L’annonce faite lundi 14 septembre 2009 par cinq des plus grandes universités américaines (MIT Harvard university, Cornell university, Darmouth College l’université de Californie à Berkeley) devrait fortement remettre en cause le système actuel des revues spécialisées payantes. Dans le programme intitulé "Compact for Open Access Publishing equity" celles-ci s’engagent en effet à oeuvrer pour que puissent se combiner deux caractéristiques habituellement considérées comme incompatibles : le libre accès du public aux publications académiques d’une part, la nécessité pour les journaux de disposer de revenus pour assurer le contrôle de qualité des articles mis en ligne (évaluation des articles par les pairs, secrétariat de rédaction, etc.), d’autre part.
Le modèle actuel de publications payantes, s’il assure la qualité des articles publiés, produit par contre de nombreuses externalités négatives. D’une façon classique, comme l’indique Thomas Leonard, bibliothécaire de l’université de Berkeley, le fait que les journaux soient payants créé des barrières à la diffusion des idées, brisant trop souvent la chaîne de la connaissance au moment où nos sociétés dépendent de façon croissante de l’accès à ces connaissances. En second lieu, le coût souvent prohibitif des abonnements dans le modèle économique actuel -pour faire face aux coûts du nécessaire contrôle de qualité des articles publiés- , concentre de fait le coût du financement de ces journaux sur les bibliothèques universitaires -principales institutions abonnées- et exerce une pression économique génératrice d’inégalités sur les bibliothèques les moins dotées, qui se voient contraintes de renoncer à certains abonnements, ce qui renforce en retour les obstacles à la diffusion des résultats de la recherche.
Le modèle des publications en libre accès sur internet, en plein développement, souffre de son coté trop souvent d’un manque de financements qui nuit à la qualité des journaux, dans la mesure où l’absence de revenus limite le recours au évaluations par les pairs ou encore aux services de secrétariat de rédaction, vérification des sources, etc.
Face à ce constat, les universités signataires du Compact for Open Access Publishing equity" ont décidé d’initier une véritable transformation du modèle économique des journaux académiques. L’université de Californie à Berkeley expérimente déjà une variante possible du système (avec un budget de 100.000 USD), par lequel elle prend part aux frais de publication en payant directement les journaux libres d’accès publiant les travaux de ses professeurs, avec pour but que ces publications aient les moyens d’assurer un meilleur contrôle de qualité des articles publiés. A terme, si un tel mouvement était suivi, il s’agirait en fait de mutualiser au niveau des universités dont sont issus les auteurs, les coûts de contrôle de qualité des articles publiés dans l’ensemble des journaux académiques acceptant ces nouvelles règles du jeu. Il ne s’agirait donc pas de promouvoir un modèle de journaux en libre accès qui coexiste avec modèle traditionnel, mais bien de proposer une transformation du modèle traditionnel en un modèle de libre accès.
Ces objectifs sont bien loin de réjouir tous les acteurs concernés car jusqu’à présent l’idée du libre accès reste vue par beaucoup comme synonyme de réduction des ressources nécessaires à la qualité des publications. Clé de voûte d’un rapport commandé par le National Humanities Alliance, l’argument avait aussi été opposé par l’Association des Presses Universitaires Américaines face aux injonctions fédérales en faveur d’une ouverture de l’accès aux publications universitaires.
Les cinq institutions signataires du "Compact for Open Access Publishing equity" insistent sur la plus large démocratisation du savoir induite par le libre accès de tous aux publications universitaires, faisant valoir que la diffusion du savoir constitue non pas un droit mais l’une des principales obligations des universités. Si cet accord fera date dans le monde de l’édition universitaire, il n’en reste pas moins que nous ne sommes qu’au début d’un processus dont l’issue reste ouverte.
Robert B.Townsend, directeur adjoint pour la recherche et les publications de la American Historical Association a réagi après l’annonce du lundi 14 Septembre, suggérant que les partisans du libre accès ne devaient pas perdre des yeux les différences existant entre chaque matière. En effet les fonds disponibles en fonction des disciplines et départements risquent d’être inégales en fonction de la situation économique de ceux-ci. Les disciplines les moins soutenues par exemple par le biais de contrats de recherche (sciences humaines et sociales), pourraient ainsi avoir de plus grandes difficultés à financer ces nouveaux coûts sauf à ce que les universités mettent en place un système de financement global qui revienne à subventionner certaines disciplines plus que d’autres. De la même façon d’autres promoteurs du libre accès soulignent que la proposition faite n’a pas vocation à s’imposer comme la seule voie possible. C’est le cas par exemple de la Museum Anthropology Review, journal directement financé par la bibliothèque d’Indiana.
Enfin, chaque système étant susceptible de produire des effets pervers, certains, comme Jason Baird Jackson, directeur de la même Museum Anthropology Review, se réjouit de ces avancées mais met en garde contre le risque que certaines publications à but lucratif ("for-profit publishers") ne profitent de la situation en fixant des frais de publication beaucoup trop élevés que ne pourraient prendre en charge les chercheurs des institutions isolées n’ayant pas rejoint ce mode de fonctionnement, les privant ainsi de l’accès à ces publications.
Source :
-"Breakthrough on open access", Scott Jaschik, Inside Higher Education, 15 septembre 2009, https://www.insidehighered.com/
Pour en savoir plus, contacts :
-" Humanities and Social Science (HSS) Scholarly Journal, Publishing Study Release", National Humanities Alliance, 1 septembre 2009 – https://www.nhalliance.org/
-"Compact for an Open Access Publishing Equity" – https://www.oacompact.org/
Code brève
ADIT : 60533
Rédacteur :
Marion Bruley, [email protected]; Pascal Delisle, [email protected]