Un vaccin contre la COVID-19 à moins de 2,50 euros par dose ?

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Alors que nous sommes au cœur de la vague de COVID-19 alimentée par le variant omicron, la cartographie mondiale des personnes vaccinées indique de fortes disparités entre les pays industrialisés – globalement vaccinés (plus de 60% aux Etats-Unis[1]) – et les autres (40% voire beaucoup moins[2]). Et ce, malgré la mise en œuvre d’ ACT-A  (l’Access to COVID-19 Tools Accelerator ou l’accélérateur d’accès aux outils COVID-19), impulsé par la France et piloté par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS)[3], et le pilier dédié à la vaccination, COVAX[4]. En plus des gestes barrières désormais familiers mais plus ou moins adoptés, de nouveaux traitements et vaccins issus de la recherche – et à des coûts accessibles – sont attendus par les autorités de santé, en vue de juguler cette pandémie.

Initialement établi à Washington DC en 2000, puis relocalisé au Texas Medical Center en 2011, le Texas Children’s Center for Vaccine Development (CVD, voir l’annexe) est un organisme à but non lucratif dédié depuis les deux dernières décennies à faire progresser la recherche sur les vaccins contre les maladies infectieuses négligées et émergentes liées à la pauvreté (dont les coronavirus)[5].

Sous la direction conjointe du Dr Peter Hotez[6] et du Dr Maria Elena Bottazzi, le CVD avait déjà travaillé sur le SRAS, une souche de coronavirus qui avait fait son apparition en 2003[7]. Fin 2019, lorsque le SARS-Cov-2, un autre coronavirus, a déclenché la pandémie de la Covid19, le programme de recherche vaccinale a été relancé[8]. Le choix s’est porté sur une technologie vaccinale éprouvée[9], déjà utilisée pour la production de vaccins depuis plusieurs décennies[10].

Selon P. Hotez et M. Bottazzi, leur approche n’était pas particulièrement innovante surtout en comparaison de celle utilisée pour les vaccins à ARN messager. Aussi, les agences fédérales n’ont pas été très réceptives à cette dernière, et  sans le soutien de l’ « Opération Warp Speed » dotée de 18 milliards de dollars[11], le CVD s’est donc tourné vers des mécènes – principalement texans – pour couvrir les coûts de développement, estimés à environ 7 millions de dollars.

Développé en partenariat avec l’Inde, les résultats des deux essais cliniques de phase III réalisés sur plus de 3000 sujets âgés de 18 à 80 ans sur 33 sites ont montré une efficacité de 90 % pour prévenir la maladie causée par la souche originale du virus COVID-19, et à 80 % contre le variant delta, d’après Biological E. Limited, l’entreprise indienne qui produit le vaccin. Corbevax est encore en cours de test contre le variant omicron[12],[13]. Selon cette étude – non encore publiée- le vaccin se serait révélé sûr, bien toléré et immunogène.

Ce vaccin, dont le coût estimé serait d’environ 2.20 € (2.50 $) par dose, vient d’obtenir une attestation d’utilisation d’urgence par l’agence indienne du médicament (Drugs Controller General of India ou DGCI). Le fabriquant indien Biological E. Limited de son côté, annonce pouvoir produire 100 millions de doses par mois et aurait déjà vendu 300 millions de doses au gouvernement indien.

Corbevax utilise une technologie éprouvée (vaccin à protéine) et est également libre de droits, comme souhaité par les 2 chercheurs, ce qui le rend tout à fait accessible, avec un coût estimé à environ 2.20 € (2.50 $) par dose. Corbevax est également relativement facile à produire, il se conserve dans des conditions standards, et apparait particulièrement adapté pour un déploiement dans les pays du Sud[14].

Corbevax est le fruit d’une initiative de chercheurs qui combinent plus de quarante années d’expertise sur les coronavirus, d’expérience en développement de vaccins, et de coopération internationale à haut niveau. Rappelons à ce titre que Peter Hotez était l’envoyé scientifique spécial sous le Président Obama pour le Moyen-Orient et l’Afrique du nord[15]. Des discussions sont en cours entre Peter Hotez et l’OMS pour ajouter ce vaccin à l’arsenal vaccinal à destination des pays les moins développés.

Ces résultats annoncés (mais non encore publiés) indiquent que Corbevax pourrait être un vaccin accessible au plus grand nombre, et donc devenir un outil de « diplomatie vaccinale »[16], en permettant d’éteindre plus rapidement les foyers de cas de COVID-19 dans les pays moins industrialisés,  s’ils se trouvent en capacité de pouvoir également le produire. A court terme, l’une des prochaines étapes sera de voir si Corbevax est ajouté à la liste des autorisations d’urgence de l’OMS, après Covovax (du Serum Institute of India, accepté le 17 décembre 2021), et Nuvaxovid (de Novavax, accepté le 20 décembre 2021)[17].

