L’administration Biden parviendra-t-elle à protéger la science contre les ingérences politiques ?

Depuis deux ans, l'administration américaine s’attèle à reconstruire la confiance, dégradée sous l’ère Trump, entre les sphères scientifiques et politiques. La Maison-Blanche vient de publier de nouvelles directives pour harmoniser à la hausse les politiques d’intégrité scientifique au sein des agences fédérales. L’enjeu des ingérences étrangères, et notamment chinoises, dans l’appareil scientifique et technologique américain demeure central.
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La Maison-Blanche, Washington

L’administration Biden poursuit les efforts entamés dès son arrivée au pouvoir pour renforcer son appareil scientifique et technologique contre l’interventionnisme politique, avec comme chef de file de ce programme le bureau des politiques scientifiques et technologiques de la Maison-Blanche (Office of Science and Technology Policy).

Ces efforts s’inscrivent dans une dynamique initiée par le président dans les premiers jours de son mandat, et reprise dans son Memorandum on Restoring Trust in Government Through Scientific Integrity de janvier 2021. Elle vise avant tout à reconstruire les garanties d’indépendance mises à mal sous l’administration de Donald Trump, dont les quatre années à la tête de l’Etat ont été émaillées d’incidents préjudiciables à la confiance des citoyens dans la sphère politique mais aussi dans la science. Citons notamment la modification arbitraire des recommandations de santé publique des Centres de contrôle et de prévention des maladies (CDC) pendant la pandémie de COVID-19, ou encore les fausses déclarations du président sur une prévision d’ouragan en 2020 qui furent confirmées par des fonctionnaires qu’il avait lui-même nommés à la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA).

L’objectif de l’administration en place est de doter les agences fédérales de procédures suffisamment solides pour que l’indépendance des scientifiques ne soient plus soumise à l’imprévisibilité des alternances politiques.

1/ Un nouveau cadre pour réglementer l’intégrité scientifique à l’échelle fédérale

Le nouveau cadre fédéral visant à renforcer les pratiques et stratégies de l’intégrité scientifique (A Framework for Federal Scientific Integrity Policy and Practice), paru le 12 janvier 2023, propose une série d’instruments pour encourager les agences fédérales à se doter d’une politique en matière d’intégrité scientifique. Il prévoit notamment une définition cohérente de ce concept applicable à toutes les agences, un modèle de règles relatives à l’intégrité scientifique et une procédure régulière d’évaluation des risques et de révision des pratiques et des politiques en vigueur.

Avec ce nouveau document, et pour la première fois, le gouvernement américain répond à une demande exprimée par de nombreuses agences en proposant une définition unique de l’intégrité scientifique : “L’intégrité scientifique est l’adhésion aux pratiques professionnelles, au comportement éthique et aux principes d’honnêteté et d’objectivité dans la conduite, la gestion, l’utilisation des résultats et la communication de la science et des activités scientifiques. L’intégrité scientifique se caractérise par l’inclusion, la transparence et la protection contre toute influence inappropriée.”

Le document prévoit l’obligation pour chaque agence de désigner un responsable intégrité scientifique (Scientific Integrity Official, SIO) en son sein. Il entérine également la création d’un sous-comité à l’intégrité scientifique au sein du National Science and Technology Council (NSTC), un organe de conseil au président composé des directeurs des principales agences scientifiques et rattaché à l’OSTP, qui devient ainsi le référent fédéral en matière d’intégrité scientifique. Ce sous-comité sera chargé d’enquêter sur d’éventuelles violations commises par de hauts responsables et directeurs d’agences, qui sont pour beaucoup nommées par les autorités politiques.

Les agences sont astreintes à des délais serrés : elles doivent faire parvenir sous 60 jours une proposition à jour de politiques en matière d’intégrité scientifique inspirée du modèle rédigé par l’OSTP, pour examen par celui-ci et par le nouveau sous-comité. Chaque agence est tenue d’organiser une audition ou une consultation publique sur ses politiques et pratiques en matière d’intégrité scientifique. Les textes définitifs des agences et leur entrée en vigueur sont prévus avant la fin de l’année et devront être réévalués tous les deux ans.

2/ Une priorité de l’administration Biden depuis son arrivée au pouvoir

Le cadre publié par l’OSTP est l’aboutissement d’un travail de réflexion mené à l’échelle fédérale depuis mai 2021, ayant associé 30 agences fédérales et reçu les contributions individuelles de plus de 1 000 personnes.

Moins d’une semaine après son investiture, le président Biden avait chargé l’OSTP d’entreprendre une réforme des politiques d’intégrité scientifique engagées par l’administration Obama mais qui s’étaient révélées insuffisantes pour endiguer l’interventionnisme de Donald Trump. Un groupe de travail (Scientific Integrity Task Force) dédié avait été mis sur pied à cette occasion, dont les principales conclusions avaient fait l’objet d’un rapport publié un an plus tard, en janvier 2022, dans lequel il identifiait des pistes d’amélioration et émettait des recommandations.

Dans ce rapport intitulé “Protecting the Integrity of Government Science”, la task force préconisait la création d’un conseil fédéral de l’intégrité scientifique, qui s’incarnera donc sous la forme du sous-comité évoqué supra.

Le dernier document publié par l’OSTP vient couronner les travaux supervisés par la Maison-Blanche depuis deux ans et donne mandat aux agences fédérales d’ajuster leurs politiques en matière d’intégrité scientifique à leurs modes de fonctionnement individuel.

3/ Derrière l’effet d’annonce, une mise en oeuvre encore incertaine

La publication de ces nouvelles directives a suscité des commentaires positifs de la part de la communauté scientifique américaine, mais aussi quelques interrogations, notamment sur l’application de sanctions pour les personnes reconnues coupables d’avoir enfreint les règles, mais aussi le protocole pour les scientifiques qui souhaiteraient présenter leur travail aux journalistes ou au grand public. D’autres commentateurs s’interrogent également sur les garanties offertes aux scientifiques qui exprimeraient un désaccord professionnel ou dont les résultats de recherche se heurteraient aux priorités de l’agence qui les finance. Ces détails devraient être laissés à la discrétion de chaque agence.

En outre, l’absence d’un diagnostic sur les défaillances du système qui ont permis au pouvoir politique de s’inviter dans la sphère scientifique est pointée comme l’une des principales insuffisances du rapport émis par l’OSTP, et qui risquerait de mener aux mêmes erreurs commises par le passé.

Jacob Carter, directeur de recherche pour l’Union of Concerned Scientists, une influente association de chercheurs qui a publié ses recommandations en matière d’intégrité scientifique dans un rapport paru en 2020, rappelle la fragilité des directives issues du pouvoir exécutif et l’importance d’une inscription dans la loi : “Il s’agit d’un cadre très solide, mais l’impact réel viendra de la manière dont il sera mis en œuvre. Chaque agence a maintenant la responsabilité de s’assurer que son personnel connaît ses droits, et que les personnes nommées par l’exécutif savent que ces règles seront prises au sérieux et qu’elles seront tenues responsables si elles les enfreignent. Et aussi importants que soient ces engagements de l’administration, nous avons également besoin que le Congrès agisse et adopte un projet de loi sur l’intégrité scientifique qui codifie ces protections dans la loi, afin qu’elles ne disparaissent pas sous une future présidence.” Une issue improbable dans les deux prochaines années, tant la récente reconfiguration du Congrès, scindé entre une Chambre des représentants républicaine et un Sénat démocrate, laisse peu de place à une initiative qui nécessiterait un vote bipartisan.

Rédacteur : Julian Muller, chargé de mission scientifique, [email protected]

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