Retour sur le séminaire franco-américain « Répondre à la pollution plastique par la science : de la recherche à l’action »

Une trentaine de scientifiques, juristes et décideurs politiques se sont réunis début avril à New York pour un séminaire stratégique franco-américain sur la question de la pollution plastique et de ses impacts.
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Près de 9 milliards de tonnes de plastiques ont été produites dans le monde depuis les années 1950, et seules 9% ont été recyclées et 5 % sont en usage. Le reste a été enfoui, brûlé ou dispersé dans la nature. En moins de cent ans, le plastique est devenu le troisième matériau le plus fabriqué au monde après le ciment et l’acier. La production de plastique croît exponentiellement  ; elle représentait déjà en 2016 près de 50 kg par an et par habitant, un chiffre qui devrait doubler d’ici 2050. Cette moyenne cache cependant des disparités fortes par pays: 105 kg/an pour un Américain, 54 kg/an pour un Européen, 16 kg/an pour un Chinois. Les plastiques ont été conçu à l’origine pour leur résistance et leur longue durée. Paradoxalement, ils sont de plus en plus utilisés pour des usages uniques de courte durée notamment à cause de l’essor du secteur de l’emballage. Il en résulte que 81% des plastiques mis en circulation deviennent des déchets au bout d’une année. Douze millions de tonnes de plastique, l’équivalent d’un camion-benne par minute, terminent chaque année dans les océans, avec des effets désastreux pour les écosystèmes et des impacts potentiels sur la santé humaine et l’économie.

En février dernier, lors du One Ocean Summit organisé à Brest sous l’impulsion du Président Macron et avec le soutien du Programme des Nations unies pour l’environnement (UNEP), les États-Unis et la France ont signé une déclaration commune et se sont engagés à reconnaître les aspects transfrontaliers de la pollution plastique et d’initier une négociation internationale pour réduire sa source. Début mars, profitant de cette dynamique, 175 pays ont initié des discussions dans le cadre de la 5e Assemblée des Nations Unies pour l’environnement (ANUE) à Nairobi (Kenia), afin d’élaborer un accord mondial avant 2024 en abordant le cycle de vie complet des plastiques et en favorisant une économie circulaire. L’accord devrait inclure des engagements contraignants et non contraignants, appeler les pays à développer et mettre en œuvre des plans d’action nationaux ambitieux, et favoriser un engagement solide des parties prenantes pour contribuer aux objectifs de l’accord, en complément des contributions des gouvernements nationaux. Plusieurs participants du séminaire de New-York ont activement pris part à l’ANUE de Nairobi.

Une réunion stratégique pour favoriser un dialogue transatlantique à l’interface entre science et politiques publiques

Ces dernières années, malgré une augmentation importante du nombre de publications scientifiques dans le domaine de la pollution plastique, de nombreuses zones d’ombre demeurent. Pour tenter de faire un état des lieux des connaissances scientifiques dans le domaine, et engager une réflexion autour de solutions à mettre en œuvre pour répondre à cet enjeu majeur, le Service pour la Science et la Technologie de l’Ambassade de France aux Etats-Unis, le Global Council for Science and Environment (GCSE) et l’Université de Long Island se sont associés, avec le soutien du CNRS, pour organiser un séminaire franco-américain intitulé « Répondre à la pollution plastique par la science: de la recherche à l’action » .

Cette rencontre s’est tenue à New-York le 5 et 6 avril, dans les locaux de l’Université de Long Island à Brooklyn. Elle intervient près de deux ans après un premier séminaire stratégique sur cette thématique, qui s’était tenu au Mans (France) en décembre 2019. Pendant la période de pandémie de COVID-19 qui a suivi, un premier projet de recherche franco-américain a été financé par la fondation Lounsbery pour étudier l’impact de la crise COVID sur la pollution plastique.

Cette deuxième rencontre poursuivait deux objectifs principaux :

  • Renforcer les collaborations entre les communautés scientifiques américaines et françaises sur la thématique ;
  • Développer les échanges entre les parlementaires en charge des politiques publiques, les organisations internationales et les scientifiques.

Une trentaine de chercheurs, de juristes et de représentants d’agences (ANR, NOAA, ANSES…), dont une moitié de Français, ont échangé au cours des différents panels sur les thèmes suivants :

  • L’impact de la pandémie de COVID-19 sur la production de plastique ;
  • Le suivi local et global de la pollution plastique ;
  • L’impact de la pollution plastique sur la santé humaine.

Plus d’une centaine de personnes ont pu suivre les échanges retransmis en ligne. Motivée par un communiqué de presse, la chaîne de télévision NBC New York a diffusé un court reportage sur cette initiative de séminaire et plusieurs journaux ont relayé l’événement. Le programme complet en anglais est disponible en annexe de cette note.

