State of the Science”: Le leadership des Etats-Unis menacé?

Dans son discours inaugural sur l'état de la science, la présidente de la National Academy of Sciences, Marcia McNutt, a fait une analyse documentée de l'écosystème mondial en recherche et développement, et recommandé une série d'actions visant à protéger et à renforcer le leadership mondial des États-Unis dans le domaine des sciences. L'amélioration de l'enseignement des sciences de la maternelle à la terminale afin d'accroître la main-d'œuvre nationale dans le domaine des STIM (Sciences, Technologies, Ingénierie et Mathématiques), la modernisation des partenariats entre les universités et l'industrie, l'élaboration d'une stratégie nationale pour la recherche ainsi que le renforcement des collaborations internationales figurent parmi ses recommandations phares.

Discours sur l’état des sciences de Marcia McNutt prononcé à la National Academy of Sciences le 26 juin 2024 (crédit: NAS)

 

S’exprimant le 26 juin dans le bâtiment historique de la National Academy of Sciences (NAS) à Washington, Marcia McNutt a présenté une analyse du leadership des États-Unis en matière de recherche et de développement au niveau mondial, identifiant à la fois les tendances inquiétantes et les mesures que la nation américaine devrait prendre pour s’assurer que sa science reste forte.

 

« La science américaine est perçue comme étant – et est – en train de perdre la course au leadership mondial en matière de STIM », a déclaré Mme McNutt. Toutefois, elle s’est dite convaincue que le pays peut contrer cette tendance en adaptant son modèle de R&D à l’environnement de recherche émergent. « Notre pays a une remarquable capacité à s’adapter, à apprendre et à essayer de nouvelles choses” [1].  

 

Les données sur le statut du leadership scientifique américain révèlent des « tendances très inquiétantes », selon Mme McNutt. Par exemple, alors que les États-Unis investissent toujours le plus d’argent dans la R&D, la Chine est désormais sur le point de les dépasser (“China is now on track to exceed US in R&D expenditures”). Ces investissements produisent des résultats concrets: la part mondiale des médicaments en phase I à III en Chine est passée de 4% en 2013 à 28%, et en ce qui concerne le nombre de brevets, la Chine a dépassé les États-Unis vers 2015 et est en train de connaître une ascension fulgurante.

 

Mme McNutt plaide en faveur d’une nouvelle ère de soutien sociétal à la science, qu’elle baptise « The Endless Frontier 2.0 » (la frontière sans fin 2.0), afin que le gouvernement nourrisse l’entreprise scientifique. Ce discours représente une nouvelle tentative de la part des dirigeants de la communauté scientifique d’attirer l’attention sur les défis et les opportunités auxquels est confrontée la recherche américaine [2]. Les principales recommandations sont les suivantes:

 

1) Former la main-d’œuvre scientifique de demain

 

L’un des dangers, a souligné Mme McNutt, est que la science américaine est devenue exceptionnellement dépendante des étudiants étrangers. Après avoir terminé leurs études, 65% des étudiants étrangers restent aux États-Unis pendant au moins 10 ans. Les personnes nées à l’étranger représentent actuellement 19% de l’ensemble des travailleurs américains dans les STIM et 43% des travailleurs de ce secteur sont titulaires d’un doctorat.

 

Cette situation ne devrait toutefois pas durer. « À mesure que les pays étrangers augmentent leurs investissements dans la R&D, il sera plus difficile de faire venir des étudiants étrangers, de les faire étudier et de les faire rester ici », a déclaré Mme McNutt. « Nous devons donc commencer à tirer parti de toute la créativité de l’Amérique”.

 

Pour développer la main-d’œuvre nationale dans le domaine des STIM, il est essentiel d’améliorer l’enseignement des sciences de la maternelle à la terminale, a expliqué Mme McNutt. Actuellement, plus de 35% des élèves américains de niveau 4eme ne maîtrisent pas les mathématiques selon les normes américaines. Selon les normes internationales, les États-Unis se classent en milieu de peloton en sciences et en dessous de la moyenne en mathématiques. Une des explications données est que les enseignants ont des classes très chargées et ne savent pas toujours quelle est la meilleure façon d’enseigner un contenu avec lequel ils ne sont pas forcément à l’aise. De plus, l’éducation reste un domaine sous-financé aux Etats-Unis, notamment au niveau des institutions du primaire et du secondaire. 

 

Trop souvent, la science est enseignée comme une liste de faits plutôt qu’un processus qui implique un apprentissage continu, a déclaré Mme McNutt. Elle préconise de nourrir davantage la curiosité innée des enfants et de les aider à apprendre en étant réellement des scientifiques. En outre, les nouvelles technologies telles que l’intelligence artificielle pourraient aider les enseignants surchargés et améliorer l’apprentissage des  élèves dans les sciences.

