L’EPA renouvelle l’autorisation du Dicamba pour 5 ans malgré son interdiction par la Cour d’Appel en juin dernier

L’herbicide sélectif développé par Monsanto utilisé depuis plus d’un demi-siècle s’était vu retirer son autorisation de mise sur le marché américain en juin dernier. Son efficacité en fait un herbicide redoutable notamment dans le désherbage de cultures OGM. Si son efficacité est incontestable, il possède néanmoins un inconvénient majeur : une forte volatilité qui lui confère un risque non négligeable de dérive et par conséquent de dégâts sur les cultures et la flore voisines.

Les problématiques liées à l’utilisation du Dicamba sont connues depuis des décennies. Historiquement, le Dicamba était utilisé dans la lutte contre les adventices en l’absence de culture de la fin de l’automne au début du printemps lorsque les risques de dérive sont faibles. Cela a changé en 2016.

(Effet du Dicamba sur du soja non tolérant. Crédits photo : Amit JHALA)

Retour sur l’origine de la controverse 

Afin de lutter contre les multiples résistances des adventices face au Glyphosate et proposer une solution aussi commode que les variétés Roundup Ready, Monsanto et BASF ont mis sur le marché une variété de coton (2015) et de soja (2016) tolérantes au Dicamba et au Glyphosate. Conjointement, les deux agrochimistes ont développé de nouvelles formulations de l’herbicide censées réduire drastiquement les impacts sur les cultures et la flore alentours non tolérantes. En revanche, l’EPA n’homologua les nouvelles formulations de Dicamba allant de pair avec ces semences qu’après la saison de culture 2016 pour une période de 2 ans.
Monsanto avait parié sur une homologation rapide coïncidant avec la mise sur le marché des semences, ce qui ne fut pas le cas.
Ce délai a laissé les agriculteurs ayant acheté et semé ces variétés DT (tolérantes au Dicamba) dans un dilemme : désherber sans recourir au Dicamba et ne pas profiter de la tolérance ou utiliser d’anciennes formulations non autorisées sur cette culture à cause du risque élevé de dérive et des impacts sur les cultures et la flore voisines.

De nombreuses alertes avaient été lancées vis-à-vis de Monsanto quant aux risques liés à l’utilisation de formulations inadaptées et aux dégâts associés. Dès 2011, des scientifiques de l’Ohio State University avertirent Monsanto et BASF lors d’une conférence à Columbus.
En 2015, lors de l’Arkansas Plant Board et de l’Iowa State University Annual Integrated Crop Managment Conference, les scientifiques réitérèrent leurs avertissements. Les semences de coton DT Xtend furent approuvées dès 2015 par l’USDA et étaient compatibles avec les anciennes formulations de Dicamba à forte dérive. Dès lors, des dégâts sur les parcelles alentours sont survenus. Le coton étant cultivé en moindre ampleur, les scientifiques ont alerté Monsanto sur les ravages que pourraient engendrer ces anciennes formulations de Dicamba appliquées sur le soja. Ces avertissements sont restés sans réponse.

 

En 2017, Kevin Bradley de l’Université du Missouri estimait qu’1,5 million d’hectares de soja furent impactés par ces dérives accidentelles dans le Midwest et les Grandes plaines. Sur la même période, les départements d’agriculture ont recensé 2 708 cas relatant des dommages. Malgré ces nombreuses plaintes et zones d’ombres à éclaircir, l’EPA renouvelle l’autorisation de mise sur le marché des 3 formulations de Dicamba destinées aux semences DT pour 2 années supplémentaires (Xtendimax – Bayer, Engenia – BASF, FeXapan – Corteva). Néanmoins cette autorisation est assortie de limitations quant à leur utilisation.

Le 3 juin 2020, la Cour d’Appel du 9ème circuit suspend l’autorisation de mise sur le marché de deux des trois produits à base de Dicamba. Selon elle, l’EPA aurait considérablement sous-estimé les risques de dérive bien documentés du Dicamba et ses dommages sur l’agriculture et la flore locale. L’EPA est également jugée coupable d’avoir violé le Federal Insecticide, Fungicide and Rodenticide Act (FIFRA).

Le 27 octobre dernier, l’EPA approuve à nouveau ces produits pour une durée de 5 ans accompagné de mesures restrictives (date d’utilisation raccourcie, ajout d’adjuvant obligatoire, zone non traitée augmentée, vitesse de traitement ralentie…). Ces nouvelles mesures sont toutefois jugées encore insuffisantes par certains scientifiques. Certains états ont adopté des mesures plus coercitives antérieurement et les résultats semblent leur donner raison. Ainsi, en Arkansas ou dans le Minnesota où l’utilisation du Dicamba est plus restrictive, le nombre de plaintes est passé respectivement de 986 à 200 et de 250 à 29 entre 2017 et 2018.
A contrario dans l’Illinois où aucune mesure plus restrictive n’avait été adoptées les cas de dérive ont augmenté, passant de 245 à 330.

