La diversité dans les essais cliniques, un point d’alerte pour une médecine fiable et équitable

Avec un système de santé peu équitable à travers les différentes catégories socio-démographiques et une crise pandémique qui a montré, dans les essais cliniques, les revers du recours à des échantillons de population non représentatifs de la population atteinte, la question de la diversité dans les essais cliniques prend une place grandissante aux Etats-Unis et pourrait dépasser les frontières.

Crédits : https://florencehc.com/

 

Un bref état de l’art de la recherche clinique en France et aux États-Unis

D’après un rapport des Entreprises du Médicament (Leem, syndicat français de l’industrie pharmaceutique) de mars 2022 qui dresse un état de l’art de l’évolution des essais cliniques, si la France se place en bonne position à l’échelle internationale sur l’adoption et la réglementation des évolutions liées aux essais cliniques, les Etats-Unis, eux, sont les premiers contributeurs à la recherche clinique mondiale, accueillant plus de 50% des essais cliniques, avec une part majoritaire dans la recherche contre le cancer.

Dans ce rapport, l’accent est mis sur le retard pris par la France par son manque de rapidité et de flexibilité s’alimentant d’une « approche conservatrice » qui rendrait l’innovation difficile, notamment en ce qui concerne la digitalisation du suivi, un atout fort des Etats-Unis. Cette digitalisation apparaît en effet comme un point clé dans la transformation de la recherche clinique. Pourtant, ce n’est pas la motivation qui manque, que ce soit du côté industriel ou académique, ni le cadre juridique, particulièrement formalisé et structuré en comparaison aux autres États membres de l’Union Européenne, pourtant soumis aux mêmes attentes que la France en termes de protection des données. La France propose également une aide financière (avec le crédit impôt recherche), dispose d’experts reconnus et leaders d’opinion, et est reconnue pour sa rigueur éthique. Ces atouts en font un terrain fertile pour revenir aux devants de la scène, après avoir perdu sa position de chef de file européen au cours des 20 dernières années. Sa réactivité quant à la recherche clinique pour la COVID-19 et un cadre légal d’acquisition des données plus pérenne, notamment avec un archivage plus long rendant ces dernières plus exploitables sont de bons indicateurs de rebondissement.

Les Etats-Unis bénéficient, eux, d’une approche plus proactive aux changements et sont plus à même de prendre des risques. Ils sont, de plus, soutenus par un travail de centralisation et de facilitation des démarches par les agences réglementaires. La FDA soutient le développement de la recherche clinique en l’agrémentant grâce à la digitalisation et à l’utilisation de données de vie réelle. Dernièrement, l’accent est mis l’inclusion de la diversité de patients, charnière pour assurer la fiabilité des essais cliniques et l’égalité des chances données à l’ensemble de la population, quel que soit son patrimoine génétique, son expression phénotypique ou son environnement.

 

La diversification socio-démographique des essais cliniques : une non-négligence qui devient impérative dans la fiabilité statistique comme dans l’égalité des chances

La diversification socio-démographique des essais cliniques est un sujet de plus en plus considéré au vu des écueils observés au cours des dernières années. Un exemple à considérer est celui des essais cliniques réalisés pour évaluer des traitements contre la COVID-19 : quand les minorités ethniques (l’origine ethnique étant un facteur répertorié au même titre que l’âge ou le sexe aux États-Unis) se sont montrées trois fois plus susceptibles de contracter une forme grave de l’infection au coronavirus, les essais ont majoritairement été réalisés sur des populations « blanches » (le Bureau du recensement définit les « blancs » ayant des origines dans l’un des peuples originaires d’Europe, du Moyen-Orient ou d’Afrique du Nord). 

Outre les critères ethniques, peu d’essais ont été réalisés sur des personnes de plus de 60 ans, pourtant plus à risque, ou sur les femmes enceintes, ce qui pose un réel problème dans la confiance accordée par la suite par les patients sur les études menées. Un autre exemple donné par le NIH est une étude sur l’asthme qui ne prend pas en compte dans ses critères de diversification les facteurs environnementaux comme l’anxiété, l’alimentation ou l’exposition à la pollution atmosphérique. De manière générale, alors que plus de 40% de la population américaine est composée de minorités socio-démographiques davantage exposées à des facteurs de risque cardiovasculaire, cette partie de la population est sous-représentée dans les échantillons de recherche. Les femmes également, toutes classes socio-démographiques confondues, sont moins représentées dans les essais cliniques qu’elles ne le sont dans la société et/ou que dans les statistiques liées aux pathologies étudiées.

