Une nouvelle donne pour le financement de la recherche

Début mars, la place de la science et le financement de la recherche par le gouvernement fédéral ont été au coeur d’une série d’auditions menées par la sous-commission du Commerce, de la Justice et des Sciences de la Commission des Appropriations de la Chambre des Représentants. Les membres de la sous-commission ont interrogé et recueilli les témoignages de huit experts indépendants du Gouvernement qui ont dressé un état des lieux teinté d’inquiétude à l’idée que les Etats-Unis soient en perte de vitesse sur la scène internationale. Mais le propos était également empreint d’optimisme en raison des évolutions récentes et notamment de l’adoption du plan de relance américain qui injecte 21,5 milliards de dollars dans la recherche et le développement. Les débats ont eu lieu dans un climat particulièrement favorable, les membres de la sous-commission étant largement acquis à la cause de la place de la science aux Etats-Unis.

Quantité doit rimer avec stabilité et prévisibilité

La commission des appropriations étant en charge de l’allocation des crédits fédéraux, les discussions ont largement porté sur le montant optimal des financements consacrés à la recherche.

La plupart des experts s’accordent sur le fait que le doublement des budgets de la NSF (National Science Foundation), du NIST (National Institute for Standards and Technology) et de l’Office of Science du Department of Energy prévu par l’"America COMPETES Act" de 2007 ne devait constituer qu’une base de départ à partir de laquelle il convenait d’évoluer. Interrogés par Alan B. Mollohan (D – Virginie Occidentale), le Président de la sous-commission, les intervenants se sont également prononcés en faveur d’un doublement du budget "Sciences" de la NASA ("National Aeronautics and Space Administration") et de la NOAA ("National Oceanic and Atmospheric Administration"). Ils ont cependant mis en garde contre un doublement rapide qui serait suivi d’une stagnation comme cela a été le cas pour les NIH ("National Institutes of Health"). Cela a en effet entraîné une diminution importante du taux de succès aux appels d’offres pour les subventions. Pour Ralph Cicerone, President de la "National Academy of Sciences", les mesures à prendre dans l’établissement du budget doivent ainsi s’accompagner de mesures relatives à la gestion du budget par les agences.

Le Représentant John Culberson (R-Texas) a insisté sur l’importance d’arriver à des budgets prévisibles et stables, allant jusqu’à affirmer que le succès des Etats-Unis dépend largement du succès de la NSF. Reprochant aux agences fédérales leur manque de crédibilité, M. Culberson a offert de proposer l’adoption d’un texte permettant de créer un groupe d’experts indépendants afin de conseiller la commission des appropriations dans la détermination des crédits affectés à la recherche.

De l’omniprésence à l’établissement de priorités

Les experts semblent convaincus que les Etats-Unis sont en passe de se faire rattraper dans certains domaines. Ralph Cicerone, President de la "National Academy of Sciences" pense notamment que, dans le domaine des sciences physiques, les européens pourraient bientôt devancer les américains. En outre, malgré le climat favorable, les financements fédéraux ne sont pas infinis. Les Etats-Unis vont donc devoir établir des priorités. Pour Norman Augustine, ancien PDG de Lockheed Martin, les Etats-Unis doivent absolument garder la première place dans les technologies de l’information, les nanotechnologies, les biotechnologies et la médecine. M. Cicerone considère cependant que dans les domaines où les Etats-Unis seront amenés à perdre leur place de leader, il faudra maintenir des niveaux de financements suffisants pour ne pas se faire distancer par une trop grande marge et rester capable d’identifier et de profiter des grandes avancées scientifiques.

De l’hégémonie à la coopération

Afin de rester associés aux grandes découvertes, les Etats-Unis vont également devoir renforcer la coopération avec les pays étrangers, notamment pour les programmes très onéreux par exemple dans les domaines de la physique des hautes énergies ou des programmes spatiaux. Le cas de la Chine, qui va très certainement poser le pied sur la Lune avant que les Américains n’y retournent, inquiète particulièrement. Si certains se sont prononcés en faveur d’un coopération avec la Chine, le Représentant Wolf (R – Virginie) s’y oppose catégoriquement.

La montée en puissance de pays comme la Chine ou l’Inde présente un autre problème pour les Etats-Unis. En effet, depuis longtemps, la force de ces derniers repose essentiellement sur des scientifiques étrangers et 65% des doctorants en ingénierie sont d’origine étrangère. Alors que de plus en plus d’opportunités s’offrent à ces scientifiques dans leur pays d’origine, il leur est devenu plus difficile de travailler aux Etats-Unis depuis 2001. Pour que les Etats-Unis ne perdent pas cette richesse et restent compétitifs, il faut donc qu’ils conservent et créent des opportunités pour les étudiants étrangers en mastère et doctorat.

Cette dépendance des Etats-Unis vis-à-vis des chercheurs d’origine étrangère vient en partie du fait que la population américaine ne compte pas assez de scientifiques.

