Le Sénat vote le déblocage de 250 milliards de dollars pour soutenir la recherche et l’innovation dans un contexte de guerre d’influence sino-américaine

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Le projet de loi S.1260 U.S. Innovation and Competition Act, a été voté par le Sénat le 8 juin dernier à une majorité qualifiée de 68 contre 32. L’adoption rapide des 2400 pages du projet de loi au Sénat confirme le consensus bipartisan qui domine actuellement au Congrès sur les investissements à mener pour réaffirmer la place des Etats-Unis dans le contexte actuel de compétition globale : un soutien massif de 200 Md$ pour la recherche et le développement et une injection de 50 Md$ d’aide publique aux entreprises dans les domaines technologiques stratégiques (semi-conducteurs, intelligence artificielle et quantique). Le texte s’inscrit dans la perspective plus large de l’American Jobs Plan de Joe Biden, un programme d’investissement de plus de 2 000 Md$ sur une décennie.

Parmi les mesures phares, le projet de loi prévoit la création d’une direction pour la technologie et l’innovation au sein de la National Science Foundation (NSF), chargée de renforcer le leadership américain en développant la recherche fondamentale dans les secteurs technologiques critiques que sont l’intelligence artificielle, le calcul de haute performance, les sciences quantiques et les techniques de fabrication avancée. Le projet de loi donne également autorité à l’Office of Science and Technology Policy (OSTP) de la Maison blanche pour développer une stratégie à l’échelle fédérale visant à améliorer la compétitivité américaine.

Bien que le texte intègre aussi des mesures de commerce international et de politique étrangère, le cœur des propositions se concentre sur le soutien aux technologies émergentes, à travers les mesures suivantes :

1. Un investissement de 52 Md$ sur cinq ans pour soutenir l’industrie des semi-conducteurs.

Constatant la perte de vitesse de la production américaine de semi-conducteurs (passée de 37% à 12% de la production mondiale entre 1990 et aujourd’hui) face à la concurrence mondiale, le projet de loi prévoit un investissement de 52 Md$ dans cette industrie, avec pour objectif de diminuer la dépendance des Etats-Unis à l’égard des constructeurs taïwanais et sud-coréens, leaders sur le marché. Celle-ci s’est révélée particulièrement criante lorsque la production automobile aux Etats-Unis a subi d’importants retards à cause d’une pénurie de semi-conducteurs, un composant essentiel pour ces chaînes de production. Le plan d’action prévoit également des subventions de plusieurs milliards de dollars étalées sur plusieurs années à destination de programmes R&D spécialisés dans les semi-conducteurs et gérés par le département du Commerce et des entités spécialisées. 

La Chine, où les semi-conducteurs constituent le premier poste d’importation, a de son côté initié un mouvement parallèle pour assurer son indépendance, avec des investissements à hauteur de 150 Md$ dans la filière. Le nombre de nouvelles entreprises dans le secteur a triplé entre janvier et mai 2021 et la Chine affiche comme ambition de devenir le leader mondial de l’industrie d’ici 2030. Elle pâtit néanmoins d’une technologie vieillissante et d’un manque de compétences dans une industrie aussi techniquement exigeante où les barrières à l’entrée sont très importantes.

2. Une dotation de 200 Md$ environ sur cinq ans pour préserver et consolider l’hégémonie américaine en science et technologie.

Le U.S. Innovation and Competition Act incorpore le Endless Frontier Act, qui prévoit le déblocage d’environ 200 Md$ à destination des grandes agences et départements américains dans le domaine de la recherche : la National Science Foundation, le département de l’Energie, le département du Commerce et la NASA. Quelques unes des propositions phares de ce programme incluent :

  • Une autorisation de 29 Md$ pour permettre la création d’une nouvelle direction de la technologie et de l’innovation au sein de la NSF, amenée à soutenir la recherche fondamentale dans les secteurs technologiques stratégiques comme l’intelligence artificielle, le calcul de haute performance, les sciences quantiques et les techniques de fabrication avancée ;
  • Une dotation de 52 Md$ pour les activités existantes de la NSF, destinée à former une main-d’oeuvre qualifiée en STEM et à financer des programmes en agronomie, minerais critiques et bioéconomie ;
  • 23 Md$ seront consacrés au développement de l’exploration spatiale, un investissement controversé qui devrait bénéficier en partie à l’entreprise Blue Origin, propriété du milliardaire Jeff Bezos ;
  • 17 Md$ pour le département de l’Energie, afin de soutenir la recherche et le développement dans les secteurs technologiques déterminants pour l’approvisionnement en énergie des États-Unis ;
  • Une autorisation de 17,5 Md$ à destination de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA), soit un doublement de son budget pour les cinq prochaines années.

Le projet de loi prévoit en outre le renforcement des capacités industrielles, la sécurisation des installations en lien avec la cybersécurité, l’amélioration de la fiabilité des chaînes d’approvisionnement américaines et un investissement d’1,5 Md$ pour le développement des technologies de téléphonie mobile, dans l’optique de rattraper le retard pris sur la Chine dans le domaine de la 5G.

3. Un corpus de textes pour faire face au « défi chinois » sur la scène internationale

Rassemblée sous une section intitulée « Strategic and Competition Act« , une série de mesures vise à répondre au défi global posé par la Chine, selon trois grands axes :

  • Focaliser les efforts stratégiques sur la région Indo-Pacifique et favoriser les partenariats avec les alliés de cette région dans les domaines de la technologie, de la défense et des infrastructures face à la montée en puissance des capacités militaires chinoises ;
  • Faire face à l’influence chinoise dans les pays émergents en augmentant les budgets des agences américaines d’aide au développement, notamment l’Inter-American Development Bank et la Development Finance Corporation ;
  • Défendre et exporter les valeurs des Etats-Unis avec une série de mesures et sanctions liées au respect des droits de l’homme et de la liberté d’expression.

Le U.S. Innovation and Competition Act présente d’importantes similitudes, tant au niveau des secteurs technologiques visés que des sommes engagées, avec le programme “Made in China 2025”, présenté en 2014 et qui vise à permettre à la Chine de diminuer sa dépendance aux importations en augmentant fortement ses capacités de production dans les domaines clés. De chaque côté, l’autonomie nationale et le patriotisme économique s’affirment comme le moteur des investissements consentis.

Avant d’arriver sur le bureau du président, le texte de loi doit d’abord être présenté devant la Chambre des représentants, où son avenir demeure incertain malgré le soutien de l’administration Biden. Son passage risque en effet d’être concurrencé par plusieurs projets de lois qui s’inscrivent tous dans le cadre de la rivalité sino-américaine.

Le projet de loi pourrait aussi faire face à des oppositions plus sévères, notamment sur l’importance des sommes allouées aux technologies émergentes. Des membres de la Chambre des représentants ont déjà annoncé leur intention d’incorporer au projet de loi des financements pour la recherche fondamentale dans des domaines plus variés que ceux couverts initialement, comme le changement climatique, la réponse aux pandémies et la cybersécurité.

Rédacteur :

Julian Muller, Attaché adjoint pour la Science et la Technologie, Washington DC – [email protected]

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