 

Dans le même temps, les États-Unis devraient s’efforcer, selon elle, de continuer à attirer les talents internationaux en réduisant les obstacles pour les étudiants nés à l’étranger qui souhaitent venir. Depuis 2015, les étudiants de nombreux pays, du Canada au Pérou, se heurtent de plus en plus souvent à des refus lorsqu’ils tentent d’obtenir un visa F-1. « C’est un problème que nous devons absolument résoudre », a déclaré Mme McNutt. De plus, ceux qui choisissent de rester, devraient être davantage aidés pour obtenir des permis de travail. Elle a souligné les avantages économiques de l’immigration, citant une étude réalisée en 2022 selon laquelle plus de 43% des entreprises du classement Fortune 500 ont été fondées par des immigrants ou leurs enfants de la première génération.

 

2) Moderniser les partenariats public-privé

 

Un autre changement majeur dans le paysage de la recherche concerne le mode de financement de la recherche, a expliqué Mme McNutt. Alors que le gouvernement américain était le principal bailleur de fonds de la recherche scientifique et qu’il conserve une petite avance dans le financement de la recherche fondamentale, l’industrie domine aujourd’hui la R&D aux États-Unis. En effet, environ 75% de la R&D aux Etats-Unis est actuellement financée par l’industrie, la part du gouvernement fédéral représentant seulement 20%. La philanthropie joue également un rôle croissant, puisqu’elle compte désormais pour 38% dans le financement de la recherche dans les universités et instituts de recherche à but non lucratif, la part du gouvernement fédéral s’élevant à 51%, le soutien par l’industrie représentant 7%, et la part apportée par les Etats/collectivités locales atteignant seulement 4%.

 

L’industrie se concentre sur la recherche qui produit des biens et des services rentables, et son travail s’articule souvent autour d’opportunités suggérées par la recherche fondamentale. Point de préoccupation pour Mme McNutt: la place de l’industrie qui domine actuellement la recherche en IA. « Des problèmes peuvent survenir lorsque l’industrie s’empare d’un domaine entier, de sorte que personne d’autre ne s’y engage », a-t-elle déclaré. « L’industrie n’explore qu’une partie de l’espace de l’IA, celle qui débouchera sur de nouveaux outils et de nouveaux produits. Il est moins probable qu’ils explorent les applications qui sont simplement un bien social […] Il est essentiel que la recherche à but non lucratif prospère également ».

 

Selon Mme McNutt, les Etats-Unis ont “l’occasion de mieux coordonner leurs ressources existantes pour obtenir un impact ». Les Etats-Unis restent un des rares pays dans le monde à ne pas s’être doté d’une Stratégie Nationale de Recherche. La loi CHIPS and Science Act préconise la mise en place d’une telle stratégie, sur laquelle l’Office for Science and Technology Policy (OSTP) travaille et pourrait offrir la possibilité d’une meilleure coordination. Il est cependant peu probable que l’OSTP établisse une stratégie nationale dans le cas ou une administration républicaine prendrait la relève. Tout en renforçant la planification, les Etats-Unis ne devraient pas fermer les portes à la sérendipité dans la recherche, a-t-elle ajouté.

 

Elle a insisté sur la nécessité de moderniser les règles régissant l’engagement des universités avec l’industrie et d’être attentif à la possibilité de conflits d’intérêts, « ce qui mine toujours la confiance du public dans la science ». Elle a souligné les avantages du modèle de consortium, qui n’avantage aucun groupe en particulier.

 

3) Renforcer les collaborations internationales 

 

Mme Marcia McNutt a indiqué que les Etats-Unis ne pouvaient pas jouer un rôle moteur s’ils n’étaient pas présents à la table des négociations. Or la tendance observée depuis peu est à une réduction des collaborations internationales. Elle rappelle que celles-ci profitent à la science et aux scientifiques américains. Il faut veiller selon elle à ce que la participation des États-Unis soit réelle et proportionnelle aux avantages qu’ils en retirent. Selon Mme McNutt, il est important de: 

  • inviter les partenaires internationaux à collaborer aux initiatives menées par les États-Unis;
  • devenir un partenaire de choix en s’engageant dans des projets;
  • créer des politiques de communication claires destinées à expliciter où et quand les Etats-Unis seront prêts à collaborer;
  • mettre en place des procédures pour évaluer périodiquement le succès des collaborations.

 

Le discours de Mme McNutt a été suivi d’une table ronde modérée par Harvey V. Fineberg, Président de la Gordon and Betty Moore Foundation, réunissant des experts de la communauté scientifique qui ont débattu des thèmes abordés dans le discours et ont montré leur total soutien aux messages clés de cette intervention à travers diverses illustrations.  

 

Rédactrice : 

Mireille Guyader, Conseillère pour la Science et la Technologie, Ambassade de France à Washington, [email protected]

 

Références : 

[1] The State of the Science | National Academies (www.nationalacademies.org), 26 juin 2024

[2] Inaugural ‘State of the Science’ Speech Charts Headwinds Facing the US l AIP (AIP.org), 17 juillet 2024

Partager

Derniers articles dans la thématique