La curiosité des humains pour comprendre notre planète et tout ce qui est au-delà de la Terre, dans l’univers, est ancienne et sans cesse renouvelée par les découvertes scientifiques. C’est cette curiosité qui anime Anne Pommier, Assistant Professor à l’Institute of Geophysics and Planetary Physics du centre de recherche du Scripps Institution of Oceanography à l’université UC San Diego (UCSD-SIO).
Ses recherches visent à comprendre la structure interne et l’évolution des planètes et lunes terrestres (la Terre, Mars, Mercure, Lune, Ganymede, Io). La chercheuse explique : « Ces planètes sont dites « terrestres » car elles sont différenciées en différentes couches, soit : un noyau métallique, un manteau et une croûte rocheuse ».
Elle précise que si ces objets ont en commun cette structure interne, ils sont cependant très divers au niveau de leur taille, de leur composition, de leur structure interne, de leur champ magnétique, etc.
Anne Pommier indique que ces disparités suggèrent des histoires évolutives variées. Ce domaine d’études, qui englobe la physique des minéraux et la pétrologie (étude des roches) expérimentale, s’est développé au début des années 1900, lorsque des équipes de recherche ont commencé à appliquer les techniques de sciences physiques à la pétrologie.
Cette approche expérimentale consiste à étudier les questions scientifiques à partir de mesures en laboratoire, en menant des expériences dans des conditions de pression et température qui reproduisent celles de l’intérieur des planètes. Le but est de sonder les propriétés physiques et chimiques, en temps réel et in situ, de roches naturelles et synthétiques. Les données sont ensuite utilisées pour faire des modèles de la structure des planètes et de leur refroidissement au cours du temps.
Ces mesures ne suffisent néanmoins pas à elles seules à comprendre pleinement les processus géologiques, et c’est pourquoi Dr Pommier développe des collaborations avec des chercheurs qui ont des expertises différentes et complémentaires, notamment en géophysique, en sciences planétaires, en géodynamique et en pétrologie du terrain.
Actuellement, une thématique la passionne particulièrement : il s’agit du champ magnétique intrinsèque de ces planètes et lunes, généré dans leur noyau métallique partiellement ou complètement fondu : « Comprendre pourquoi certains de ces objets célestes ont un champ magnétique intense avec la présence d’une dynamo (comme la Terre, Ganymede), ou un champ faible (Mercure), ou pas de champ aujourd’hui (Mars, Lune) est une question sans réponse claire qui suscite beaucoup d’intérêt. Le champ magnétique de la Terre nous protège des radiations du soleil, il est donc nécessaire au maintien de la vie sur Terre. Comprendre comment un tel champ peut être généré et disparaître est fondamental pour comprendre l’habitabilité d’une planète ». Une thématique de recherche fascinante qui éclaire régulièrement des pans de compréhension de notre environnement.
Des toiles de Picasso à l’étude des objets planétaires, il n’y a qu’un pas
L’élément déclencheur qui mène Anne Pommier vers les sciences fait partie de ces histoires dont nous voudrions qu’elles soient plus souvent partagées. Elle relate : « J’ai le souvenir d’avoir vu en cours d’arts plastiques au collège un documentaire sur le décryptage de certaines toiles de Picasso ; ça a été un déclic et une source inépuisable d’inspiration, de questionnement, y compris en science ».
Après un baccalauréat à Besançon, puis une classe préparatoire au lycée Masséna à Nice, Anne Pommier poursuit son parcours à l’école d’ingénieur Polytech’Orléans en suivant en parallèle un Master de recherche à l’Université d’Orléans. Elle frappe alors, pour la première fois en 2003, à la porte d’un laboratoire du CNRS à Orléans « pour savoir si je pouvais venir quelques heures par semaine entre deux cours ». La personne qui l’y a accueillie, le Dr M. Pichavant, deviendra son directeur de thèse 3 ans plus tard et pour elle, un modèle majeur en science, tout comme son co-directeur de thèse Dr. Fabrice Gaillard. Elle a en effet effectué une thèse à l’Institut des Sciences de la terre d’Orléans (CNRS – Université d’Orléans) de 2006 à 2009, puis entamé son parcours aux États-Unis.
Elle a poursuivi par un premier post-doc au MIT (Cambridge, MA) puis un second post-doc à ASU (Tempe, AZ), en étant en parallèle Visiting Scientist au Lunar and Planetary Institute (LPI – Houston, Texas). Aux US, Anne Pommier développe sa recherche mais s’épanouit également dans les domaines de la peinture et de la mosaïque : « Science et peinture nourrissent mutuellement ma créativité et font partie de mon équilibre. » Elle obtient ensuite un poste de Faculty à UCSD-SIO en 2014, où elle monte son laboratoire de recherche expérimentale de haute pression et développe de nombreuses collaborations aux US (APS, WHOI, ASU) et en Europe (Leeds, Liège, Lille). Elle est également Faculty affiliate au Département d’ingénierie de UCSD Adjunct Professor à Woods Hole Oceanographic Institution (WHOI, MA). C’est sans compter le développement de son art, qui s’est notamment concrétisé par une première exposition de ses toiles et mosaïques dans une galerie d’art à Pacific Beach, San Diego en automne 2019 : « C’était un aboutissement important ; je suis habituée à partager mes résultats de recherche dans des conférences ou des publications, mais partager mon art avec un public n’était pas une évidence ».
