Début mars 2009, la MS&T a réalisé une étude sur le projet de réforme des brevets. Nous y expliquions que la réforme du bureau des brevets (USPTO) ne représentait qu’une partie des enjeux de la réforme du système national des brevets. Cette dernière est sur le métier depuis l’Administration de Lyndon B. Johnson (1963-1969). Cette situation donne une idée du processus de décision parlementaire américain. Elle illustre également la difficulté pour les décideurs publics de prendre des options qui ne rencontrent pas un consensus suffisant dans un pays qui possède certes une avance technologique mais qui est exposé aux aléas de la mondialisation tout en étant traversé par des intérêts contraires.
Actuellement le débat sur la réforme des brevets reprend vigueur. C’est cette fois liée à l’émergence des "trolls" qui sont des sociétés intermédiaires entre les producteurs de connaissances et leurs utilisateurs. L’absence de consensus entre les tenants d’un solide système de brevets et les détracteurs des "trolls" retardent en effet la mise en oeuvre du "Patent Reform Act" de 2008 [2] qui visait à restreindre trois aspects de l’actuelle loi sur les brevets, à savoir :
– la possibilité aux Etats-Unis de publier des brevets étendus,
– la possibilité d’obtenir des injonctions et d’engager des poursuites qui peuvent se révéler dispendieuses pour les contrevenants,
– la quasi-impossibilité d’introduire des recours auprès de l’USPTO.
Et qui prévoyait une série de dispositions sur :
– le tribunal compétent. Ce dernier devait être celui qui était le plus proche des "activités physiques", des activités commerciales ou industrielles et/ou du lieu principal d’enregistrement de la société. Ces dispositions étaient susceptibles de délester les tribunaux des districts de l’est du Texas, réputés plus accommodants dans les domaines de la propriété intellectuelle et auxquels faisaient davantage appel les "trolls".
– des limitations raisonnables quant au montant des redevances [1]. Les nouvelles dispositions modifiaient le principe de l’intégralité d’un marché, l’invention devant se rapporter à un volet principal de son application. D’où l’idée d’une répartition de la redevance qui serait calculée sur la base de la portion de valeur économique du produit faisant l’objet d’une contestation. Naturellement la redevance était appelée à être en rapport avec la contribution spécifique de l’invention revendiquée par rapport à l’état de l’art antérieur.
– l’abandon du principe d’intentionnalité. Seul le juge en décidait.
– le réexamen du brevet après son obtention [2]. Le projet de loi ouvrait la possibilité d’un recours auprès de l’USPTO mais selon un calendrier très précis. L’effet d’estoppel pouvait s’appliquer.
– la priorité d’accession à la propriété au premier déposant – first-to-file – il s’agissait plus précisément de favoriser l’antériorité du dépôt de brevet comme c’est le cas dans le système européen. Le système actuel se base en effet sur le premier inventeur – first-to-invent – c’est-à-dire la prise en compte de l’antériorité de l’invention.
Un fort lobby de grandes entreprises, en particulier du secteur des hautes technologies (Google, Microsoft), des services financiers ainsi que des entreprises industrielles soutiennent ces dispositions. Ces derniers arguent que cette loi serait de nature à mettre un terme à la multiplication des affaires judiciaires. Les opposants continuent de se situer parmi les "trolls".
Mais ils ne sont plus seuls : un groupe de pression américain, l’"American Innovators for Patent Reform" (AIPR), s’insurge également contre cette réforme [3]. Selon eux, les changements seraient préjudiciables aux entrepreneurs et aux petites entreprises face aux grandes multinationales. De même, la réforme inciterait les jeunes pousses technologiques à moins innover. A l’appui de cette argumentation est une étude menée par E. Malackowski and Jonathan A. Barney [4] qui montre que la possession de brevets contribue fortement à lever des fonds auprès des investisseurs.
Conclusion. La réforme des brevets aux Etats-Unis ressemble à une histoire sans fin. A chaque épisode on croit en deviner l’issue mais ce n’est en fait qu’un épiphénomène. Si les experts américains continuent de déplorer cette situation, elle ne contribue pas moins à alimenter la machine parlementaire, les groupes de pression qui sont à la manoeuvre dans les enceintes de la Capitale fédérale ainsi que les grands cabinets de juristes qui sont, au fond, les vrais meneurs d’un processus dont on ne comprend plus très bien les objectifs et la direction. Dans cet effort collectif, la vraie question est bien de savoir quelle sera la place qui sera réservée à chacun des acteurs du système d’innovation américain : petits inventeurs, grandes entreprises, "trolls", universités, etc. Une autre famille d’enjeux concerne bien entendu le traitement qui sera accordé par la nouvelle législation à des secteurs aussi différents que les STIC ou les biotechnologies.
Une certitude et un motif de réjouissance pour le rédacteur de cette brève : il y aura toujours quelque chose de nouveau à relater dans le BE Etats-Unis sur ce dossier de la réforme des brevets !
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[1] "Patent infringement litigation"
[2] "post grant review"
Source :
Protecting the Patent System for Entrepreneurs, Scott A. Shane, the New York Times, 04/09/09 : https://boss.blogs.nytimes.com/2009/09/04/protecting-the-patent-system-for-entrepreneurs/
Pour en savoir plus, contacts :
– [2] https://www.patentlyo.com/patent/2009/03/patent-reform-act-of-2009.html
– [3] https://www.ipwatchdog.com/2009/08/31/drummond-joins-american-innovators-for-patent-reform/id=5456/
– [4] https://www.oceantomo.com/press/What_is_Patent_Quality_lesNouvelles_6.08.pdf
– https://www.aminn.org/about-us
Code brève
ADIT : 60619
Rédacteur :
Antoine Mynard, [email protected]