Le débat sur la pratique du secret dans le monde scientifique est relancé. Coup sur coup, deux articles sur la question viennent de sortir. Ils attirent d’autant plus notre attention que le courant actuel sur les modèles "d’innovation ouverte" nous avait fait oublier que les chercheurs sont au coeur du système de production de connaissances, surtout dans les systèmes académiques les plus exposés aux réalités de l’innovation (contrats de recherche, création d’entreprises innovantes, dépôts de brevets, etc.).
L’intérêt de l’étude sino-américaine est donc de précisément partir de la préoccupation du chercheur et de sa pratique. Traditionnellement, le chercheur universitaire évolue dans un environnement fait de coopération et de partage de l’information. Mais aussi de mise en concurrence, de pression à la publication et à la valorisation. Ces deux familles de caractéristiques, contradictoires, tendent à favoriser le développement du secret dans la communauté scientifique dans son ensemble. Modèles régressifs linéaires à l’appui, les auteurs de l’étude démontrent en effet que l’augmentation de la compétition scientifique et le soutien de travaux de recherche par des industriels contribuent à la pratique du secret.
L’autre enseignement de l’étude est que la pratique du secret augmente dans le temps au même rythme de croissance que celui du nombre des brevets déposés, du volume de travaux soutenus par des industriels et des revenus générés par l’activité de licences des établissements universitaires. Les auteurs discernent les travaux financés par les industriels, des véritables collaborations sous forme de partenariats de recherche entre les sphères académique et privée. Dans le second cas, c’est l’inverse qui se produit, les corrélations sont faibles ; autrement dit, lorsqu’une recherche est effectuée dans le cas d’un partenariat, les producteurs de connaissances ont moins recours au secret.
On apprend également que toutes les disciplines ne sont pas touchées de la même façon par le phénomène. Si la physique et les sciences fondamentales semblent être moins concernées, les sciences de la vie sont clairement identifiées comme étant le champ disciplinaire exposé de façon croissante et massive à la pratique du secret. Mais là aussi, les chiffres sont à interpréter avec prudence car, dans la pratique, le champ d’activité des brevets amène également les chercheurs en physique et sciences fondamentales à développer la pratique du secret.
L’étude révèle aussi une dimension plus anecdotique de la pratique du secret par les chercheurs. Devant ce dernier, les hommes et les femmes ne sont en effet pas égaux… Un brin complaisants, les auteurs se gardent bien d’interpréter de façon approfondie la réalité statistique qui montre très clairement que les femmes chercheurs pratiquent activement et davantage le secret. Les rédacteurs indiquent pudiquement… que "cette différence est sans doute liée à la position relativement vulnérable des femmes chercheurs, ce qui les conduirait à davantage de prudence quant à la divulgation de leurs résultats".
Intéressante, l’étude est cependant beaucoup plus faible à la fois sur la définition de la pratique du secret et sur l’interprétation à donner de ces résultats. On pense bien entendu aux conséquences que peut avoir le secret sur la diffusion des connaissances, sur l’innovation ou le transfert de technologie. Certes ces derniers favorisent le secret mais inversement on peut également se poser la question de savoir si le secret n’engendre pas le blocage de l’innovation et de la diffusion des connaissances. Autre dimension à peine esquissée dans cette étude, celle des logiques des établissements d’enseignement supérieur en situation de concurrence et, de façon croissante, au coeur des écosystèmes innovants. Ils jouent sans doute un rôle dans la pratique du secret par les chercheurs qui produisent des connaissances dans un environnement toujours plus concurrentiel.
Source :
– [1] "For money or glory ? Commercialization, competition and Secrecy in the entrepreneurial university" de Wei Hong et John P. Walsh paru dans Sociological Quarterly – https://www3.interscience.wiley.com/cgi-bin/fulltext/121633537/PDFSTART
– [2] "Do Gene Patents Hurt Research? The Data Say They Don’t" de Timothy Caulfield paru le 29/10/09 dans Science Progress – https://www.scienceprogress.org/2009/10/do-gene-patents-hurt-research/
Rédacteur :
Antoine Mynard, [email protected]