La nouvelle ligne politique du NIH sur les financements de la recherche inquiète les partenaires étrangers et la communauté scientifique.

NIH

Les National Institutes of Health (NIH), acteur majeur de la recherche biomédicale aux Etats-Unis, a récemment annoncé une mise à jour significative de sa politique de subventions [1], avec un impact significatif sur d’éventuels partenariats de recherche internationaux. Cette annonce, mise à jour en septembre 2023 et précisée lors d’un webinaire du NIH début octobre, doit entrer en vigueur à partir de janvier 2024 [2]. Elle vise à renforcer la supervision du NIH sur les financements accordés, et la conformité des recherches menées lors de collaborations internationales, financées par le NIH.

Cependant, cette nouvelle orientation politique suscite des inquiétudes sur les implications potentiellement importantes pour les partenariats de recherche étrangers. Dans le cas le plus extrême où celle-ci serait appliquée de manière stricte, elle pourrait en effet représenter une menace pour les partenariats internationaux de recherche en santé avec le NIH. Un consortium regroupant plusieurs dizaines d’universités européennes parmi les plus prestigieuses du continent a fait part de ses grandes inquiétudes face à la décision du NIH, estimant que cette ligne politique risque de rendre nettement plus difficile la participation des chercheurs étrangers comme bénéficiaire secondaire pour un projet de recherche. Les obstacles législatifs, notamment par rapport à la protection des données au sein de l’Union Européenne, risquent d’être un élément bloquant, freinant les collaborations internationales avec le NIH, et menaçant les partenariats déjà existants [3].

Les subawards sont des financements perçus par un chercheur auprès du NIH, que celui-ci peut réallouer à un collaborateur, local ou étranger, avec l’ambition de mener à bien ses recherches.

Publiée en mai 2023, la Policy Guidance for Subawards du NIH a pour objectif principal d’améliorer la transparence des recherches financées par l’Institut. Cette nouvelle politique se veut également un moyen d’accroître la responsabilité des récipiendaires de financements, notamment si ceux- ci sont étrangers.

Pour ce faire, le NIH exigera désormais une transmission régulière des données de recherches générées au sein des collaborations et de tous les projets financés par le NIH (notes de laboratoire, données informatiques etc). Comme on peut l’imaginer, cette annonce a créé l’émoi parmi la communauté de chercheurs, qui s’inquiètent à la fois de l’utilité et de l’usage d’une telle collecte massive, non-concertée et non-encadrée.

Après sa publication, cette mesure a fait l’objet de plusieurs centaines de commentaires publics, exprimant en particulier des inquiétudes concernant la fréquence de transmission des données, initialement prévue plusieurs fois par an [4]. Une mise à jour en septembre 2023 réduit la fréquence des transmissions de données à une fois par an, sans toutefois réduire le volume de données à transmettre, comme confirmé durant un séminaire d’information donné par le NIH le 17 octobre. Ces modifications ne représentent donc pas un changement significatif par rapport à la version initiale.

La policy guidance du NIH, entrant en vigueur en janvier 2024 aura donc de lourdes conséquences, en particulier pour les partenariats de recherche internationaux. Cette politique fait notamment reposer entièrement la charge administrative supplémentaire sur le bénéficiaire principal (le chercheur recevant le financement directement de la part du NIH, ou “prime investigator”), ce qui pourrait desservir le caractère collaboratif de la recherche à terme. En effet, ce chercheur “principal bénéficiaire” devra ainsi garantir la conformité administrative pour le compte des bénéficiaires secondaires, qui reçoivent une partie des financements. A l’interface entre recherche et gestion administrative, celui-ci devient alors l’unique interlocuteur entre les collaborateurs secondaires et le NIH. Cela signifie qu’en plus des tâches principales de recherche, le récipiendaire d’un financement NIH collaborant avec des chercheurs ou institutions internationales doit également s’acquitter de la gestion administrative et du reporting en lien avec la recherche, portant la responsabilité de transmettre en bonne et due forme au NIH les données de recherche transmises par ses collaborateurs. Cette situation risque d’accaparer un temps précieux de recherche, voire de dissuader certains scientifiques d’entreprendre des recherches collaboratives. D’autant qu’on évalue déjà à plus de 40% du temps de travail effectif le temps dédié aux tâches administratives pour les projets de recherches qui bénéficient de financements fédéraux [5].

Cela peut s’avérer particulièrement problématique, notamment pour les pays à bas et moyens revenus, dont les exigences de reporting peuvent dans certains cas s’avérer difficiles à atteindre, entravant ainsi la recherche en santé. Un retard qui pourrait s’aggraver pour cause de mise en conformité des partenaires internationaux, dans un modèle où les directives descendent, sans réel dialogue.

Enfin, l’une des raisons pour lesquelles cette nouvelle politique suscite tant d’inquiétudes concerne le manque de confiance soulevé par la mise en place de ces exigences pour les collaborateurs internationaux. La transmission des données de recherche et de laboratoire par les collaborateurs étrangers remet en question la confiance de l’institution envers les partenaires internationaux, et risque de compromettre durablement les partenariats futurs. Une tribune parue dans The Lancet parle d’un “impérialisme sous-jacent” [6], questionnant l’autorité incontestable qu’exercera alors un organisme de financement sur les partenaires étrangers.

En conclusion, bien que la volonté du NIH d’accroître la transparence et la responsabilité des financements dans les partenariats de recherche internationaux soit louable, il est légitime de penser que les conséquences de cette policy guidance sur certains partenariats internationaux de recherche en santé seront majeures et préjudiciables, dans une époque post-pandémique où plus que jamais la collaboration internationale s’avère cruciale.

Références : 

[1] National Institute of Health NOT-OD-23-182: NIH Final Updated Policy Guidance for Subaward/Consortium Written Agreements

[2] National Institute of Health Further Clarifying NIH’s Foreign Subaward Agreement Policy: Addressing Community Feedback – NIH Extramural Nexus

[3] Joint statement of European universities on NIH updated Policy Guidance for Subaward/Consortium, disponible ici : Aurora signs Joint Statements on the updated NIH Policy Guidance for Subaward | Aurora (aurora-universities.eu)

[4] Nature NIH upholds controversial plan to step up oversight of foreign collaborators (nature.com)

[5] National Science Foundation Reducing Investigators’ Administrative Workload For Federally Funding Research (nsb1418) (nsf.gov)

[6] The Lancet NIH grant reporting policies: bridging gaps or building walls? – The Lancet

Rédacteur : 

Théophile Altuzarra, Chargé de mission pour la Science et la Technologie, Ambassade de France à Washington D.C., [email protected].

Partager

Derniers articles dans la thématique