 

Renaud Seigneuric, Attaché pour la Science et la Technologie (Houston)

Annexe

Peter J. Hotez, M.D., Ph.D. est doyen de l’École nationale de médecine tropicale ; professeur aux Départements de pédiatrie et de virologie et microbiologie moléculaires au Baylor College of Medicine. Il est aussi co-directeur du Centre de développement de vaccins de l’hôpital pour enfants du Texas, et rédacteur en chef fondateur du journal PLOS Neglected Tropical Diseases (Maladies tropicales négligées).[18]

Maria Elena Bottazzi, Ph.D. est doyen associée de l’école nationale de médecine tropicale ; professeure aux Départements de pédiatrie (médecine tropicale) et de virologie et microbiologie moléculaires, programme de sciences moléculaires et biomédicales intégratives, et programme de biologie translationnelle et de médecine moléculaire au Baylor College of Medicine. Elle est codirectrice du Centre de développement de vaccins de l’hôpital pour enfants du Texas à Houston.[19]

Texas Children’s Center for Vaccine Development (CVD) : Établi initialement à Washington DC en 2000, puis relocalisé au Texas Medical Center en 2011 afin de pouvoir bénéficier de l’écosystème local, le CVD a acquis au cours des deux dernières décennies une réputation internationale comme organisation à but non lucratif, faisant progresser les vaccins contre les maladies négligées et émergentes liées à la pauvreté. Sous la direction conjointe du Dr Peter Hotez et du Dr Maria Elena Bottazzi, le CVD plaide pour la « diplomatie vaccinale » en co-développant des vaccins en partenariat avec des nations étrangères.[20]

Biological E. Limited (BE) : est une entreprise pharmaceutique (fondée en 1953) produisant des vaccins depuis 1962. Située à Hyderabad, pionnière de la production d’héparine en Inde, elle est la première entreprise de produits biologiques du secteur privé en Inde et la première société pharmaceutique du sud de l’Inde. BE développe, fabrique et fournit des vaccins et des produits thérapeutiques. Elle fournit ses vaccins à plus de 100 pays et ses produits thérapeutiques sont vendus en Inde et aux États-Unis. BE compte actuellement 8 vaccins préqualifiés par l’OMS dans son portefeuille.[21]

 

Références

[1] https://covid.cdc.gov/covid-data-tracker/#vaccinations_vacc-total-admin-rate-total

[2] https://www.npr.org/sections/goatsandsoda/2021/12/30/1068920127/the-goal-at-least-40-vaxxed-in-all-nations-by-year-end-this-map-shows-how-we-sta

[3] https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2021/09/25/linitiative-act-a-une-reponse-solidaire-et-coordonnee-a-la-crise-de-la-covid-19

[4] En 2021, dans le cadre de COVAX, l’UNICEF a expédié plus de 560 millions de doses de COVID-19 dans 144 pays, https://www.unicef.org/appeals/act-a

[5] Le CVD est affilié au Baylor College of Medicine et au Texas Children’s Hospital

[6] L’un des intervenants du Symposium COVID-19 organisé par le Service Scientifique et le Baylor College of Medicine

[7] Même si le candidat vaccin semblait prometteur, l’épidémie de SRAS s’étant éteinte assez rapidement, il n’y avait finalement pas eu besoin de produire le vaccin.

[8] Dont la séquence a été disponible début 2020

[9] La production de protéines recombinantes chez la levure

[10] Le virus SRAS-CoV-2 utilise une protéine à la surface des cellules, la protéine « spike », pour pénétrer dans les cellules, les infecter et se multiplier. Le nouveau vaccin Corbevax fait partie de la famille de vaccins qui vise à présenter une partie de cette protéine spike à l’organisme afin qu’il la reconnaisse comme une menace, et développe ainsi une réponse immunitaire si par la suite le virus entier tente d’infecter le corps.

[11]  Pour rappel, le 30 avril 2020, le président Trump avait confirmé l’existence d’un programme intitulé « Operation Warp Speed » ayant pour objectif d’accélérer la production d’une dizaine de vaccins -estimés les plus prometteurs- afin d’obtenir 300 millions de doses pour janvier 2021.

[12] https://www.texaschildrens.org/texas-children%E2%80%99s-hospital-and-baylor-college-medicine-covid-19-vaccine-technology-secures-emergency

[13] https://www.npr.org/sections/goatsandsoda/2022/01/05/1070046189/a-texas-team-comes-up-with-a-covid-vaccine-that-could-be-a-global-game-changer

[14] L’un des inconvénients de la technologie utilisée pour développer CORBEVAX est qu’elle ne peut pas être modifiée aussi rapidement que les vaccins à ARN messager pour s’adapter à de nouveaux variants. Cependant, l’hypothèse est qu’une certaine protection est préférable à l’absence de protection, même si bien sûr l’idéal serait une couverture large et une capacité d’adapter rapidement le vaccin à de nouvelles séquences.

[15] US Science Envoy for the Middle East and North Africa

[16] Comme détaillé par Peter Hotez dans son dernier livre «Preventing the Next Pandemic: Vaccine Diplomacy in a Time of Anti-science » (2021)

[17] https://extranet.who.int/pqweb/vaccines/vaccinescovid-19-vaccine-eul-issued

[18] https://www.bcm.edu/people-search/peter-hotez-23229, https://peterhotez.org/

[19] https://www.bcm.edu/people-search/maria-bottazzi-18431

[20] https://www.texaschildrens.org/texas-children%E2%80%99s-hospital-and-baylor-college-medicine-covid-19-vaccine-technology-secures-emergency

[21] https://www.biologicale.com/

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