L’enseignement des STEM dans les universités américaines : ambivalence d’une dépendance vis-à-vis des étudiants internationaux

L’enseignement supérieur américain connait depuis une dizaine d’années au moins ce que Thomas Friedman a dénommé la crise silencieuse (the Quiet Crisis) [1] concernant le nombre déclinant de citoyens américains souhaitant poursuivre une formation de haut niveau dans le domaine des sciences qu’on appelle "dures" en France. Cette évolution suscite naturellement l’inquiétude des milieux académiques et économiques et a donné lieu ces dernières années à un ensemble d’initiatives publiques et privées visant à y remédier. Le flux d’étudiants étrangers souhaitant terminer leur formation dans ce domaine au sein des universités américaines était jusqu’à présent suffisant pour compenser le désintérêt porté à cette matière par les étudiants américains. Cette attractivité des universités américaines, combinée à la capacité de l’économie américaine à accueillir durablement ces diplômés étrangers a permis aux Etats-Unis de ne pas trop souffrir de cette désaffection des américains pour les STEM (Science, Technology, Engineering and Mathematics). Si les dernières statistiques disponibles confirment les tendances de fonds, elles révèlent aussi un certain plafonnement de l’attractivité américaine vis-à-vis des étudiants internationaux, dans des proportions cependant variables au sein même du champ des STEM.

Les étudiants américains s’orientent de façon grandissante vers les disciplines telles que les sciences sociales, le business et le management. Ce constat se décline dès le niveau licence, voire avant. En effet, le rapport Science and Engineering indicators 2008 publié par la National Science Foundation fait état d’une chute de l’enseignement en ingénierie de 23% en 1985 à 14% en 2005 au niveau du bachelor’s degree toutes nationalités confondues.

Parmi les raisons de ce désintérêt au niveau universitaire, beaucoup soulignent le problème de la qualité de la formation et de l’encadrement pédagogique offerts dans l’enseignement secondaire américain, très variable suivant le type d’institution. Celui-ci ne permet pas globalement au lycéen de disposer des outils nécessaires au suivi et à la bonne compréhension de formation scientifique de haut niveau dans le supérieur. C’est donc très en amont que se situe une clé importante de la capacité des Etats-Unis à maintenir son leadership en termes de recherche et d’innovation. Cette discussion a acquis une visibilité nationale et déjà fait l’objet de nombreux rapports gouvernementaux, à l’image du rapport publié en mai 2007 par la secrétaire d’Etat à l’Education Margaret Spellings sur le renforcement de la compétitivité du système secondaire américain [2].

Sur les 623.000 étudiants étrangers présents en 2007 aux Etats-Unis, près de 96.000 suivent une formation dans le domaine de l’ingénierie et plus de 52.000 d’entre eux suivent une formation en sciences physiques. Ces deux domaines constituent respectivement les deuxième et troisième matières les plus étudiées par les étudiants étrangers sur le territoire américain, contribuant à faire de ces domaines un territoire largement réservé pour les étudiants étrangers [3]. Le principal champ disciplinaire recherché par les étudiants étrangers reste bien évidemment le business et le management avec plus de 110,.000 étudiants.

Cette attractivité, confirmée de façon générale par une légère augmentation du nombre d’étudiants étrangers souhaitant se former aux Etats-Unis dans ces domaines (sciences de l’ingénieur et sciences physiques) depuis 2002, est particulièrement nette pour les niveaux d’études les plus avancés. En effet selon the Chronicle of Higher Education, 59,4% des nouveaux docteurs en ingénierie étaient en 2006 des ressortissants étrangers bénéficiant de visas temporaires, contre seulement 30,4% d’américains [5].

Ombre non négligeable au tableau, il apparaît que cette attractivité s’émousse cependant en valeur relative lorsque l’on regarde les taux de croissance du nombre d’étudiants étrangers dans ces disciplines au niveau crucial des études graduées. Selon le troisième volet du rapport publié en novembre 2008 par le Council of Graduate Schools [5], le taux d’augmentation des inscriptions d’étudiants étrangers au niveau graduate a chuté de 9 points entre 2006 et 2008, passant respectivement de 12% à 3% pour ce qui concerne les nouvelles inscriptions [5]. A un niveau plus fin on voit aussi apparaitre des évolutions contrastées entre les disciplines constituant les STEM.

Ainsi le taux de croissance du nombre d’étudiants internationaux dans les programmes gradués d’ingénierie s’est réduit de 7 points entre 2007 à 2008, passant à 1% seulement après une augmentation de 8% l’année précédente. A l’inverse, certaines matières telles que les sciences physiques et les sciences de la vie bénéficient respectivement d’une augmentation du taux de croissance des nouvelles inscriptions de 2 et 1 points depuis 2007. L’augmentation du taux d’inscription pour ces matières atteste d’une certaine disparité entre les sciences dites dures.[5] Par comparaison, le champ du business et management a connu une chute de 8 points entre 2007 et 2008 passant de 12% à 4% [4].

Dans un contexte de récession, la future administration, pleinement consciente des enjeux, n’aura pas la tâche facile tant les racines de ce problème sont profondes et nombreuses. L’emphase mise par le président élu Obama sur l’importance de chercher une sortie de crise par le haut (nouvelles énergies, nouvelles technologies) représente à cet égard un élément prometteur pour ce qui concerne la promotion des STEM dans l’ensemble de la filière éducative américaine.

Source :

– [1] The World is Flat; A brief history of the twenty-first century updated and expanded. P 323-360. Thomas Friedman, 2006.
– [2] Report of the Academic Competitiveness Council (ACC), U.S. Department of Education, May 2007, https://www.ed.gov/about/inits/ed/competitiveness/acc-mathscience/report.pdf
– [3]Science and engineering indicators, National Science Foundation, 2008, https://www.nsf.gov/statistics/seind08/
– [4] The Chronicle of Higher Education Almanac Issue 2008- 2009
– [5] Council of Graduate Schools, Reports Finding from the 2008 CGS international graduate admissions survey, November 2008, https://www.nsf.gov/statistics/seind08/

Pour en savoir plus, contacts :

– Site de l’Institute for International Education (IIE) : https://www.iie.org
– Site du Council of Graduate Schools (CGS) : https://www.cgsnet.org
– The Chronicle of Higher Education : https://chronicle.com/
Code brève
ADIT : 57005

Rédacteur :

Florence Barnier- [email protected], Pascal Delisle – [email protected], Pierre de Souffron – [email protected]

Partager

Derniers articles dans la thématique
,