Les PFAS, un danger sanitaire mal mesuré présent dans l’eau potable

Figure 1

Que sont les PFAS ?

Les substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS) (nommées les « forever chemicals[1] » en anglais) font parties d’un groupe de produits chimiques fabriqués par l’homme qui comprend l’APFO (Acide perfluorooctanoïque), le PFOS (acide perfluorooctanesulfonique), le GenX et de nombreuses autres molécules.

Ces molécules sont fabriquées et utilisées dans une grande variété d’industries dans le monde, notamment aux États-Unis, et ce depuis les années 1940. On peut les retrouver dans les produits de la vie quotidienne tels que les poêles en téflon ou le fil dentaire, ou encore la peinture. Ces produits chimiques sont très persistants dans l’environnement et ont des effets néfastes sur la santé humaine.

 

De multiples effets délétères sur la santé humaine, voire un facteur de risque de COVID-19 ?

Une association de défense environnementale, l‘Environmental Working Group (EWG), a été un leader précoce dans la recherche sur les PFAS. En 2002, EWG a commencé à publier des rapports sur la toxicité de l’APFO, sur la base de documents rendus publics grâce au travail de l’avocat environnemental Rob Bilott, qui a intenté un recours collectif fédéral contre DuPont pour avoir pollué les réserves d’eau locales en Virginie-Occidentale et dans l’Ohio.

Ce procès a donné lieu à la plus grande étude épidémiologique sur les effets de l’APFO sur la santé humaine, laquelle a révélé un lien probable entre l’exposition à l’APFO et l’hypercholestérolémie, la colite ulcéreuse, les maladies de la thyroïde, le cancer des testicules, le cancer du rein et l’hypertension induite par la grossesse.

Outre le fait que nombre de ces composés ont été associés à des cancers, au diabète et à bien d’autres maladies, des scientifiques de l’école de santé publique de l’Université d’Harvard ont déclaré que l’exposition à ces « produits chimiques éternels » peut également avoir un effet négatif sur le développement du système immunitaire chez les enfants, voire constituerait un facteur de risque de sévérité de COVID-19.  Selon une étude récente menée par des chercheurs danois en collaboration avec Philippe Grandjean, chercheur de Harvard, les personnes présentant des taux sanguins élevés de PFAS courent un risque accru de contracter une forme plus grave de COVID-19 que les autres. Les chercheurs ont examiné les niveaux de PFAS dans les échantillons de sang de 323 personnes danoises infectées par le coronavirus, et ont constaté que les personnes présentant des taux élevés de PFAS avaient un risque plus élevé d’être hospitalisées, de se retrouver en soins intensifs et de mourir que celles présentant des taux plus faibles.[2]

D’après Phil Brown, directeur du Social Science Environmental Health Research Institute (SSEHRI) de l’Université de Northeastern, co-directeur du PFAS Project Lab, ces produits chimiques interfèreraient avec le système immunitaire en réprimant la réponse des cellules B productrices d’anticorps. Par ailleurs, les effets des PFAS sur le système immunitaire sont aussi associées à une sur-réactivité de ce dernier. Or, les « tempête de cytokines » sont justement observées dans les cas les plus graves de Covid- 19. [3]

 

Des taux limites, fixés au niveau fédéral, trente fois supérieurs aux normes européennes….

Depuis que le Congrès a promulgué la Loi sur la salubrité de l’eau potable (Safe Drinking Water Act, ou « SDWA ») en 1974, l’Environmental Protection Agency (EPA) est autorisée à fixer des normes nationales pour l’eau potable afin de protéger la population contre les effets liés à une exposition aux contaminants naturels et artificiels. Celle-ci a établi des normes de protection de l’eau potable pour plus de 90 contaminants.[4]

Cependant, concernant les PFAS, ces normes américaines autorisent des niveaux de PFAS beaucoup plus élevés que dans l’Union Européenne. En effet, la norme de l’Union européenne concernant la dose hebdomadaire tolérable de PFAS dans l’eau potable est de 2,2 parties par trillion, tandis que la norme fédérale est de 70 parties par trillion.[5]

…. mais qui peuvent être abaissés dans certains Etats comme le Massachusetts

Le Massachusetts a, quant à lui, fixé des règles plus contraignantes. En effet, en octobre dernier, le MassDEP (Massachusetts Department of Environmental Protection) a publié une règlementation fixant les normes relatives aux PFAS dans l’eau potable publique. Appelée Massachusetts Maximum Contamination Level, elle fixe la limite de présence des PFAS dans les eaux potables à 20 parties par trillion. Soit malgré tout une valeur limite de quasiment 10 fois celle autorisée en Europe !

