Acquisition de Wyeth par Pfizer : quels impacts en matière de R&D ?

1- Une acquisition majeure sur fond d’interrogations

C’est la plus grosse acquisition depuis des semaines. En rachetant Wyeth, Pfizer réalise une opération majeure qui met le groupe au premier rang des sociétés pharmaceutiques du monde et à la quatrième place des capitalisations boursières de Wall Street derrière Exxon, Wal-Mart et Procter&Gamble. Avec un chiffre d’affaires de 23 milliards, un portefeuille d’activités remarquablement diversifié, Wyeth était une cible commode pour un groupe comme Pfizer depuis 2008, date à laquelle les capitalisations boursières se sont effondrées et ont aiguisé l’appétit des grands groupes possédant des réserves importantes [1].

Les dessous financiers d’une acquisition de 68 milliards de dollars…

C’est le cas de Pfizer qui réalise 48,3 milliards de CA : avant cette acquisition, le Groupe disposait de réserves financières estimées à environ 30 milliards. C’est ce qui a permis à la société de financer pour un tiers cette acquisition dont le montant s’élève à 68 milliards de dollars. Les deux autres tiers proviennent d’une part d’échanges ou d’émissions d’actions et d’autre part d’emprunts auprès d’un consortium de banques américaines. Un début de polémique a d’ailleurs vu le jour à ce sujet car ce sont précisément les établissements bénéficiaires du plan fédéral de soutien aux banques de l’automne 2008 qui ont été mis à contribution (Bank of America, Citigroup, JPMorgan Chase, Goldman Sachs). Il est vrai que l’affaire était tentante : Pfizer est très bien notée en plus d’avoir une taille économique considérable. Conséquence positive : cette acquisition a relancé les espoirs de Roche qui ne parvient pas à boucler le montage financier de l’acquisition de 44% du capital de Genentech (43,7 milliards) et a ouvert la possibilité que d’autres opérations relancent les affaires. On pense bien entendu aux cibles que représentent désormais Schering-Plough ou Bristol-Myers-Squibb. Dit autrement, cette acquisition annoncerait-elle un rebond économique et financier ?

…qui suscite des inquiétudes

Rien n’est moins sûr. Les motifs de réjouissance de l’acquisition sont en fait assez minces, l’acquisition de Wyeth ne soulevant pas beaucoup d’enthousiasme aux Etats-Unis. Le titre Pfizer a immédiatement reculé de 10% car cette acquisition est considérée comme le "dernier coup" de la société. Les analystes comme le personnel de Wyeth, prévoient quelque 20.000 suppressions d’emplois, essentiellement dans la force de vente et la recherche. A ceci s’ajoute un fardeau de 2,3 milliards que Pfizer devra sans doute payer au Gouvernement fédéral dans le cadre d’une affaire liée à l’anti-douleur Bextra.

Mais les raisons d’inquiétude sont plus profondes. En effet, Pfizer n’en est pas à sa première acquisition. Et les précédentes n’ont pas laissé de très bons souvenirs. Ni aux entreprises absorbées, ni aux investisseurs qui ont cru à la chance qu’avait Pfizer de développer une stratégie de recherche couronnée de succès et, au delà, un portefeuille équilibré de produits. En 2000, Pfizer a ainsi acheté Warner-Lambert pour 90 milliards afin de s’approprier le médicament Lipitor qui était en train de lui échapper. Trois ans plus tard, cela a été le tour de Pharmacia pour son médicament anti-douleur Celebrex. Les deux opérations n’ont guère été heureuses: Lipitor arrive en fin de vie sans avoir de successeur [2]. Quant à Celebrex, ses ventes ont chuté brutalement après que le médicament concurrent de Merck, Vioxx, eût rencontré des problèmes de santé publique.

Souvent présentées de manière négative par les marchés mais aussi la profession, les affaires de Pfizer sont aussi bien plus complexes et dictées par les circonstances. Il faut en effet reconnaître à Pfizer la capacité d’être une véritable entreprise innovante et d’avoir procéder à ces acquisitions alors que la concurrence menaçait. Par exemple, le Lipitor a été conçu par Warner-Lambert mais le développement [3] et la mise sur le marché du produit reviennent entièrement à Pfizer. A l’actif de Pfizer, il faut aussi souligner les avancées que représentent des produits comme Maraviroc (anti-HIV) ou Chantix (anti-addictif). Sans parler des médicaments de confort comme le viagra.

Mais la réputation de Pfizer est ainsi faite que son patron, M. Kindler, reconnaît que son entreprise "a beaucoup appris des précédentes acquisitions" (…), concédant qu’elles "avaient cassé le moral (des personnels) et avaient fait baisser la productivité". Selon lui, l’absorption de Wyeth sera dictée par la prudence : tout sera mis en oeuvre pour "conserver les atouts fondamentaux des deux sociétés" et faire en sorte qu’elles continuent à être prospères.

On le sait, le contexte de l’activité des sociétés pharmaceutiques est particulièrement difficile. Au problème des génériques vient s’ajouter une recherche toujours plus coûteuse et les défis des médicaments biotechnologiques que l’on maîtrise très mal d’un point de vue scientifique. Dans ce contexte, le erreurs peuvent coûter très cher. Les principales sources du chiffre d’affaires de Pfizer sont ainsi appelées à se réduire sous l’effet des génériques et sans que de nouveaux médicaments viennent très prochainement prendre le relais. Pfizer avance certes que 25 molécules sont désormais en phase 3 d’essais cliniques et que 15 à 20 nouveaux produits devraient voir le jour entre 2010 et 2012. Mais ces perspectives sont associées à des risques élevés [4] et ne pourront en aucun cas compenser les pertes dues aux génériques.