La confirmation d’un constat alarmant

Les dernières études scientifiques réalisées aux Etats-Unis ou en France confirment que la pollution plastique s’intensifie à un rythme alarmant dans nos écosystèmes. Le problème ne concerne pas seulement les macro- et micro-plastiques dans les océans mais également les micro- et nano-particules de plastique présentes dans notre environnement quotidien, dans l’atmosphère, les sols ou les rivières. Les études indiquent que les courants marins favorisent la fragmentation des composants plastiques, leur transport à travers les océans, d’une côte à l’autre. Des bactéries, endémiques à certaines régions, s’accrochent aux particules de plastiques pour voyager à travers les océans et éventuellement contaminer de nouveaux espaces. L’impact sur la biodiversité reste à ce stade difficile à évaluer. Cependant, les premiers résultats des études conduites depuis le début de la pandémie de COVID-19 ne semblent pas indiquer d’augmentation significative, à ce stade, des plastiques à usage médical sur les côtes françaises et américaines. Les experts conviennent de la nécessité de poursuivre les échantillonnages sur une période plus longue.

En revanche, les dernières études présentées lors du séminaire confirment la présence de micro-plastiques dans l’appareil digestif des mollusques ou dans l’intestin des humains. Les épidémiologistes poursuivent les analyses et des études semblent indiquer un lien entre ces contaminations et le développement de certaines pathologies, notamment certaines maladies inflammatoires chroniques. Le coût global de la pollution plastique sur la santé humaine est encore difficile à évaluer.

La législation française pour lutter contre la dissémination de la matière plastique est plus avancée qu’aux Etats-Unis

La Sénatrice Angèle Préville et le Député Philippe Bolo pour la France, ainsi que le Sénateur Sheldon Whitehouse et Monica Medina, Assistant Secretary du Department of State (en visioconférence) pour les Etats-Unis, ont rappelé l’importance des données scientifiques pour définir les politiques publiques adaptées.

L’analyse comparée réalisée par les deux juristes présentes met en exergue l’avance française en termes de législation, en particulier concernant l’interdiction progressive des plastiques à usage unique à l’horizon 2040. Les travaux conduits par Mme Préville et M. Bolo dans le cadre de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST) et la remise d’un rapport en 2020 ont largement contribué à ces évolutions. Aux Etats-Unis, l’Environmental Protection Agency (EPA) vient d’être mandatée pour faire des propositions visant à limiter la pollution plastique. Toutefois, les représentants des deux pays se sont accordés pour convenir des problèmes majeurs rencontrés pour la mise en œuvre des mesures législatives nouvelles. A noter, qu’il existe, aux Etats-Unis comme en France, des initiatives prises par les collectivités territoriales, qui favorisent une gestion réfléchie des déchets plastiques (exemple : San Francisco).

Les représentants de la délégation du Rwanda, conviés en tant qu’initiateurs de l’accord de l’ANUE de Nairobi avec le Pérou, ont rappelé la nécessité d’établir un réglementation internationale comportant des accords contraignants pour les Etats, la pollution plastique étant un problème global, notamment en raison du transport des plastiques à l’échelle planétaire par les courants océaniques. Il a été rappelé le besoin d’agir d’abord à la source, c’est-à-dire au niveau de la production et de la consommation de plastique, en plus d’agir efficacement sur le traitement et le recyclage des plastiques. L’importance d’une implication équilibrée entre les pays du Nord et du Sud, la notion de responsabilité partagée et le soutien financier du Nord au Sud pour la mise en œuvre des solutions, ont été mentionnés comme des pistes à explorer. La mobilisation de la France pour un accord global et contraignant a par ailleurs été saluée.

Des potentiels de collaboration entre la France et les Etats-Unis

La première réunion au Mans fin 2019 avait permis une rencontre des communautés scientifiques françaises et américaines qui se connaissaient peu, et avait débouché sur un projet en commun pour évaluer l’impact de la pandémie de COVID-19 sur la pollution plastique, financé par la Fondation Richard Lounsbery. Ce deuxième séminaire confirme le désir de développer des partenariats transatlantiques dans le domaine de la surveillance de la pollution plastique, de son impact sur la santé humaine et du droit. Pour accompagner ces initiatives, plusieurs pistes ont été évoquées:

  • Créer un réseau franco-américain de recherche sur la pollution plastique – éventuellement élargi à quelques pays du Sud tels que le Rwanda ou le Pérou – permettrait de structurer les échanges et les éventuelles collaborations sur le long terme ;
  • Favoriser une approche interdisciplinaire, en intégrant notamment les sciences humaines et sociales ;
  • Renforcer le partage des données (de manière bilatérale et multilatérale) et des résultats de recherche sur des thèmes prioritaires tel que l’impact de la pollution plastique sur la santé humaine ;
  • Renforcer les échanges transatlantiques d’étudiants et de chercheurs, notamment à travers des masters internationaux ou des programmes existants ;
  • Poursuivre les interactions des scientifiques avec les décideurs politiques pour informer et sensibiliser les populations, mais aussi pour une meilleure prise en compte des enjeux liés à la pollution plastique dans les politiques publiques, à l’échelle internationale.

 

Rédacteur: Benoit Faivre, Chargé de mission pour la Science et la Technologie à Washington D.C., [email protected]

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