Un appel controversé à la recherche sur la géo-ingénierie glaciaire

Crédits photo : Heidi Sevestre, Glaciers on the move

Les glaciers sont au coeur de la question climatique : leur retrait s’accélère partout dans le monde, et l’effondrement dont sont menacés certains grands glaciers côtiers  à un horizon incertain entre quelques décennies et quelques siècles (en particulier  au Groenland et dans l’ouest de l’Antarctique)  représenterait un “point de basculement” (tipping point) du climat planétaire, en provoquant une élévation du niveau des océans de plusieurs mètres, ainsi que le dérèglement des courants océaniques,  régulateur essentiel de la température à l’échelle du globe [1]. Davantage que le réchauffement de l’atmosphère, c’est celui des océans qui menace le plus immédiatement ces grands glaciers côtiers. 

Le 11 juillet 2024, la Climate Systems Engineering Initiative [2] de l’université de Chicago (établie en octobre 2023 avec la mission de “comprendre les bénéfices, les risques et la gouvernance des technologies susceptibles de réduire les impacts des gaz à effet de serre accumulés”) a produit un  “white paper” intitulé Glacial Climate Intervention: A Research Vision [3]. Ce travail est co-signé par des chercheurs de l’université de Stanford, du MIT, de la NASA, ainsi que de l’Université de Laponie en Finlande et de l’Alfred Wegener Institut en Allemagne. Il fait suite à des ateliers de chercheurs aux universités de Chicago et de Stanford et à des consultations publiques menées au cours des dix derniers mois.

Ce document appelle à une “initiative majeure” de recherche sur les modes d’intervention envisageables pour ralentir la fonte et repousser l’effondrement de ces glaciers, et propose un agenda de recherche pour la décennie à venir. 

Deux approches sont principalement envisagées : 

  • construire des “rideaux” pour isoler les glaciers côtiers des océans, et empêcher ainsi les eaux chaudes de venir les saper à  leur interface avec leurs socles rocheux. Face aux objections sur le coût d’une telle solution, ses défenseurs soulignent qu’il faut le comparer à celui de la construction de digues pour protéger toutes les villes côtières de l’élévation du niveau de la mer ;
  • pomper ou geler l’eau liquide qui se forme sous les glaciers et faciliter leur glissement vers la mer [4].

Les inconnues sont très nombreuses quant à l’efficacité, l’impact sur l’environnement et les écosystèmes côtiers et, le cas échéant, sur les populations autochtones, de chacune de ces deux approches.

Comme tous les documents déjà publiés pour défendre les recherches dans d’autres domaines de la géo-ingénierie (terme en général évité au profit de celui, moins connoté, “d’intervention sur le climat”), ce White Paper insiste bien sur le fait qu’on ne parle pas de déploiement opérationnel – il s’agit de se donner les moyens de prendre des décisions éclairées d’ici une trentaine d’années. Il souligne l’importance d’une approche pluridisciplinaire et de l’implication des communautés autochtones concernées. Il   rappelle que la priorité doit rester la réduction des émissions de gaz à effet de serre, sachant  que le forçage radiatif [4] dû aux gaz déjà présents dans l’atmosphère continuera de causer une élévation du niveau de la mer pendant des décennies même si l’on arrive à atteindre l’objectif d’émissions nettes nulles en 2050. Il faut donc intervenir pour en limiter les effets.

Et comme toutes les autres approches de la géo-ingénierie,  l’intervention climatique glaciaire fait l’objet d’oppositions, quant au coût d’opportunité des recherches à mener, voire quant à leur principe même, au vu de la distraction qu’elles constituerait par rapport aux efforts de réduction des émissions de gaz à effet de serre et de l’”aléa moral” qu’introduirait l’illusion d’une solution de dernier recours.

 

Rédacteur : Joaquim Nassar, attaché pour la Science et la Technologie, ambassade de France à Washington DC

[email protected] 

 

Références

[1] La France a voulu attirer l’attention mondiale sur l’urgence de l’enjeu des glaciers en convoquant le One Planet Polar Summit le 8 novembre 2023.

[2] https://epic.uchicago.edu/events/event/climate-systems-engineering/

[3] https://climateengineering.uchicago.edu/wp-content/uploads/2024/05/Glacial-Climate-Intervention_A-Research-Vision.pdf

[4] technique popularisée par le roman “The Ministry for the Future” de Kim Stanley Robinson (2020)

[5] Déséquilibre entre l’énergie lumineuse nette reçue du Soleil (prenant en compte la fraction directement réfléchie par les nuages ou les surfaces) par la Terre et l’énergie réémise sous forme rayonnement infrarouge. Le forçage radiatif augmente avec l’effet de serre et provoque l’élévation de la température de la Terre jusqu’à ce que l’équilibre entre énergie reçue et énergie réémise soit restauré. 

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