 

Comment se positionne la France sur ce point? 

C’est difficilement mesurable, car contrairement à son voisin transatlantique, certains critères socio-démographiques ne sont pas si clairement identifiés. Selon la loi Informatique et Liberté du 6 janvier 1978 modifiée, il est « interdit de traiter des données à caractère personnel qui révèlent la prétendue origine raciale ou l’origine ethnique […] d’une personne physique. » Cependant, il est possible de réaliser un examen des caractéristiques génétiques et de recueillir l’origine ethnique, en suivant la méthodologie de référence MR-001 établie par la CNIL (Commission Nationale Informatique & Libertés). Cela requiert une justification scientifique préalable et l’accord du patient. Ce protocole, qui demande donc plus de démarches en amont, rend l’étude plus fiable, car la vérification se base alors sur des données génétiques et non purement culturelles et déclaratives, mais aussi plus difficile à piloter à cause de ces démarches supplémentaires. 

Il faut également souligner que le système de santé français permet, en théorie, un égal accès aux soins hospitaliers dans le secteur public pour toutes les catégories socio-démographiques. Dès lors, les essais cliniques réalisés dans les hôpitaux publics français devraient être représentatifs de la population et de la représentation statistique des maladies étudiées en son sein, rendant l’étude clinique plus pertinente pour notre population. 

Néanmoins, aucun cadre légal n’est fixé pour assurer une telle diversification en France. Au niveau européen, bien que l’internationalisation des essais cliniques soit une priorité claire depuis début 2022 pour la Commission européenne, l’EMA et les responsables parallèles des agences du médicament en Europe, il ne semble pas qu’il y ait beaucoup de discussions autour de la diversité dans les essais cliniques. L’objectif des discussions autour de la réglementation des essais cliniques semble davantage tourné vers une meilleure intégration de la recherche clinique dans le système de santé européen pour une approche « plus unifiée » du développement de médicaments, après une période de coordination fragmentée pendant la pandémie de COVID-19.

 

Aux Etats-Unis, la vigilance accrue sur la diversité dans les essais cliniques a récemment mené à de nouvelles législations

Il y a un an, les sénateurs américains Bob Menendez, d’origine latino-américaine, et Tim Scott ont introduit une législation bipartite pour améliorer l’accès et la diversité des essais cliniques. La loi « Diversifying Investigations Via Equitable Research Studies for Everyone » (DIVERSE) a pour objectif de permettre au U.S. Department of Health and Human Services (HHS) d’accorder des subventions ou de conclure des accords contractuels pour soutenir l’éducation, la sensibilisation et le recrutement pour des essais cliniques sur des maladies ayant un impact disproportionné sur des populations sous-représentées. 

L’engagement de la FDA et l’attention grandissante sur la diversité des essais cliniques de la part des législateurs, qui aspirent depuis longue date à un éveil et à un encadrement national sur l’équité en santé, a mené au projet de loi H.R. 7845 soumis en mai 2022. Cela oblige les chercheurs à soumettre des « objectifs clairs et mesurables » dans leurs demandes de subvention d’essais cliniques en prenant en compte, dans leur recrutement des participants, leur ethnie, leur âge et leur sexe en corrélation avec la représentation statistique générale des catégories de personnes atteintes par les pathologies étudiées et/ou de la population générale des États-Unis.

Le projet de loi s’applique déjà aux essais cliniques financés par les National Institutes of Health (NIH).  « C’est ce que nous voulions pour les financements des NIH depuis très longtemps », a déclaré en juin 2022 Reshma Ramachandran, médecin de famille à la Yale School of Medicine et présidente du groupe de travail de la FDA pour Doctors for America.

Le NIH s’engage donc désormais à garantir l’inclusion des femmes et des groupes minoritaires dans toutes les recherches cliniques financées par les NIH de manière pertinente pour la question scientifique de l’étude. « L’objectif principal de cette loi est de s’assurer que les résultats de la recherche peuvent être généralisés à l’ensemble de la population. En outre, la loi exige que les essais cliniques soient conçus pour fournir des informations sur les différences selon le sexe/genre, la race et/ou l’origine ethnique. »

Par ailleurs, si la sous-représentation en recherche clinique d’un large pan de la population américaine, souvent confronté aux plus grands problèmes de santé, diminue sa chance de bénéficier des découvertes pharmaceutiques et aggrave les disparités en matière de santé, cela a aussi une conséquence sur l’adoption des thérapies développées à grande échelle. La diversification des essais cliniques est donc également un enjeu stratégique pour la globalisation du développement pharmaceutique.

