La promotion du recours à l’énergie nucléaire dans le domaine spatial sous l’Administration Trump

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Perçu comme un élément déterminant du leadership américain, le secteur de l’énergie a fait l’objet d’une attention toute particulière durant le mandat du 45ème Président des États-Unis Donald Trump. Dès le 29 juin 2017, ce dernier avait annoncé, lors de l’« Unleashing American Energy Event », la mise en œuvre d’efforts d’ampleur de la part de son administration pour favoriser la « domination énergétique américaine » (« American energy dominance »). Le Président sortant avait alors accordé un intérêt majeur à l’énergie nucléaire en indiquant qu’une révision complète de la politique américaine actuelle en la matière allait être lancée.

Dans le cadre de cette dynamique globale, l’administration sortante s’est attachée à revoir sa stratégie de recours à l’énergie nucléaire dans le domaine spatial. En effet, l’énergie et la propulsion nucléaires ont toujours constitué un élément crucial des opérations spatiales, notamment – mais pas seulement – en matière d’exploration. La propulsion nucléaire est tout d’abord la plus adaptée aux longues distances dans le système solaire et l’Espace lointain. Plus efficace, elle permet de réduire les temps de trajet significativement ou d’augmenter les capacités d’emport par rapport à la propulsion chimique classique, un paramètre crucial pour les vols habités. En outre, le développement d’activités civiles et commerciales sur la surface lunaire ou sur d’autres corps célestes, tel qu’envisagé par l’administration de Donald Trump, nécessite des sources d’énergie à haut rendement et longue durée de vie, auxquels d’autres sources comme l’énergie solaire ne peuvent répondre.

En ce sens, de nombreuses initiatives ont été prises pour permettre le développement de synergies entre les deux secteurs nucléaire et spatial. Ces initiatives ont pris deux formes principales :

  • La publication de divers décrets présidentiels encourageant le recours à l’énergie nucléaire dans l’Espace (chapitre 1)
  • Un rapprochement entre les administrations compétentes dans ce domaine (chapitre 2)

1. Promulgation de plusieurs décrets présidentiels en faveur du nucléaire spatial

Le Président sortant Donald Trump a exercé un leadership particulièrement important dans la promotion de l’énergie nucléaire au service du secteur spatial. Il a effectivement promulgué trois textes en la matière, prenant la forme de décrets présidentiels (ou autres textes assimilables) :

  • « Presidential Memorandum on Launch of Spacecraft Containing Space Nuclear Systems» (20 août 2019)
  • « Memorandum on the National Strategy for Space Nuclear Power and Propulsion (Space Policy Directive-6) » (16 décembre 2020)
  • « Executive Order on Promoting Small Modular Reactors for National Defense and Space Exploration » (12 janvier 2021)

a. Presidential Memorandum on Launch of Spacecraft Containing Space Nuclear Systems

Ce texte, promulgué le 20 août 2019, met à jour le processus d’autorisation des lancements d’engins spatiaux – gouvernementaux comme privés – équipés de systèmes d’énergie nucléaire.

Le texte établit un système d’autorisation en trois tiers qui dépend des caractéristiques de l’engin spatial lancé (notamment le type d’uranium utilisé et la quantité de matières radioactives emportées), du risque d’occurrence d’un accident et de considérations de sécurité nationale :

  • Le lancement de charges utiles des deux premiers tiers peut être autorisé par leur seule agence de tutelle (« sponsoring agency»), à l’exception de certains cas où un examen inter-agence mené par l’Interagency Nuclear Safety Review Board doit être réalisé (pour rappel, l’agence de tutelle pour les lancements commerciaux est le Département du Transport)
  • Le lancement de charges utiles du troisième tiers requiert l’obtention d’une autorisation présidentielle qui pourrait être accordée par l’intermédiaire du National Security Council pour les missions de sécurité nationale ou de l’Office of Science and Technology Policy (OSTP) pour les autres missions

Ce texte fixe aussi des directives de sécurité pour aider les responsables de mission et les autorités chargées de l’autorisation des lancements à assurer la sécurité des lancements dans toute la gamme des systèmes nucléaires spatiaux.

b. Space Policy Directive-6 (SPD-6): Memorandum on the National Strategy for Space Nuclear Power and Propulsion)

Adoptée le 16 décembre 2020, la SPD-6 a vocation à tracer des lignes directrices et à définir les responsabilités de chaque administration fédérale compétente (en l’occurrence : la NASA ; les Départements d’État [DoS], de la Défense [DoD], de l’Énergie [DoE], du Commerce [DoC], du Transport [DoT] ; la Commission de réglementation nucléaire ; le Bureau de la politique scientifique et technologique [OSTP]) ainsi que le Vice-Président pour permettre le développement sûr, sécurisé et durable de l’énergie et de la propulsion nucléaires au profit des activités spatiales américaines.