C’est aujourd’hui chose faite, et cette expérience positive pourrait se renouveler à San Diego dans le courant de l’année 2020 ! Ce parcours brillant et atypique interroge. « Je n’étais absolument pas prédestinée, ni à une carrière de chercheuse, ni à m’expatrier ! » s’exclame-t-elle. Elle raconte : « Je viens d’un milieu ouvrier et je suis la première personne de ma famille à avoir obtenu un diplôme d’ingénieur et un doctorat ». La science l’a attirée très tôt et elle précise avoir eu la chance de grandir dans une famille où la curiosité, les connaissances et le plaisir de lire ont été grandement respectés et encouragés. « Mes parents ont permis à leurs enfants de poursuivre des études et de les choisir, ce qu’eux-mêmes n’ont pas eu la chance de faire. Ils ont été un peu dépassés parfois, mais je sais qu’ils sont fiers ».
Par ailleurs, en dehors du cadre familial, ses directeurs de thèse ont cru en elle dès le début, « leur attitude a été un signe immense d’encouragement ». Anne Pommier a toujours eu cette curiosité nécessaire, qui, ajoutées à une bonne dose de détermination, lui ont permis d’atteindre ses objectifs. Aujourd’hui, c’est avec engouement qu’elle indique faire partie de l’équipe scientifique d’un concept de mission spatiale tout récemment sélectionnés par la National Aeronautics and Space Administration (Io – lune de Jupiter – Volcano Observer mission concept) ! En effet, la NASA assure un rôle fondamental et de premier plan dans les découvertes liées aux sciences planétaires. C’est une véritable réussite que de faire partie de ces missions de grande envergure.
Par ailleurs, le système de la recherche aux États-Unis ouvre la possibilité aux chercheurs de monter leur laboratoire de toute pièce, et Anne Pommier précise que cela n’aurait pas été possible en France. C’est en effet une différence entre les deux systèmes qui a en partie décidé la chercheuse : « J’avais envie de ce challenge, et de façon générale, la manière dont la recherche est menée aux États-Unis me convient bien, à la fois dans son approche, dans sa manière de penser et de mener à bien un projet. On donne sa chance aux jeunes chercheurs, et j’ai reçu un soutien incroyable de la part de National Science Foundation (NSF, l’agence gouvernementale de la recherche) dans tout ce que j’ai mené. Cela dit, j’apprécie énormément mes interactions avec des chercheurs français et européens et il y a d’excellents bénéfices dans les 2 systèmes ». Elle précise que les échanges avec des scientifiques d’autres systèmes académiques sont essentiels – notamment d’un point de vue de la stimulation intellectuelle. A ce titre, elle développe d’ailleurs actuellement une collaboration avec l’Université de Lille au sein de laquelle elle a eu l’année dernière l’occasion d’enseigner au titre de Visiting Professor.
« Je pense qu’on aidera beaucoup les femmes en science le jour où on arrêtera de leur rappeler que ce sont des femmes dans tout ce qu’elles entreprennent. »
Le ton est donné et la réflexion judicieuse. Selon Anne Pommier, la question d’être une femme en science ne devrait pas se poser. Cependant, elle reconnaît que son univers de recherche est loin d’atteindre la parité et que « c’est loin d’être simple », même à l’Université de Californie, où la question de la diversité en science est prise très au sérieux. « C’est un combat quotidien », déclare-t-elle. Les role models d’Anne Pommier sont par conséquent en très grande majorité masculins, ce qui n’est pas un problème pour elle car « ce sont leurs actions qui l’intéressent et l’inspirent, pas leur genre ! ».
Cela est amené à évoluer car à son échelle, elle comprend la nécessité pour certain.e.s d’avoir des role models qui leur ressemblent pour se construire : « Quand j’enseigne mon cours sur les planètes à UCSD, je mets en avant les contributions faites par les femmes scientifiques, car elles sont souvent ignorées dans la littérature… Cela me permet d’illustrer le fait qu’entreprendre une carrière en science, et en planétologie en particulier, est accessible à tous ». Selon elle, il est important de cultiver la soif d’apprendre, d’avoir confiance en soi et de se donner les moyens d’accomplir ses rêves « car cela est possible, que l’on ait ou non le profil ou le milieu social « attendu » ». Elle ponctue : « La recherche, c’est un métier exceptionnel… ».
Pour en savoir plus :
Page web de Anne Pommier : https://sites.google.com/view/annepommierswebsite
Interview réalisé par Maëlys Renaud – Attachée adjointe pour la science et la technologie, Los Angeles deputy-sdv.la at ambascience-usa.org
Cet article a été initialement publié sur le site du Consulat Général de France de Los Angeles