Les PFAS concernés sont l’acide perfluorooctane sulfonique (PFOS), l’acide perfluorooctanoïque (PFOA), l’acide perfluorohexane sulfonique (PFHxS), l’acide perfluorononanoïque (PFNA), l’acide perfluoroheptanoïque (PFHpA) et l’acide perfluorodécanoïque (PFDA). Le MassDEP abrège cet ensemble de six PFAS en « PFAS6 ».[6]

Cette norme du Massachusetts exige des fournisseurs d’eau publics qu’ils testent les PFAS6 et qu’ils agissent lorsque les valeurs de détection dépassent la limite. En utilisant la somme de six composés PFAS, ces normes offrent une meilleure protection pour la population. Tous les réseaux d’eau publics communautaires sont dans l’obligation d’effectuer des analyses pour détecter la présence de PFAS6. Les grands réseaux publics d’approvisionnement en eau, c’est-à-dire ceux qui desservent une population de 50 000 habitants ou plus, ont été les premiers à effectuer ces analyses depuis le 1er janvier 2021. Ceux desservant des populations entre 10 000 et 50 000 habitants commenceront quant à eux leurs tests initiaux le 1er avril 2021, et ceux desservant une population de moins de 10 000 habitants commenceront leurs tests le 1er octobre 2021.[7]

 

Une nouvelle méthode d’analyse permettant de détecter tous les PFAS

Afin de détecter la concentration des PFAS dans les échantillons, et en raison de leurs faibles limites de détection et de leur haut degré de sélectivité, les chercheurs utilisent la spectrométrie de masse couplée à la chromatographie liquide (HPLC). Elle permet d’analyser la présence des PFAS dans la gamme des ng/L tout en maintenant un débit relativement élevé[8]. Cependant, cette méthode d’analyse est dite ciblée car elle ne permet de quantifier que les molécules déjà identifiées sur un chromatogramme HPLC. De fait, les méthodes d’essai standard utilisées par l’EPA et les organismes de réglementation des États ne permettent de détecter et quantifier que 26 composés connus.

Or, les composés PFAS présents dans l’environnement se présentent sous deux formes : une forme précurseure et une forme terminale. La plupart des composés PFAS surveillés, y compris le PFOS et l’APFO, sont des composés terminaux, ce qui signifie qu’ils ne se dégradent pas dans des conditions environnementales normales. Mais les composés précurseurs, qui constituent souvent la majorité des produits chimiques PFAS dans un échantillon, peuvent être transformés par des processus biologiques ou environnementaux en formes terminales. Ainsi, même si l’EPA ou les organismes d’État surveillent les concentrations de PFAS, ils ne détectent toujours pas une grande partie de l’énorme réservoir de précurseurs de PFAS.

Détecter des molécules « inconnues » nécessite alors une méthode d’analyse non ciblée permettant de comptabiliser tous les PFAS présents dans un échantillon. C’est ce qu’a développé Elsie Sunderland, professeure à Harvard, et son équipe [9]. La méthode mise au point consiste à mesurer en premier lieu tous les organofluorés présents dans un échantillon, puis, à l’aide d’une autre technique, d’oxyder les précurseurs présents dans cet échantillon et de les transformer en leurs formes terminales, que les chercheurs peuvent ensuite mesurer. L’équipe a mis au point une méthode d’analyse statistique permettant de reconstituer les précurseurs originaux, d’identifier leur origine de fabrication et de mesurer leur concentration dans l’échantillon.

À l’aide de cette méthode, Sunderland et son équipe ont recherché la présence de PFAS dans six bassins versants de Cape Cod. Ce projet s’inscrit dans le cadre d’une collaboration avec l’United States Geological Survey et le centre de recherche STEEP (Sources, Transport, Exposure & Effects of PFAS) financé par les National Institutes of Health (NIH) et dirigé par l’université de Rhode Island.

La nouvelle méthode d’analyse a révélé de grandes quantités de PFAS non détectés auparavant provenant de mousses ignifuges et d’autres sources inconnues. Les concentrations totales de PFAS présentes dans ces bassins versants étaient supérieures aux niveaux de contamination maximum de l’État dans l’eau potable publique.

La figure 1 est une capture d’écran de la carte interactive du Massachusetts (visible ici) indiquant les endroits où les réseaux d’eau publics ont détecté des taux supérieurs à 20 parties par trillion de PFAS6 dans l’eau.

Figure 1 – Emplacements où les niveaux des PFAS6 sont plus élevés que la norme fixée par le Massachusetts

L’équipe de Sunderland continue d’étudier les PFAS inconnus afin de mieux identifier leurs sources et leur potentiel d’accumulation dans les abondants réseaux alimentaires marins de Cape Cod.[10]

 

Les mousses ignifuges, sources de contaminations de plus en plus étudiées.

Les mousses anti-incendie, également connues sous le nom de mousses aqueuses filmogènes, sont largement utilisées dans les bases militaires, les aéroports civils et les services d’incendie locaux, et sont une source majeure de PFAS qui ont déjà contaminé des centaines de réserves d’eau publiques aux États-Unis.