 

Suivant la recherche académique, les grands groupes pharmaceutiques s’emparent de la question de la diversité dans les essais cliniques.

Accompagnant l’engagement de la FDA et  l’orientation des financements du NIH, les parties prenantes de l’écosystème des essais cliniques (milieu académique, gouvernement, associations de patients, dirigeants communautaires, prestataires de soins de santé, organisations de recherche clinique) ont récemment augmenté leurs efforts de diversité, d’équité et d’inclusion autour des essais cliniques. A titre d’exemple, le groupe commercial Pharmaceutical Research and Manufacturers of America (PhRMA)  représentant les entreprises de l’industrie pharmaceutique aux États-Unis a développé le programme « Equitable Breakthroughs in Medicine Development » qui vise à « accroître la diversité des essais cliniques et à éliminer les obstacles systémiques à la participation des communautés de couleur » pour aider les patients sous-représentés à s’impliquer davantage dans la recherche et le développement de nouveaux traitements médicaux prometteurs. PhRMA travaille notamment, via ce programme, à rassembler diverses communautés, patients, prestataires, partenaires de santé, organisations communautaires et institutions universitaires, avec le soutien de l’industrie pharmaceutique, pour piloter un réseau de sites d’essais « communautaires durables et connectés ».

Parallèlement, de nombreuses industries pharmaceutiques, dont des membres de PhRMA, prennent des mesures pour identifier et mettre en œuvre de meilleures pratiques pour accroître la diversité des essais cliniques. Bristol Myers Squibb, après avoir développé son Robert A. Winn Diversity in Clinical Trials Award Program, a reçu le soutien financier de Gilead sur cette initiative. Le géant pharmaceutique Bristol Myers Squibb, spécialisé dans les traitements innovants de cancers, a également lancé cet été un programme pour rendre les essais cliniques plus accessibles aux personnes handicapées.

 

La prise en compte de la diversité socio-démographique dans l’inclusions des patients devient donc un critère de validation pour les essais cliniques et ouvre la voie à une médecine plus qui serait plus fiable et équitable. Si la législations portant sur le sujet est encore à ses prémices, l’engagement de la recherche académique et privée semble souligner sa réalité.

 

 

Rédactrice :  Clara Devouassoux, Chargée de mission scientifique, Los Angeles, [email protected]

 

Sources :

https://www.leem.org/

https://www.nimhd.nih.gov/resources/understanding-health-disparities/diversity-and-inclusion-in-clinical-trials.html

https://www.abbott.com/

https://www.thelancet.com/

https://www.statnews.com/

https://www.appliedclinicaltrialsonline.com/

https://www.menendez.senate.gov/

https://www.congress.gov/bill/117th-congress/senate-bill/2706

https://www.fda.gov/consumers/minority-health-and-health-equity/clinical-trial-diversity

https://energycommerce.house.gov/

https://news.bloomberglaw.com/

https://www.fda.gov/regulatory-information/search-fda-guidance-documents/enhancing-diversity-clinical-trial-populations-eligibility-criteria-enrollment-practices-and-trial

https://www.fda.gov/news-events/press-announcements/fda-takes-important-steps-increase-racial-and-ethnic-diversity-clinical-trials

https://www.fda.gov/regulatory-information/search-fda-guidance-documents/diversity-plans-improve-enrollment-participants-underrepresented-racial-and-ethnic-populations

https://grants.nih.gov/policy/inclusion/women-and-minorities.htm

https://nap.nationalacademies.org/catalog/26479/improving-representation-in-clinical-trials-and-research-building-research-equity

https://www2.deloitte.com/us/en/insights/industry/life-sciences/lack-of-diversity-clinical-trials.html

https://diversityinclinicaltrials.org/

https://www.fiercebiotech.com/biotech/bristol-myers-squibb-foundation-unites-competition-effort-boost-diversity-among-trial

https://endpts.com/bristol-myers-squibb-launches-program-to-make-clinical-trials-more-accessible-for-people-with-disabilities/

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