L’ensemble des experts du domaine pharmaceutique partage le point de vue que ce sont les options stratégiques de Wyeth, notamment en matière de R&D, qui ont guidé l’acquisition de la société par Pfizer. Arrivé il y a sept ans à la tête de la branche "pharmacie" de Wyeth, le français Bernard Poussot a orienté sa stratégie vers la diversification et une dépendance réduite à l’égard des petites molécules [5]. Une fois à la tête de Wyeth, il est allé plus loin en organisant la société en cinq pôles distincts : médicaments à base de petites molécules, produits médicamenteux à base de biotechnologies [6], médicaments sans ordonnance, vaccins et produits vétérinaires. Rapidement, et en plus de l’activité sur les vaccins, la recherche s’est de son côté orientée vers cinq familles de pathologies (maladie d’Alzheimer, oncologie, maladies cardiovasculaires, maladies inflammatoires, ostéoporose et maladies liées au vieillissement) contre 14 axes de recherche auparavant [7]. Wyeth a aussi procédé à la ré ingénierie de sa R&D en rationalisant les étapes liées au "R" (env. 360 millions de dépenses par an autour des phases "nouveaux projets", et "recherches pré- et exploratoires") et du "D" (les phases "découvertes" et "développement", qui incluent les essais cliniques, coûtent env. 2,5 milliards).

Ces choix ont conduit Wyeth à acquérir des compétences dans le domaine des biotechnologies, de disposer d’un portefeuille diversifié et complémentaire tout en enregistrant des succès encourageants comme dans le domaine de la maladie d’Alzheimer [8], des anti-dépresseurs ou de la ménopause.

Au total, on comprend bien qu’en achetant Wyeth, c’est l’absence de capacité d’innovation et de stratégie de Pfizer qui est mis en évidence. A ceci s’ajoute le fait que Pfizer n’a pas su se renouveler en interne tout en continuant de travailler selon un schéma autonome de recherche centré sur les petites molécules, indépendamment des biotechnologies.

A suivre…

[1] Voir à ce sujet "les mutations de la recherche pharmaceutique sur fond de concentration du secteur" du 17 novembre 2008 dans laquelle nous anticipions l’acquisition de Wyeth : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/56728.htm

[2] En fait, le "Torcetrapib" était appelé à assurer la succession de Lipitor mais la recherche a du s’interrompre en phase 3. Conséquemment, début 2007, Pfizer a annoncé la fermeture de son site industriel de Ann Harbor.

[3] Le développement commercial.

[4] Cf. renvoi n°2.

[5] Mieux connues sous le nom de "small-molecules drugs".

[6] Les "biologics".

[7] La finalisation de cette réorganisation est intervenue il y a six mois environ.

[8] Le Bapineuzumab continue de faire l’objet d’essais cliniques bien que ces derniers rencontrent un obstacle génétique concernant certains patients. Wyeth dispose également de dix autres traitements en cours de développement.

Source :

– Cet article s’appuie sur la contribution des Dr. Patricia Soulard et Cyrille Kuhn qui travaillent dans l’industrie pharmaceutique depuis de nombreuses années. Je les remercie pour leur aide. Merci également à M. Yann Le Beux à qui nous devons les illustrations.
– "Wyeth Deal May Slow Pfizer Biotech Acquisitions", Andrew Pollack, Herald Tribune, 26/01/2009 – https://www.iht.com/articles/2009/01/27/business/27biotech.php
– "For Pfizer, a Big Deal and a Test", Duff Wilson, Herald Tribune, 26/01/2009 – https://www.iht.com/articles/2009/01/27/business/27chief.php
– "In Wyeth, Pfizer Sees a Drug Pipeline", Natasha Singer, New York Time, 26/01/2009 – https://www.nytimes.com/2009/01/27/business/27wyeth.html?ref=business
– "Banks Put Up for Pfizer-Wyeth Deal", Lauren Tara LaCapra, The street.com, 28/01/09 – https://www.thestreet.com/newsanalysis/banking/10460431.html
– "Pfizer’s Bid For Wyeth Sends Ripples Through Trubion Pharmaceuticals, Seattle Biotechs.", Luke Timmerman, XConomy, 27/01/09 – https://www.xconomy.com/seattle/2009/01/27/pfizers-bid-for-wyeth-sends-ripples-through-trubion-pharmaceuticals-seattle-biotechs/
– "Pfizer-Wyeth Combo’s Impact on San Diego Biotech: Bad for Dealmaking, Good for Shareholders", Luke Timmerman, XConomy, 27/01/09 – https://www.xconomy.com/san-diego/2009/01/27/pfizer-wyeth-combos-impact-on-san-diego-biotech-bad-for-dealmaking-good-for-shareholders/
– "Pfizer Bid for Wyeth Will Stall Mass. Biotech Deals, CEO Says, State Official Still Sees Growth.", Ryan McBride, XConomy, 27/01/09 – https://www.xconomy.com/boston/2009/01/27/pfizer-bid-for-wyeth-will-stall-mass-biotech-deals-ceo-says-state-official-still-sees-growth/
– "En rachetant Wyeth, Pfizer conforte son rang de leader mondial de la pharmacie", Yves Mamou et Jérôme Porier, Le Monde, 28/01/2009 – https://www.lemonde.fr/economie/article/2009/01/27/en-rachetant-wyeth-pfizer-conforte-son-rang-de-leader-mondial-de-la-pharmacie_1147087_3234.html

Pour en savoir plus, contacts :

– Site de Pfizer, https://www.pfizer.com
– Site de Wyeth, https://www.wyeth.com/
Code brève
ADIT : 58135

Rédacteur :

Antoine Mynard, [email protected]

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