Le 9 mars dernier, la Chambre des représentants a voté le Consolidated Appropriations Act 2022, la loi de financement des agences fédérales pour l’année fiscale 2022, presque un an après son introduction au Congrès. Le vote tardif, survenu avec plusieurs mois de retard, aura donc contraint les agences à subsister plus de cinq mois sur des extensions temporaires des budgets précédents et fait planer à plusieurs reprises la menace d’un shutdown de l’administration.
Dans sa requête au Congrès, l’administration Biden avait choisi d’accorder une très large augmentation aux secteurs ne relevant pas de la défense, y compris les agences et départements scientifiques comme le département de l’Energie (DOE), les National Institutes of Health (NIH), la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) ou la National Science Foundation (NSF), en contrepartie d’une augmentation nettement plus faible des programmes de défense.
Les négociations avaient été fortement ralenties par les divergences entre les deux camps sur les domaines prioritaires de financement. Le camp républicain a finalement obtenu gain de cause et les agences de tous les secteurs ont reçu en moyenne une augmentation de 7%. Parmi les agences de R&D, le département de la Défense (DOD) est celui qui enregistre la plus forte hausse de son budget (+12%), bien loin de la NSF (+4%) ou de la NOAA (+6%) dont les nouveaux budgets ne suffisent pas à couvrir l’inflation sur l’année écoulée, estimée à 7,5%.
Le coup de force gagnant des républicains malgré les majorités démocrates dans les deux chambres du Congrès s’explique par la stratégie dite du filibuster, une technique d’obstruction parlementaire qui permet à une minorité de bloquer le passage d’une loi pourtant soutenue par la majorité. Une majorité qualifiée de 60 voix (/100) étant nécessaire pour cesser les débats autour d’un projet de loi, la méthode consiste donc à faire durer le débat le plus longtemps possible jusqu’à ce que le camp adverse cède.
Le paquet législatif prévoit également une aide financière pour l’Ukraine à hauteur de 13,6 milliards de dollars (Md$).
Dans les dernières heures précédant le vote, une aide de 15,6 Md$ pour soutenir la réponse à la pandémie de Covid-19 a dû être retirée du paquet législatif, car elle menaçait de compromettre l’ensemble du projet. Elle devrait être réintégrée dans une prochaine loi.
Malgré d’importants revers, les démocrates se sont réjouis du passage de cette loi, qui vient combler l’absence d’investissements ambitieux dans les secteurs clés négligés par la précédente administration : éducation, santé, environnement, sciences et recherche.
Détail des budgets alloués pour les agences fédérales de R&D
Bien que les agences de R&D n’aient pas obtenu les budgets escomptés par l’administration Biden, ceux-ci reflètent néanmoins certaines des grandes priorités du président à l’instar des énergies propres, du climat ou de la recherche médicale.
- DOE Office of Science : L’Office of Science du département de l’Energie (DOE), qui coordonne la recherche fondamentale en énergie et en sciences physiques, voit son budget augmenter de 6% pour atteindre 7,5 Md$, soit légèrement au-dessus du montant initialement proposé par le président.
- La loi autorise également le financement du projet international de fusion nucléaire ITER à hauteur de 242 M$, auquel les Etats-Unis apportent une contribution financière.
- Au total, plus de 20 Md$ ont été alloués à la recherche sur le changement climatique et les efforts résilience associés, principalement au DOE mais aussi dans d’autres agences fédérales.
- Autres programmes administrés par le DOE : L’administration Biden avait requis des augmentations importantes pour les programmes du DOE centrés sur l’efficacité énergétique et les énergies renouvelables. Le Congrès a finalement adopté des augmentations bien plus modestes, autour de 10%. Les programmes de recherche portant sur la physique nucléaire, la biologie et l’environnement reçoivent les plus importantes rallonges.
