A l’occasion de la journée internationale de la femme, Anne-Isabelle Henry nous parle de son parcours, de ses travaux, et de la nécessaire valorisation économique et sociétale des découvertes scientifiques et technologiques. Enfin, elle encourage les jeunes générations de filles à suivre leurs aspirations pour les sciences, à être curieuses et à découvrir le monde de la recherche le plus tôt possible.
Des études de chimie motivées par des femmes
Après une tentative en médecine, Anne-Isabelle s’est tournée vers des études de chimie à l’Université Paris-Sud à Orsay, domaine qui lui semblait offrir plus de perspectives que la biologie. Contrairement à certaines étudiantes, elle a eu la chance de rencontrer très tôt des mentors femmes, enseignantes-chercheuses, qui l’ont encouragé tout au long de son parcours. Après un diplôme d’études approfondies (DEA) en matière condensée, chimie et organisation, elle s’est passionnée pour les nanomatériaux, domaine innovant à l’époque, la conduisant ainsi à réaliser une thèse de doctorat. En effet, à l’échelle nanométrique (c’est-à-dire autour du milliardième de mètre), la matière présente des propriétés différentes de celles que nous connaissons à l’échelle macroscopique, dans notre quotidien. Anne-Isabelle s’est penchée sur l’étude de certaines propriétés, notamment structurales et optiques, d’assemblages de nanoparticules. En effet, ces assemblages présentent des propriétés qui diffèrent de la simple somme des propriétés d’une nanoparticule unique. Ces propriétés collectives sont donc propres à ces assemblages. Ces travaux ont fait l’objet de publications scientifiques dans de prestigieux journaux tels que Nature Materials et Nano Letters.
L’international comme révélateur de l’intérêt pour la science
La véritable révélation d’Anne-Isabelle pour la recherche a en fait eu lieu lors de son premier stage de recherche (Maîtrise de Chimie-Physique), effectué dans le laboratoire de chimie physique fondamentale de l’Institut Fritz-Haber, à Berlin, suite à une offre de stage proposée par une de ses enseignantes de licence. « En entrant dans cet institut, j’ai pris conscience qu’une porte s’ouvrait sur un monde jusqu’alors inconnu, le monde de la recherche », se souvient Anne-Isabelle.
Son laboratoire de thèse étant internationalement reconnu, Anne-Isabelle a eu le privilège de rencontrer d’illustres scientifiques internationaux (parmi lesquels Mostafa El-Sayed, Gerhard Ertl, Jacob Israelachvili, Richard Van Duyne et George Schatz). Ceci l’a définitivement motivée pour effectuer un post-doc à l’étranger : « je pars un à deux ans pour éprouver mon goût pour la recherche. Naturellement, j’ai choisi les Etats-Unis, et particulièrement Chicago, car l’Université Northwestern était au top de la recherche en nanomatériaux !
Là, j’ai participé à de nombreux projets diversifiés, dans le laboratoire de Richard Van Duyne en collaboration avec George Schatz, dans un environnement très motivant intellectuellement, et je n’ai plus quitté Northwestern ! J’y suis depuis 13 ans ! J’ai travaillé sur plusieurs projets de recherche, par exemple, sur le développement de détecteurs ultrasensibles basés sur des nanoparticules métalliques, pour la détection de très faibles quantités de molécules telles que des neurotransmetteurs par exemple ». Assez rapidement, Anne-Isabelle a ressenti le besoin de transformer ses résultats scientifiques en innovations, de manière à développer de la recherche qui soit rapidement utile à l’économie et à la société. « J’ai alors découvert la richesse des incubateurs américains qui associent transfert technologique, propriété intellectuelle et business sur les campus universitaires. »
La valorisation scientifique et technologique comme évolution de carrière
La valorisation de la recherche académique nécessite de bien connaître le métier et les motivations des scientifiques. Le transfert technologique favorise le dialogue entre plusieurs univers afin de déboucher sur des réalisations concrètes et exploitables commercialement. « J’ai trouvé, dans la valorisation, le moyen d’accélérer personnellement ce transfert pour rendre visibles et utiles les produits de la recherche », indique Anne-Isabelle. « En travaillant pour un large spectre de la recherche de mon université, cette fonction m’a fait découvrir le monde très diversifié de l’ingénierie : chimique, biologique, médicale, etc., ce qui est à la fois enrichissant et très motivant ! ». Parmi les transferts de technologie réussis, Northwestern compte le médicament Lyrica, déployé commercialement au niveau mondial par Pfizer. « D’autres exemples récents sur lesquels je me suis personnellement investie sont dans le domaine des ‘wearables’ – ces dispositifs de suivi physiologiques tels que les bracelets connectés, popularisés par FitBit ou AppleWatch. Bien plus que de simples gadgets, des patchs d’analyse de la sueur développés par la start-up Epicore Biosystems et commercialisés par Gatorade permettent de visualiser la déshydratation corporelle ou surveiller l’hydratation, ou encore la start-up Sibel Health qui développe des patchs de monitoring électro-physiologiques sans fils et sans adhésifs agressifs, permettant ainsi le suivi médical chez les bébés prématurés, tout en facilitant le contact physique avec les parents et les soignants.
Des encouragements pour les sciences en direction des jeunes générations de filles
Mêler curiosité, créativité, et esprit critique sont essentiels dans la recherche. Dépasser ses préjugés, croire en soi, et se lancer sont les meilleures façons de se faire sa propre opinion sur les métiers scientifiques et la recherche. Au-delà de la recherche, le doctorat en lui-même est un diplôme qui peut être valorisé de nombreuses façons, car apprendre à apprendre est un atout formidable dans un monde qui ne cesse d’évoluer. La recherche permet également de s’ouvrir à d’autres cultures, en collaborant avec des collègues étrangers, ou directement par des expériences professionnelles à l’etranger.
En pratique, comme dans de nombreux domaines d’activité, et au reflet de la société, il reste cependant des progrès à faire dans l’égalité de traitement hommes/femmes. Cependant, cela ne devrait pas entraver les esprits curieux d’oser essayer des études et carrières scientifiques!
Propos recueillis par Jean-Paul Lallès, Attaché pour la Science et la Technologie de Chicago, [email protected]