La description théorique du phénomène de résonance magnétique nucléaire était erronée

Une plaisanterie bien connue dans le milieu des physiciens énonce la règle suivante : "la théorie, c’est quand tu sais comment ça marche, et pourtant ça ne marche pas; la pratique, c’est quand ça marche, mais tu ne sais pas pourquoi"!

Tous ceux qui ont dû subir un examen nécessitant l’utilisation de l’Imagerie par Résonance Magnétique ou IRM, seront ravis d’apprendre qu’ils se sont trouvés sous l’emprise de la règle précédente. L’IRM, ça marche, mais on ne savait pas pourquoi. En effet, un chercheur de l’Université de l’Ohio , Philip Grandinetti, épaulé par les Orléanais Michaël Deschamps, Gwendel Kervem et Dominique Massiot, ainsi que par les Lyonnais Guido Pintacuda et Lyndon Emsley, vient de se rendre compte, et de publier dans le Journal of Chemical Phisics, que la description théorique du phénomène de résonance magnétique nucléaire était tout à fait erronée.

Certains atomes (dont l’hydrogène est le plus important pour les applications médicales) contiennent dans leur noyau un moment magnétique, sorte de petit aimant qui réagit à l’application d’un champ magnétique en s’alignant avec les lignes de force du champ, et en tournant tel une toupie autour de ces mêmes lignes, rotation appelée précession. Le moment magnétique de l’atome isolé précède avec une fréquence caractéristique qui lui est propre (dite fréquence de Larmor). Cependant, dans la matière la fréquence de précession est modifiée par l’environnement chimique, ce qui fait de la mesure de cette fréquence un outil d’investigation de la structure chimique d’un matériaux, ou d’un organisme.

Pour pouvoir mesurer la fréquence de précession, on envoie une impulsion radiofréquence, qui force les moments magnétiques à s’éloigner de la direction du champ magnétique principal. L’impulsion modifie le mouvement de précession des moments magnétiques, les obligeant à tourner autour d’un nouvel axe, qui est lui-même en rotation. Lorsque la fréquence de l’impulsion est égale à la fréquence caractéristique des atomes, on a absorption d’énergie par résonance, ce qui donne son nom à la technique.

Le fonctionnement d’un appareillage d’imagerie nécessite que soient utilisées plusieurs impulsions bien contrôlées, ce qui implique à son tour de bien maîtriser la théorie de la dynamique des moments magnétiques. La description théorique courante impose des limites à la vitesse à laquelle les moments magnétiques peuvent être retournés dans la matière. En effet, la théorie présuppose que l’impulsion de radiofréquence retourne les aimants atomiques très lentement ou, comme l’on dit dans le jargon, adiabatiquement. Ce retournement doit être si lent, que beaucoup d’appareils IRM ne devraient pas pouvoir fonctionner, selon la théorie ! Or, les appareils fonctionnent. C’est donc la théorie qui ne fonctionne pas. Celle-ci est bien la conclusion à laquelle sont parvenus Philip Grandinetti et ses collaborateurs français. Ils se sont en fait aperçus que la description théorique universellement acceptée depuis des décennies était bancale.

Tout le monde sait que dans un repère non inertiel, c’est-à-dire accéléré, il existe des forces fictives. Il suffit de penser à la force qui nous pousse dans le dos quand le bus, ou la rame du métro freine brusquement. Ces forces ont beau être appelées fictives, elles participent bien à la dynamique. Toute description théorique doit être capable d’intégrer correctement ces forces. C’est justement ce que la théorie ne faisait pas. "Bien que difficile à croire" Grandinetti nous dit "personne n’a jamais remarqué que les calculs théoriques étaient incorrects. Et pourtant, la théorie appropriée existait déjà. Elle avait été mise au point, dans un contexte différent, par Sir Michael Berry il y a vingt ans". Sir Berry, professeur émérite à Bristol, est l’une des figures de pointe de la physique théorique moderne.

La théorie et la pratique sont maintenant réconciliées. Et, quoi que la plaisanterie d’ouverture puisse laisser entendre, ce n’est pas rien. Pour les applications pratiques, savoir pourquoi ça marche, et comment, c’est très important. "Nous pouvons espérer" termine Grandinetti "qu’une meilleure compréhension de la résonance magnétique se concrétise bientôt par des appareils d’imagerie plus précis, et surtout plus compacts, peut-être même portatifs." Il n’y aurait alors plus besoin de s’allonger dans une espèce de cercueil pour une séance d’IRM, l’examen pourrait perdre son côté angoissant, et se banaliser, pour le plus grand bénéfice des patients.

Source :

M. Dechamps et al. Superadiabaticity in magnetic resonance, J. Chem. Phys. 129, 204110 (2008)

Pour en savoir plus, contacts :

https://grandinetti.org/index.html
Code brève
ADIT : 56906

Rédacteur :

Alberto Pimpinelli, [email protected]

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