Selon les termes de la SPD-6, le recours à l’énergie et la propulsion nucléaire doit permettre aux États-Unis de conserver leur hégémonie dans l’Espace, et de poursuivre les objectifs qu’ils se sont fixés en matière commerciale, scientifique, de sécurité nationale et surtout d’exploration. La SPD-6 fixe d’ailleurs un certain nombre d’objectifs calendaires qui reflètent pleinement les ambitions et l’agenda de la NASA en matière d’exploration, en particulier :

  • D’ici le milieu de la décennie 2020 : développer les capacités nécessaires à la mise au point d’un combustible qui soit adapté à la production d’énergie à la surface des corps célestes, à la propulsion électrique nucléaire et à la propulsion thermique nucléaire
  • D’ici le milieu/la fin de la décennie 2020 : développer un système de production d’énergie par fission nucléaire sur la surface lunaire capable de soutenir le maintien d’une présence humaine durable sur la Lune et pouvant être utilisé à terme dans le cadre de l’exploration de Mars
  • D’ici la fin de la décennie 2020 : développer les capacités techniques nécessaires à la mise au point d’un système de propulsion nucléaire thermique qui pourrait répondre aux besoins de la NASA (mais aussi du DoD)
  • D’ici la décennie 2030 : développer des générateurs radio-isotopiques avancés (meilleur rendement énergétique et durée de vie opérationnelle plus longue) pour soutenir l’exploration de la Lune, de Mars et du système solaire

La SPD-6 ne se limite toutefois pas à l’exploration et encourage aussi le développement des technologies nucléaires au service des autres missions de la NASA ou encore du DoD. L’objectif du document est même plus large et vise, selon un représentant de l’administration, à mieux coordonner les travaux des agences fédérales américaines (notamment de la NASA, du DoD et du DoE) en matière nucléaire et à revitaliser la base industrielle américaine œuvrant dans ce secteur. Il est d’ailleurs suggéré, dans une logique d’économie et de durabilité, de développer des capacités et des technologies qui soutiennent des applications aussi bien terrestres que spatiales, et de capitaliser sur les technologies terrestres.

Consciente des risques et des préoccupations soulevés par le recours à l’énergie nucléaire en termes de prolifération, la SPD-6 est également revenue sur la problématique de l’utilisation de l’uranium hautement enrichi (Highly Enriched Uranium – HEU) – qui avait notamment été employé dans le cadre du programme Kilopower. Sans bannir le recours à l’HEU, la SPD-6 restreint son utilisation à des hypothèses dans lesquelles il n’existerait aucun combustible alternatif.

c. Executive Order on Promoting Small Modular Reactors for National Defense and Space Exploration

Selon l’Exécutif, ce décret publié le 12 janvier 2021 s’inscrirait dans le sillage de la SPD-6 qu’il aurait vocation à approfondir. Pour ce faire, il fixe des objectifs précis à trois administrations compétentes en matière spatiale :

  • La NASA: il demande à son Administrateur de rédiger dans les 180 jours un rapport détaillant les exigences (de taille, de masse, de performance) de l’Agence concernant l’utilisation de systèmes d’énergie nucléaire dans le cadre des missions d’exploration humaines et robotiques et d’analyser les coûts et les bénéfices de ces exigences
  • Le DoE : le décret lui demande de concevoir un plan sur trois ans en vue de la mise au point d’un micro réacteur (quelques kW), et du combustible correspondant (uranium faiblement enrichi à haut dosage). Plus globalement, le décret appelle au développement de synergies entre les trois administrations et les incite à coordonner leurs efforts en matière d’énergie et de propulsion nucléaires.
  • Le DoD: le décret lui impose de travailler avec les administrations compétentes – notamment la NASA – pour identifier les applications de sécurité nationale des systèmes d’énergie nucléaire dans l’Espace

2. Rapprochement entre les administrations compétentes (NASA, DoE, DoD)

Conformément aux directives présidentielles, on note un rapprochement entre les administrations intéressées par le recours à l’énergie nucléaire dans le domaine spatial :

  • Principalement entre la NASA et le DoE
  • Progressivement entre le DoD et le DoE

a. Rapprochement entre la NASA et le DoE

Les deux administrations ont tout d’abord eu l’opportunité d’approfondir leur dialogue suite à l’intégration du DoE au sein du National Space Council (NSpC) lors de sa 7ème réunion le 19 mai 2020. Pour rappel, le NSpC est un organe réunissant les différentes administrations américaines impliquées dans les affaires spatiales afin qu’elles échangent, coopèrent et agissent de concert pour la définition et l’implémentation de la stratégie spatiale américaine. Rétabli le 30 juin 2017 par le Président sortant Donald Trump, le NSpC était présidé par le Vice-Président Mike Pence jusqu’au 20 janvier 2021.

En outre, les deux administrations ont décidé de poursuivre et de formaliser leur collaboration en signant en octobre 2020 un Memorendum of Understanding (MoU) qui prévoit l’établissement de trois groupes de travail dont les travaux pourraient servir les ambitions de la NASA en matière d’exploration :

  • Le premier concernerait les infrastructures lunaires
  • Le deuxième concernerait le recours à l’énergie et à la propulsion nucléaire
  • Le troisième concernerait les sciences et l’innovation

Les axes de coopération entre les deux administrations ne s’arrêtent toutefois pas aux seules missions d’exploration. Le MoU souligne également les bénéfices que pourrait apporter ce partenariat en matière de météorologie spatiale, de connaissance de l’environnement spatial, de défense planétaire, d’informatique haute performance, etc.

Enfin, au début du mois de janvier 2020, le DoE a publié une feuille de route intitulée « Energy for Space » contenant des recommandations politiques visant à renforcer le rôle du DoE dans le développement du secteur spatial. Dans le cadre de cette stratégie, le DoE prévoit de mettre ses compétences au profit des intérêts de la communauté spatiale en se concentrant sur quatre thématiques principales : l’exploration, l’innovation, la sécurité et le développement du secteur privé.

b. Rapprochement entre le DoD et le DoE

A l’occasion de la 8ème réunion du NSpC du 9 décembre 2020, le Secrétaire à l’Énergie, Dan Brouillette, a indiqué qu’un rapprochement avait été entamé entre le DoD et le DoE à travers la tenue d’une réunion en octobre 2020 pour déterminer des axes de coopération.

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