu’approche l’échéance du passage dans le domaine public de plusieurs médicaments phares. Les défis sont grands : ils sont à la fois technologiques et organisationnels. Dans le cadre d’une conférence sur ce thème, la Fondation Kauffman a récemment présenté à l’"US Department of Health and Human Services" un rapport. Ce dernier met en évidence le rôle grandissant des associations à but non lucratif en matière de recherche médicale et pharmaceutique.

L’industrie pharmaceutique fait en effet face à des difficultés dans ses capacités d’innovation. Le doute s’est installé sur la possibilité de découvrir prochainement et rapidement de nouveaux médicaments alors que la FDA ("Food and Drug Administration") impose des règles de plus en plus complexes dès les premiers stades de la recherche, que la plupart des brevets phares de cette industrie vont tomber dans le domaine public d’ici à 2012 (pertes de chiffre d’affaires : 67 milliards de dollars) et que les entreprises du domaine font face à une forte augmentation de leur coûts de recherche (160% d’augmentation en 10 ans). Une autre tendance instille le doute et conduit les entreprises à s’intéresser davantage aux marchés du diagnostic que celui du médicament : les traitements de demain passent par la mise au point de thérapeutiques différenciées selon les individus.

Il y a peu, les entreprises pharmaceutiques poursuivaient un objectif clair : découvrir le prochain "blockbuster", c’est-à-dire le médicament qui génère plus d’un milliard de chiffre d’affaires et qui traite au minimum 15 millions de patients. Or, cette stratégie dans un contexte législatif et économique changeant ne semble plus payante. La raison en est simple ; entre le renforcement des critères de la FDA, l’augmentation des délais de développement et l’accroissement des abandons de projets à des stades très avancés, la proportion de "blockbuster" qui autorise un retour sur investissement suffisant pour amortir les efforts de recherche nécessaires ne dépasse pas 30%.

C’est pourquoi les géants de l’industrie pharmaceutique "classique" cherchent désormais à générer de l’innovation en favorisant l’émergence d’entreprises de biotechnologies. C’est ainsi que les acquisitions de ces entreprises ne se sont jamais aussi bien portées, enrichissant un portefeuille technologique déclinant chez les industriels de la pharmacie et leur apportant des solutions organisationnelles innovantes.

Pour preuve de cette ingéniosité en matière d’organisation, leur capacité à exploiter des solutions innovantes pour le développement de preuves de concept, étape jugée critique dans le processus d’élaboration de nouveaux traitements. Elles ont ainsi commencé à "externaliser" une partie de leur activité de recherche et à développer leur fonctionnement en réseau en relation avec des CRO ("Contract Research Organization") et des contrats de type "Collaborative Development Financing". La limite de ce type de collaboration s’est vite fait sentir car les partenaires impliqués sont soumis aux mêmes règles du marché que les capitaux-risqueurs ; ils attendent des retours sur investissement parfois hors de portée dans cette industrie marquée des coûts de recherche très élevés associés à des risques importants. C’est le cas par exemple des maladies orphelines qui ne présentent pas un intérêt économique flagrant. C’est à ce moment que les fondations à but non lucratif sont intervenues.

Les fonds philanthropiques dans le domaine médical ont depuis tous temps permis de financer des travaux de recherche. Or, depuis quelques années, ces associations se reconvertissent en investisseurs en aidant au développement de preuves de concept et à l’accélération de la commercialisation des médicaments concernés. Non seulement elles fournissent des fonds indispensables aux entreprises qui développent ces médicaments mais en plus, elles collaborent étroitement avec celles-ci pour adapter le concept de "réduction du risque associé aux processus d’essais cliniques". Le but est d’assurer des retours sur investissement satisfaisants par la réduction des coûts et délais associés aux essais cliniques afin d’inciter les entreprises à travailler sur des maladies considérées comme économiquement peu attractives. Une illustration de ce concept nous est donnée par l’élaboration et l’utilisation de biomarqueurs spécifiques dès les premiers stades de développement clinique qui permettraient de réduire les coûts des essais d’un facteur de 2 à 5 et de faire passer les délais de 10 à 5 ans. L’autre avantage que présentent ces associations est leur capacité accrue à recruter des patients pour les essais cliniques. Ceci est en partie du à la spécialisation des associations concernées. Les plus connues sont : la "Muscular Distrophy Association" qui développe des programmes contre la maladie de Duschene et de Gaucher, la "juvenile Diabetes Research Foundation" et son programme "Industry Discovery and Development Partnership", le "Multiple Myeloma Research Consortium". Cette spécialisation permet une bonne connaissance scientifique des cibles thérapeutiques tout en facilitant le recrutement de patients parfaitement ciblés pour les essais et qui accordent en général davantage de confiance à ces associations qu’aux entreprises pharmaceutiques.

En conclusion, le paysage technologique et économique de l’industrie pharmaceutique est en pleine mutation. Emergent de nouveaux schémas collaboratifs pour la recherche et développement. Ce modèle, vecteur d’innovation et d’efficacité, n’en est cependant qu’à ses débuts. Il reste à déterminer si toutes les pathologies sont concernées de la même manière. Il convient aussi à mener une réflexion sur les questions liées à la propriété intellectuelle, garante de cette nouvelle économie.

Source :

"Non-Profits Could Bolster Personalized Medicine, Kauffman Report Argues", GenomeWeb – 21/10/08 – https://www.genomeweb.com/issues/news/150136-1.html

Pour en savoir plus, contacts :

– "Sourcing funding the unconventional way", Andrew Jack, Financial Time, 22/10/08: https://www.ft.com/cms/s/0/0f3747d2-9fa8-11dd-a3fa-000077b07658.html?nclick_check=1
– "A better prescription for drug-development financing", Marc Kessel, Frederick Frank, Nature Biotechnology 25 859-866 2007: https://www.nature.com/nbt/journal/v25/n8/abs/nbt0807-859.html
– "Reducing Risk through Collaboration Can Generate Increased Economic Returns for Personalized Medicine Sector", Fondation Kauffman, 20/10/08: https://www.kauffman.org/items.cfm?itemID=1188
Code brève
ADIT : 56416

Rédacteur :

Aline Charpentier, [email protected]

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