- NSF : Le budget de la NSF est augmenté de seulement 4% à 8,8 Md$. Cette faible revalorisation va compliquer encore un peu plus la création d’une nouvelle direction au sein de la NSF, annoncée de longue date et finalement créée le 16 mars dernier. L’étendue des prérogatives de la nouvelle direction de la technologie, de l’innovation et des partenariats est encore en discussion au Congrès. La NSF avait requis 865 M$ pour son lancement, dont la moitié serait redirigée depuis les financements existants d’autres programmes. Mais la loi de financement votée par le Congrès interdit finalement à la NSF de profiter de la fongibilité de ses crédits pour alimenter la nouvelle direction. Les modalités exactes de financement devraient être tranchées dans le cadre de la réconciliation des deux paquets législatifs actuellement en cours de finalisation au Congrès (USICA et America COMPETES Act, voir infra).
- NASA : Le budget global de la NASA augmente de 4%, et la direction des sciences planétaires voit ses financements rehaussés de 16% (+420 M$).
- NIST : Le budget du National Institute of Standards and Technology, l’agence fédérale chargée de la mise au point de normes et de standards technologiques, enregistre une hausse de 20% pour atteindre 1,2 Md$. Parmi les activités centrales du NIST, le Congrès a choisi d’accorder la priorité aux programmes d’intelligence artificielle, de normes de construction, de mesure des gaz à effet de serre, de médecine légale et de cybersécurité.
- NOAA : Le budget alloué à la NOAA est bien inférieur à la proposition initiale, avec une augmentation de seulement 6%.
- Département de la Défense : Les efforts du camp républicain pour sauvegarder les budgets de la défense ont permis de financer les programmes de R&D du département de la Défense à des niveaux parmi les plus élevés jamais enregistrés. Parmi les budgets de R&D, celui du DOD est même celui qui enregistre la plus forte hausse, de 11%, pour atteindre 123 Md$, alors que l’administration Biden tablait sur une diminution de ces budgets. La plupart de ces financements sont utilisés pour les prototypages de dernière phase et les essais.
- Le budget de la Defense Advanced Research Project Agency (DARPA), une agence indépendante du DOD spécialisé dans la R&D des nouvelles technologies à usage militaire, augmente quant à lui de 10% à 3,8 Md$.
- NIH : Les NIH voient leur budget augmenter de 2 Md$ pour atteindre 45 Md$, répartis à travers les 17 instituts qui reçoivent chacun une augmentation de 3%. Le projet de création d’une nouvelle agence de recherche biomédicale de pointe, l’Advanced Research Projects Agency for Health (ARPA-H), ne devrait finalement recevoir que 1 Md$, très loin des 6,5 Md$ requis par le président Biden l’année dernière. Au sein de la communauté scientifique, les avis restent partagés sur l’opportunité du rattachement de l’ARPA-H à la superstructure des NIH, dont certains estiment la bureaucratie incompatible avec la “culture DARPA” dont s’inspire l’ARPA-H et qui nécessite la plus grande autonomie. Il est néanmoins probable que l’ARPA-H voie le jour sous l’égide des NIH, selon la volonté de l’administration Biden, avec toutefois des garanties d’indépendance
De nouveaux financements pour la R&D à anticiper dans les prochaines semaines
D’autres mesures de dépenses spéciales pourraient venir compléter les budgets de recherche de cette année. Le financement de la R&D dans le domaine des semi-conducteurs et le soutien à cette industrie devraient être adoptés prochainement dans le cadre de l’America COMPETES Act of 2022, un paquet de politiques d’innovation voté en février à la Chambre des représentants et élaboré à partir d’un projet de loi voté en juin 2021 par le Sénat, l’U.S. Innovation and Competition Act (USICA). Une partie du financement des agences scientifiques pourrait également être assurée par une version relancée du projet Build Back Better Act, qui n’a jamais passé le Sénat, mais ces perspectives demeurent très incertaines pour le moment.
La proposition de budget pour l’année fiscale 2023 a été soumise le 28 mars par le président Biden. Elle devrait être discutée par le Congrès dans les prochaines semaines.
Rédacteur :
Julian Muller, Attaché adjoint pour la Science et la Technologie à Washington DC – [email protected]