L’équipe de Sunderland s’est concentrée sur l’identification des PFAS provenant de l’utilisation de mousses ignifuges, mais n’est pas la seule à se pencher sur cette source de PFAS. En effet, Kurt Pennell, professeur à l’école d’ingénierie de l’université de Brown, et son équipe, ont mené une étude sur la façon dont les polluants présents dans les mousses de lutte contre les incendies se répartissent dans l’eau et les sols de surface sur les sites de rejet et montré que le mélange de mousses anti-incendie avaient une affinité importante pour l’interface air-eau. Ces résultats pourraient aider les chercheurs à mieux prévoir comment les polluants contenus dans ces mousses se propagent des sites de déversement ou de rejet – zones d’entraînement au feu ou sites d’écrasement d’avions, par exemple – vers les réserves d’eau potable, pour ainsi contribuer à l’assainissement de ces sites.[11]

 

Une contamination généralisée

Les recherches menées par l’Environmental Working Group (EWG) en collaborations avec les chercheurs du projet PFAS de l’Université de Northeastern ont permis de cartographier la crise de la contamination par les PFAS, désormais recensés sur plus de 1 400 sites dans 49 États. En 2015, EWG a publié une carte des États-Unis au niveau des comtés qui documentait les sites connus où des PFAS avaient été détectés dans l’eau potable (carte actualisée disponible ici).

La collaboration entre EWG et SSEHRI a permis de faire passer la contamination par les PFAS d’une préoccupation locale et personnelle à la prise de conscience qu’il s’agissait d’une crise nationale.

L’EWG se charge des mises à jour de la carte, en se concentrant sur l’étendue de la contamination de l’eau par les PFAS telle que documentée par les états, le Département de la Défense et les propres projets d’échantillonnage de l’eau d’EWG. EWG a également lancé un Atlas PFAS qui combine la carte de la contamination de l’eau, une carte des décharges industrielles suspectes et une carte de la pollution par les PFAS dans les bases militaires américaines[12].

 

Des financements en faveur de la protection de la population et de la recherche sur les PFAS

Depuis et dans le cadre de son PFAS Action Plan, l’EPA a annoncé en août dernier l’octroi de 4,8 millions de dollars à trois institutions pour financer des recherches visant à mieux comprendre les impacts potentiels des PFAS sur la qualité et la disponibilité de l’eau dans les communautés rurales et les exploitations agricoles des États-Unis. Notons parmi ces institutions :

  • L’Université de l’Indiana, Bloomington, afin de développer une plateforme évolutive pour prédire la présence de PFAS dans les puits privés et améliorer la compréhension des risques d’exposition des communautés rurales dépendantes pour leur approvisionnement en eau potables de puits privés.
  • Purdue University, West Lafayette, pour étudier la présence de PFAS et leurs concentrations dans les puits privés et les installations de récupération des ressources en eau dans les communautés rurales, ainsi que la contribution relative des PFAS provenant de l’épandage des eaux usées et des biosolides dans les réserves d’eau rurales.
  • University of Georgia, Athens, pour développer des systèmes de traitement améliorés et rentables avec des technologies avancées pour l’élimination des PFAS de l’eau, des eaux usées et des biosolides afin d’assurer une eau sûre pour la consommation et les applications agricoles dans les zones rurales.[13]

 

Rédaction :

Céline Duclos, Attachée adjointe pour la Science et la Technologie, [email protected]

et le Service pour la Science et la Technologie, Consulat Général de France à Boston

 

[1] « Produits chimiques permanents » en français.

[2] https://www.hsph.harvard.edu/news/hsph-in-the-news/pfas-exposure-linked-with-worse-covid-19-outcomes/

[3] https://news.northeastern.edu/2021/01/14/chemicals-found-in-everyday-objects-could-cause-more-severe-cases-of-covid-19/

[4] https://www.epa.gov/sdwa

[5] https://www.capecodtimes.com/story/news/2021/03/12/higher-pfas-levels-have-been-found-cape-researchers-say-exposure-chemicals-can-have-negative-effects/4650866001/

[6] https://www.mass.gov/info-details/per-and-polyfluoroalkyl-substances-pfas

[7] https://www.mass.gov/news/baker-polito-administration-establishes-strict-standards-for-pfas-in-drinking-water-to-protect

[8] https://www.waterworld.com/drinking-water/treatment/article/14173967/how-do-you-solve-a-problem-like-pfas

[9] https://news.harvard.edu/gazette/story/2021/03/new-tool-finds-pfas-compounds-on-cape-cod/

[10] https://news.harvard.edu/gazette/story/2021/03/new-tool-finds-pfas-compounds-on-cape-cod/

[11] https://www.brown.edu/news/2020-10-15/afff

[12] https://www.northeastern.edu/environmentalhealth/mapping-the-pfas-contamination-crisis/

[13] https://www.epa.gov/newsreleases/epa-awards-nearly-5-million-new-research-managing-pfas-agricultural-and-rural

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