Quelles perspectives pour la protection de l’eau aux Etats-Unis après l’affaire Sackett v. EPA ?

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Le 25 mai 2023, la Cour Suprême des États-Unis a rendu une décision limitant le pouvoir de l’Environmental Protection Agency (EPA) en matière de réglementation des zones humides et des cours d’eau des Etats-Unis. La décision a été prise dans l’affaire Sackett v. Environmental Protection Agency (EPA). Elle concerne le litige entre le couple Sackett, désirant construire une maison sur leur terrain près du Lac Priest dans l’Idaho, et l’EPA, qui s’opposait à la construction au motif que le terrain était soumis au Clean Water Act (CWA). Après une première décision rendue en 2012, l’affaire avait de nouveau été portée devant la Cour Suprême des Etats-Unis en 2022, le couple Sackett et leurs soutiens faisant valoir que leur terrain ne devait pas être soumis à la protection environnementale du CWA. La décision du 25 mai 2023, prise par une courte majorité de 5-4 et donnant raison au couple Sackett, pourrait faire jurisprudence et marquer un tournant dans l’interprétation du CWA [1], modifiant durablement la protection environnementale aux Etats-Unis Elle risque d’ébranler profondément les fondements de la protection de l’eau aux Etats-Unis, avec des répercussions réglementaires et environnementales à suivre dans les mois et les années à venir. 

Depuis 1972, le CWA a confié à l’EPA la responsabilité de surveiller la qualité de toutes les eaux aux États-Unis (Water Of The United States, ou WOTUS), englobant notamment les « eaux navigables » [1]. Cependant, depuis son entrée en vigueur, la « navigabilité » des eaux n’était pas le critère déterminant dans la définition des eaux devant être protégées. L’interprétation extensive des eaux protégées au niveau fédéral par le CWA fut la norme depuis plusieurs décennies, permettant aux agences un contrôle et une protection plus large des WOTUS. La question de la portée du CWA et de la clarification de la définition a mené à la saisie de la Cour Suprême à plusieurs reprises.  

Au fil des décennies, l’EPA et l’Army Corps of Engineers ont donc affiné leur interprétation de cette définition pour préciser le statut de protection concernant les zones humides (wetlands) adjacentes aux eaux protégées au niveau fédéral par le CWA. La Cour Suprême a ainsi précisé la notion de « connexion significative » entre une zone humide et une eau navigable lors de l’affaire Rapanos v. United States en 2006 [2]. Cette relation substantielle et durable entre les deux est nécessaire pour que le CWA s’applique. L’exigence d’une « connexion significative » ayant émergé lors de la décision de 2006 a donc servi de base à l’interprétation de la portée du CWA dans l’affaire Sackett v. EPA [3].

Dans le cadre de l’affaire Sackett v. EPA, les juges Alito, Roberts, Thomas, Gorsuch et Barrett ont tranché en faveur d’une interprétation restrictive. Selon eux, le CWA ne s’applique qu’aux cours d’eau permanents, aux océans, aux lacs et aux rivières, c’est-à-dire aux eaux strictement navigables. Ils ont également précisé que les zones humides ne peuvent être réglementées par l’EPA que si elles sont directement reliées à une surface d’eau navigable. Ainsi, les zones humides avec une connexion souterraine ou une séparation artificielle ne seraient plus réglementées [4], ce qui entraînerait la fin de la protection dans le périmètre du CWA.

Cette décision pourrait entraîner des répercussions significatives sur un nombre important de zones humides et de surfaces d’eau qui ne sont pas directement connectées à des eaux navigables, et risque de modifier considérablement le paysage réglementaire de la protection de l’eau, en laissant potentiellement de côté des zones qui étaient jusqu’à présent couvertes par le CWA.

State Wetlands/Waters Protection Laws
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À l’échelle des États-Unis, seuls 19 États disposent de lois protégeant les eaux sur leur territoire [5]. Le reste des États voit donc leurs zones humides directement menacées par l’absence de régulation environnementale. Certains États pourraient saisir cette opportunité pour mettre en place leurs propres lois visant à protéger les surfaces d’eau et les zones humides.

L’an dernier, une pétition signée par 12 organisations scientifiques regroupant plus de 125 000 scientifiques avait été présentée à la Cour Suprême dans le cadre de l’affaire Sackett v. EPA. Cette pétition mettait en avant la nécessité de comprendre la science pour protéger l’environnement et les ressources en eau, soulignant ainsi le rôle fondamental de la science dans l’élaboration de la Clean Water Act (CWA). La communauté scientifique exprimait ses inquiétudes quant aux importants risques environnementaux et de santé publique posés par la décision de la Cour Suprême dans l’affaire Sackett [6], notamment en ce qui concerne la détérioration des ressources en eau à travers le pays. Bien qu’il soit encore trop tôt pour déterminer précisément comment cette décision va affecter la recherche en science de l’environnement, il est évident que la science continuera de jouer un rôle crucial dans la compréhension et la protection des écosystèmes aquatiques vitaux comme les zones humides. 

Comme le souligne le Professeur de droit Richard J. Lazarus de l’Université de Harvard (communication personnelle, août 2023), la communauté scientifique craint désormais une réduction drastique de la protection des zones humides et des cours d’eau. À moins d’un amendement très improbable du CWA par le Congrès des États-Unis, les zones humides du pays, pourtant essentielles pour la biodiversité, sont plus que jamais menacées. L’EPA devra élaborer de nouvelles réglementations pour définir les limites juridiques du CWA, laissant planer une grande incertitude sur la réglementation des eaux et des zones humides aux États-Unis.

En conclusion, la décision de la Cour Suprême dans l’affaire Sackett v. EPA remet en question la portée du Clean Water Act et laisse la protection des zones humides aux lois des États, qui varient considérablement d’un État à l’autre. Les zones humides et les surfaces d’eau non directement connectées à des eaux navigables risquent de ne plus être soumises à des réglementations environnementales contre la pollution, à moins que les lois des États ne prennent le relais. Il est crucial de suivre de près cette situation, car elle a des implications majeures pour la préservation de l’eau et de l’environnement aux États-Unis. 

Références:

[1] EPA, Summary of the Clean Water Act | US EPA

[2] American Bar Association, What’s Next Following the Supreme Court’s Decision in Sackett v. EPA? (americanbar.org)

[3] Holland&Knight LLP, Sackett Decision Provides Clarity, Substantially Restricts Clean Water Act Jurisdiction Scope | Insights | Holland & Knight (hklaw.com)

[4] NRDC, What the Supreme Court’s Sackett v. EPA Ruling Means for Wetlands and Other Waterways (nrdc.org)

[5] Mcelfi, J. (2022). State protection of nonfederal waters: turbidity continues. [online] Available at: 0922 ELR.indd (eli.org).

[6] Ecological Society of America ESA Statement on the Sackett v. EPA Supreme Court Ruling: Losses to Wetlands and Ecosystem and Human Health – Ecotone | News and Views on Ecological Science

Rédacteur: Théophile Altuzarra, chargé de mission pour la Science et la Technologie, Ambassade de France à Washington D.C., [email protected].

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