Mieux former les jeunes générations

Ainsi, cette audition a également été l’occasion de rappeler la nécessité d’améliorer l’enseignement scientifique au primaire et au secondaire pour produire les scientifiques de demain mais également pour fournir à la population la culture scientifique nécessaire pour comprendre le monde qui les entoure.

Les recommandations données par les experts ont été entendues à maintes reprises auparavant : intéresser les élèves dès leur plus jeune âge, mettre l’accent sur l’apprentissage de l’algèbre, étendre la possibilité de faire des expériences en classe, mieux former les enseignants et renforcer le développement professionnel et réformer les standards d’évaluations des élèves devenus trop lourds depuis la réforme "No Child Left Behind".

La difficulté d’une réforme découle en grande partie du fait qu’il n’existe pas de système national d’éducation mais qu’il existe un véritable patchwork de standards et de programmes. Suivant une recommandation de Norman Augustine, le Représentant Wolf a proposé de déposer un amendement pour nommer une commission afin de mener une enquête et d’identifier où sont les points forts en matière d’enseignement au primaire et au secondaire et ce qu’ils ont en commun. Norman Augustine a accepté de servir dans cette commission.

Quelles perspectives pour l’avenir ?

La plupart des idées soulevées lors de l’audition figurait déjà dans le rapport "Rising Above the Gathering Storm" publié en 2006 par les "National Academies". Malgré la volonté politique de certains, dans les faits, il n’y avait pas eu de grandes avancées dans la mise en oeuvre de ces recommandations en raison notamment de l’opposition de l’Administration Bush. Les choses ont changé avec l’arrivée au pouvoir d’une nouvelle Administration et l’adoption du plan de relance, qui a redonné espoir à la communauté scientifique après 8 années particulièrement difficiles.

D’après Norman Augustine, qui avait présidé la commission en charge du rapport "Rising Above the Gathering Storm", trois enjeux majeurs restent cependant à régler :
– une continuité dans le financement de la recherche, une injection unique pouvant s’avérer contreproductive puisque les enjeux sont à long terme.
– il faut davantage d’enseignants avec un diplôme dans la matière qu’ils enseignent.
– la communauté scientifique et universitaire doit maintenant produire des résultats qui justifient les financements qui leur sont octroyés.

Les derniers développements semblent confirmer que le Président Obama prendra le contre-pied de l’Administration Bush et fera ce qui est en son pouvoir pour favoriser la science. En début de semaine, il a signé un décret autorisant le financement fédéral de la recherche sur les cellules souches embryonnaires (voir plus haut la brève consacrée à ce sujet) ainsi qu’une directive visant à garantir l’intégrité scientifique dans la prise de décision politique. En outre, il a brossé les grands traits de sa réforme de l’éducation dans une déclaration très prometteuse.

Source :

– Auditions devant la Sous Commission des Appropriations pour la Commerce, la Justice et la Science :
– "Science Education" – Bill NYE "The Science Guy", Dr. Harold PRATT Former President, National Science Teachers Association – 05/03/2009
– "Where Are We Today: Today’s Assessment of "The Gathering Storm"" – Norman AUGUSTINE, Former Chairman & CEO, Lockheed Martin – 05/03/09
– "The Place of NOAA Science & the National Institute of Standards & Technology in the Overall Science Enterprise" – Dr. Susan AVERY Director, Woods Hole Oceanographic Institution, Dr. James W. Serum President, SciTek Ventures – 04/03/2009
– "The Place of NASA & the National Science Foundation in the Overall Science Enterprise" –
Dr. Lenard FISK, University of Michigan, Former NASA Associate Administrator for Space Science and Applications, Dr. Samuel M. RANKIN III, Associate Executive Director, American Mathematical Society, – 03/03/09
– "Science Overview" – Ralph CICERONE, President, National Academy of Sciences – 03/03/09
– "Les universités et l’industrie plaident pour le financement de l’America COMPETES Act" – Estelle BOUZAT – BE Etats-Unis 132 – 05/09/2008 – https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/55840.htm
– "Le budget fédéral 2008 dédié à la recherche et aux universités se réduit comme une peau de chagrin" – Estelle BOUZAT – BE Etats-Unis 108 – 25/01/2008 – https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/52814.htm

Pour en savoir plus, contacts :

– Commission des Appropriations de la Chambre des Représentants – https://appropriations.house.gov/
– "Rising Above the Gathering Storm: Energizing and Employing America for a Brighter Economic Future" – The National Academies Press – 2007 – https://www.nap.edu/catalog.php?record_id=11463
– "Rising Above the Gathering Storm Two Years Later: Accelerating Progress Toward a Brighter Economic Future" – National Research Council – The National Academies Press – 2009 – https://www.nap.edu/catalog.php?record_id=12537
Code brève
ADIT : 58165

Rédacteur :

Estelle Bouzat – [email protected]

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