La découverte du memristor en avril dernier par l’équipe de Stanley Williams des laboratoires HP (Nature, Vol 453, 1 May 2008) a fait sensation dans la communauté scientifique. Pour cette raison, un symposium dédié au sujet était organisé le 21 novembre à l’université de Berkeley. Plusieurs protagonistes de la découverte et des travaux qui y ont été associés étaient présents : Leon O-Chua (UC Berkeley), Stanley Williams, Greg Snyder (HP), Rainer Waser (Aachen, All), Massimilio Di Ventra (UCSD).
Dans un article de 1971, Leon O-Chua exposait pour la première fois le concept théorique de Memristor. Il s’agit d’un élément électrique passif à deux contacts, aux bornes duquel la tension U varie de façon non-linéaire avec l’intensité I. La memristance M=U/I est une fonction variable de la charge q, qui dépend elle-même du temps (sans quoi il s’agirait d’une banale résistance électrique). Des considérations de symétrie sur les variables de courant, tension, charge et flux magnétique, avaient convaincu O-Chua de l’existence d’un tel élément, en complément des éléments standards que sont le resistor, l’inductor et le capacitor.
Depuis cette date, le concept et la terminologie de O-Chua ont été en grande partie laissés de côté par la communauté scientifique. Les travaux en physique des matériaux ont pourtant apporté de nombreux résultats, où des comportements de systèmes memristifs (une généralisation du Memristor) étaient mis en évidence. Personne n’avait cependant fait le lien avec la théorie de O-Chua, jusqu’en avril dernier avec la publication du groupe de Stanley Williams.
Le système présenté par l’équipe de HP comporte une couche mince (5nm) d’oxyde de Titane TiO2 semiconducteur, divisé en deux zones de dopage (lacunes d’oxygène) différent. Une zone est conductrice, alors que l’autre est isolante, et la séparation entre les zones est mobile sous l’effet d’un champ électrique, via le déplacement d’ions oxygène. Cette mobilité est à l’origine de l’effet memristif, M(q) étant proportionnel à la charge q(t) et au carré de l’inverse de l’épaisseur de la couche. Cette dernière dépendance explique pourquoi l’effet n’est observé qu’avec des systèmes nanométriques, et qu’il a mis si longtemps à être analysé avec précision. Il n’est pas observable sur les systèmes simplement milli ou micro-métriques.
Le composant de HP est un Memristor nano-ionique, où l’effet memristif non-linéaire est directement lié au déplacement des ions dans la couche mince semiconductrice. Lorsque ce déplacement arrive à saturation, la frontière entre les zones de dopage différent ne bouge plus, et le composant entre en phase d’hystérésis. Cette phase est caractéristique du Memristor, et apparaît clairement sur les diagrammes I-V sous forme d’une boucle en ‘noeud de papillon’.
La conférence a donné lieu à plusieurs présentations des applications potentielles d’un tel composant. Le Memristor présente tout d’abord un effet mémoire, directement lié à la courbe d’hystérésis qui offre deux états de résistance RON et ROFF. Selon HP, cet effet permettrait à terme de remplacer les mémoires flash, DRAM, et même les disques durs. Le principal souci à ce stade concerne la vitesse d’enregistrement et de lecture. Le déplacement ionique dans la couche semiconductrice est en effet très lent : la mobilité des ions est environ 13 ordres de grandeurs inférieure à celle des électrons et trous dans le Silicium. Les dimensions de la couche en question sont certes nanométriques, mais cela ne suffira peut être pas à compenser cette lenteur. En revanche, la non-volatilité du Memristor semble très bonne, avec une persistance de l’information de plusieurs années. Le prototype de HP consiste en une matrice "crossbar" de cellules Pt/TiO2/Pt en technologie nanoimprint 45nm. Ces cellules peuvent être empilées très facilement, car elles ne comportent aucune couche cristalline, ce qui ouvre la voie à des densités de mémoire gigantesques, approchant le Tb/cm^2.
Le Memristor pourrait servir également servir de brique de base à une forme alternative de logique booléenne. Un assemblage ingénieux de tels composants a déjà permis aux laboratoires HP de réaliser une porte NAND, autorisant par complétude toutes les configurations logiques imaginables. L’intérêt principal du Memristor réside dans sa petite taille. Le circuit "crossbar" de HP donne des tailles de composants d’à peine 0.05micron^2, contre 0,3 micron^2 pour une porte NAND CMOS. Un deuxième avantage réside dans le fait que la mémoire du Memristor est stockée dans un état de résistance, et non de charge comme dans les DRAMs. Elle n’engendre ainsi aucun courant de dissipation statique.
Enfin, le Memristor pourrait être utilisé comme synapse dans des architectures de réseaux neuronaux. La forte densité des technologies crossbar de HP, la non-linéarité des composants, associés à une connectivité ingénieuse des composants entre eux, permettrait de simuler assez bien ce qui se passe dans le cerveaux humain. HP a présenté des simulations de tels réseaux, capables de décomposer des images en motifs de base.
Il est finalement apparu lors de la conférence, que beaucoup de chercheurs avaient réalisé en découvrant l’article de HP, qu’ils avaient passé des années à étudier des systèmes memristifs sans s’en rendre compte. M. di Ventra de UCSD a ainsi présenté deux exemples, l’un concernant un système spintronique, l’autre plus amusant concernant l’apprentissage des amybes. Malgré tout, il revient à l’équipe de Stanley Williams, la paternité du premier composant semiconducteur, proprement qualifié de Memristor, et bien compris d’un point de vue théorique.
Source :
Symposium à UC Berkeley https://memristor.ucmerced.edu/
Pour en savoir plus, contacts :
– Sur le HP Labs : https://www.hpl.hp.com/
– Sur le Memristor : https://en.wikipedia.org/wiki/Memristor
– BE USA 122 https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/54506.htm
Code brève
ADIT : 56900
Rédacteur :
Daniel Ochoa, [email protected]