La science quantique est très prometteuse pour de nombreuses applications technologiques telles que la construction des réseaux de communication résistants au piratage ou encore des ordinateurs quantiques permettant d’accélérer les découvertes de nouveaux médicaments. Ces applications nécessitent une version quantique d’un bit informatique, connu sous le terme « qubit », et qui mémorise l’information quantique.
Mais les scientifiques recherchent toujours comment lire l’information présente dans ces qubits qui se caractérisent par une mémoire, ou « cohérence », d’une durée extrêmement limitée, de l’ordre de quelques micro- ou millisecondes.
Une équipe scientifique de l’Université de Chicago a récemment réalisé deux découvertes majeures pour surmonter ces défis posés aux systèmes quantiques. Ils ont été capables de lire les informations quantiques à la demande, et de conserver l’état quantique intact au- delà de cinq secondes – un nouveau record pour cette catégorie d’appareils. De plus, ils ont fabriqué des qubits à partir d’un matériau facile à utiliser, le carbure de silicium, que l’on trouve dans les ampoules, les véhicules électriques et l’électronique de haute tension.
« C’est inhabituel de disposer d’une information quantique préservée à cette échelle de temps » a déclaré David Awschalom, Professeur d’Ingénierie Moléculaire et de Physique à l’Ecole Pritzker d’Ingénierie Moléculaire de Chicago, chercheur au Laboratoire National d’Argonne et investigateur principal du projet. « Cinq secondes, c’est suffisamment long pour envoyer un signal lumineux à la lune et qu’il nous revienne. C’est très puissant si l’on pense à la transmission de l’information d’un qubit à quelqu’un à l’aide de la lumière. Cette lumière renverra correctement l’état qubit même après avoir fait le tour de la terre presque quarante fois – ouvrant ainsi la voie à la construction d’un internet quantique distribué. » En créant un système qubit qui puisse être fait d’électronique existante, les chercheurs espèrent ouvrir un nouveau champ d’innovation quantique qui soit à la fois développable à grande échelle et bon marché. « Ceci place au premier plan le carbure de silicium comme support de communication quantique », indique la doctorante Elena Glen, co-première auteure de la publication. « C’est très stimulant car facile à mettre à l’échelle, parce que nous savons déjà fabriquer des composants avec ce matériau. »
« Dix mille fois plus de signal »
La première ambition des chercheurs était de faire des qubits en carbure de silicium plus faciles à lire.
Nos ordinateurs (classiques) nécessitent un système de lecture de l’information encodée dans ses bits. Pour les qubits en semi-conducteurs tels que ceux utilisés par l’équipe, la méthode habituelle de lecture est d’éclairer les qubits avec des lasers et de mesurer la lumière émise. Ce processus est néanmoins un défi car il nécessite de détecter, de manière efficace, des particules unitaires de lumière appelées photons.
A la place, les chercheurs ont utilisé des impulsions laser soigneusement conçues pour ajouter un électron à leur qubit, selon son état initial, « 0 » ou « 1 ». Ensuite, la lecture du qubit est réalisée de la même manière qu’avant – avec un laser. « Seulement maintenant, la lumière émise reflète l’absence ou la présence de l’électron et ceci avec 10 000 fois plus de signal. », a déclaré Elena Glen. « En convertissant notre état quantique fragile en des charges électroniques stables, nous pouvons mesurer cet état bien plus facilement. »
« Avec cette amplification énorme du signal, nous pouvons obtenir une réponse fiable à chaque fois que nous vérifions l’état du qubit », a expliqué Glen. « Ce type de mesure est appelé « lecture mono-coup » et, avec elle, nous pouvons dépasser de nombreux verrous en technologies quantiques. »
Equipés de cette nouvelle méthode de lecture mono-coup, les scientifiques ont pu se concentrer sur l’obtention d’une durée des états quantiques aussi longue que possible, un défi notoire pour les technologies quantiques car les qubits perdent facilement leur information, à cause des bruits de fond environnants.
Les chercheurs ont produit des échantillons de carbure de silicium hautement purifiés, ce qui leur a permis de réduire les bruits de fond parasitant le fonctionnement des qubits. Ensuite, en appliquant une série d’impulsions microondes au qubit, ils ont augmenté le temps de conservation de l’information par le qubit, un concept appelé « cohérence ».
« Ces impulsions découplent le qubit des sources de bruit environnantes et réduisent les erreurs associées, en inversement rapidement l’état quantique du qubit », a précisé Chris Anderson, titulaire d’un doctorat en 2020 et co-premier auteur de la publication. « Chaque impulsion fonctionne comme si l’on appuyait sur le bouton « annuler » de notre qubit, effaçant ainsi toute erreur qui aurait pu apparaître entre deux impulsions. »
Les chercheurs pensent maintenant qu’il sera possible d’atteindre des cohérences de plus longue durée. Un allongement de cette cohérence a des implications importantes, telles que la complexité d’une opération que peut traiter un ordinateur quantique ou encore l’intensité minimale de signal que des capteurs quantiques peuvent détecter. « Par exemple, ce nouveau record de cohérence signifie qu’il est maintenant possible de réaliser plus de 100 millions d’opérations avant que l’état quantique soit brouillé », a déclaré Anderson.
Les scientifiques voient de multiples applications possibles aux nouvelles techniques qu’ils ont développées. « La capacité de réaliser une lecture mono-coup rend maintenant possible une nouvelle opportunité : l’utilisation de la lumière émise à partir de qubits en carbure de silicium pour aider à développer un futur internet quantique, » a indiqué Glen. « Des opérations aussi essentielles que l’intrication quantique, dans laquelle l’état quantique d’un qubit peut être connu en lisant celui d’un autre qubit, sont maintenant possibles pour des systèmes basés sur le carbure de silicium. »
« Nous avons finalement construit un transducteur pour passer des états quantiques au royaume des électrons, qui sont le langage classique de l’électronique, à l’instar de ce qui est présent dans les smartphones », a indiqué Anderson. « Nous voulons créer une nouvelle génération de dispositifs qui soient sensibles à des électrons individuels mais qui hébergent aussi des états quantiques. Le carbure de silicium peut faire les deux, c’est ce qui est brillant ! »
Sources :
https://news.uchicago.edu/story/uchicago-researchers-set-record-preserving-quantum-states-more-five-seconds
https://science.org/doi/10.1126/sciadv.abm5912
Article rédigé par : Jean-Paul Lallès, Attaché à la Science et la Technologie au Consulat
général de France à Chicago; [email protected]