 

A ce jour, il est difficile de connaitre l’étendue des dégâts de manière précise notamment sur la flore. Entre 2017 et 2019, 5 600 agriculteurs ont rapporté des préjudices causés par le Dicamba à Bayer et BASF. Ils ont signalé des dommages notamment sur des parcelles de soja, pêchers, coton et tabac. Les pertes financières engendrées sont encore impossibles à évaluer selon un rapport de l’EPA (Chism et al, 2020).
Une enquête de l’USDA (2020) révèle que 65 000 champs représentant 1,6 Mha auraient été touchés en 2018 soit 4% des surfaces de soja du pays.

Un rapport de l’Arkansas Audubon Society a révélé des dommages causés par le Dicamba dans 86 zones naturelles (Scheiman 2019). Le Prairie Rivers Network (2020), un organisme environnemental à but non lucratif basé dans l’Illinois, a également révélé des dommages causés par cet herbicide dans des dizaines d’endroits à travers l’État. En revanche, il est à ce jour impossible d’affirmer que ces dégâts ont été causés seulement par le Dicamba car les symptômes peuvent également correspondre à d’autres herbicides comme le 2,4-D, bien que ce dernier n’ait jamais été impliqué dans des dégâts de cette ampleur.
Les plaintes adressées aux différents départements d’agriculture coutent cher. A titre d’exemple, celui de l’Indiana a dépensé 4,35 M$ entre 2017 et 2019 en dédommagement soit 48% de son budget (Schoettle, 2020).

Les dégâts ont également poussé certains agriculteurs à semer du soja DT afin de se prémunir contre d’éventuelles dérives provenant du voisinage. L’USDA (2020) estime que seuls 53% des utilisateurs de semences DT désherbent à l’aide de Dicamba.

 

Ces divers incidents remettent en question le processus d’homologation dissocié entre les semences OGM (USDA) et les produits phytosanitaires associés (EPA). En outre, ils mettent également en exergue l’ignorance répétée de Monsanto face aux nombreux avertissements reçus et à sa décision de commercialiser ses semences de soja DT alors même que les herbicides à base de Dicamba associés n’avaient pas reçu d’homologation. Ils remettent également en question la rigueur de l’EPA dans l’étude des dossiers d’homologation des produits phytosanitaires et l’omission de certaines données bien documentées liées aux risques de volatilisation et de dérive du Dicamba. Enfin, ils mettent en évidence également le manque de communication entre les départements d’agriculture des différents états et l’EPA ainsi qu’un manque de communication des agrochimistes et de formation des agriculteurs envers l’utilisation appropriée du Dicamba sur ces cultures tolérantes.

 

Rédacteur :

Benjamin DOREILH, Attaché adjoint pour la science et la technologie, [email protected] 

 

Bradley, 2017. A Final Report on Dicamba-injured Soybean Acres. Integrated Pest Management, University of Missouri. Disponible sur : https://ipm.missouri.edu/ipcm/2017/10/final_report_dicamba_injured_soybean/

Brown H.C., 2020. After a brief ban, E.P.A decides to allow controversial weed killer dicamba. The Counter , 28 octobre 2020. https://thecounter.org/epa-allows-dicamba-herbicide-bayer-monsanto/

Center for Food Safety, 2020. EPA Reapproves Dangerous, Drift-Prone Dicamba Pesticides Recently Banned by Federal Court for Causing Widespread Economic Harm to Farmers. 27 octobre 2020. https://www.centerforfoodsafety.org/press-releases/6178/epa-reapproves-dangerous-drift-prone-dicamba-pesticides-recently-banned-by-federal-court-for-causing-widespread-economic-harm-to-farmers

Chism B, Becker J, Tindall k, Orlowski J, Kells B., 2020. Dicamba Use on Genetically Modified Dicamba-Tolerant (DT) Cotton and Soybean: Incidents and Impacts to Users and Non-Users from Proposed Registrations (PC# 100094, 128931). United States Environmental Protection Agency, 26 octobre 2020.

Prairie Rivers Network, 2020. Comments regarding the renewal of the registration of Dicamba for over-the-top use on herbicide tolerant soybean and cotton. Letter addressed to Administrator Wheeler, 10 Août 2020.

Reuters, 2020. Bayer battles for U.S. soybean acres. https://fingfx.thomsonreuters.com/gfx/editorcharts/USA-SOYBEANS-SEED/0H001R8E4C45/index.html

Scheiman D, 2020. Dicamba Symptomology Community Science Monitoring Report. 2 septembre 2020. https://ar.audubon.org/sites/default/files/static_pages/attachments/audubon_arkansas_dicamba_monitoring_report.pdf

Schoettle A., 2020. Herbicide causing Hoosier farmers, state regulators big problems. IBJ, 21 février 2020. https://www.ibj.com/articles/crops-crisis

United States Court of Appeals for the Ninth Circuit, 2020. Case N°19-70115 du 3 juin 2020. https://www.centerforfoodsafety.org/files/125–dicamba-opinion_35970.pdf

USDA, 2020. Agricultural Resources Managment Survey : Crop Production Practices data 2018 Soybean. Economic Research Service, United States Department of Agriculture.

USDA National Agricultural Statistics Service. https://quickstats.nass.usda.gov/results/96B2EF56-2AC3-329E-803E-6D6D3CC5444C

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