Contact tracing, tour d’horizon des développements aux Etats-Unis

Alors que le débat sur l'application de traçage StopCovid a été ajourné en France, les discussions se poursuivent aux Etats-Unis. C'est l'occasion de revenir sur les différents projets qui ont émergé outre-Atlantique.
2020-04 newsletter contact tracing

Qu’est-ce que le contact tracing?

Le contact tracing; ou traçage des contacts en français, se réfère à une technique éprouvée en matière de santé publique qui consiste à lister les personnes avec lesquelles un individu atteint d’une maladie infectieuse a été en contact récemment. Cela permet d’identifier les personnes que le patient aurait pu infecter ou inversement de remonter à l’origine de la maladie. Le procédé est habituellement réalisé à la main par des agents publics ou des personnels de santé en interrogeant les malades en direct ou par téléphone.

Pourquoi en parle-t-on maintenant?

Plusieurs startups, entreprises et notamment des grandes plateformes numériques, telles qu’Apple et Google [1], se sont intéressées au développement d’application smartphone pour pouvoir faire ce traçage de manière plus rapide et systématique. Grâce aux données générées par l’utilisation des téléphones portables, des informations précieuses pourraient être communiquées et aider à limiter la propagation du virus ou du moins à suivre son évolution dans l’optique d’une réouverture des pays.

Toutefois, de fortes inquiétudes sont apparues en France [2], ailleurs en Europe [3] et également aux Etats-Unis [4] au sujet du développement de ces applications notamment par rapport au risque de surveillance généralisée, à la protection de la vie privée, à la réversibilité du système, au risque de discriminations possibles, à la problématique d’une participation consentie au système mis en place, au détournement d’usage (function creep) etc.

Comment fonctionnent ces applications?

Certaines de ces applications envisagent l’utilisation de données GPS mobile, là où d’autres applications privilégient l’utilisation de la technologie Bluetooth. Les données GPS permettent de faire un suivi de localisation géographique mais se révèlent insuffisamment précises pour détecter les contacts entre personnes. Au contraire, les signaux Bluetooth semblent particulièrement adaptés pour estimer si une personne a été à proximité d’une autre (la portée d’un signal Bluetooth est de l’ordre de 10m, 30-60m pour un signal wifi) et la durée de contact [5].

Déjà aujourd’hui, lorsque le mode Bluetooth est activé sur un appareil mobile, celui-ci interagit avec les autres appareils activés à proximité. Si les appareils ne se synchronisent pas, cette information de contact est automatiquement supprimée. Ces nouvelles applications de contact tracing proposent donc de capitaliser sur ces données en les conservant et en permettant aux individus testés positifs de prévenir les inconnus avec lesquelles ils ont été récemment en contact rapproché.

Un foisonnement d’initiatives américaines

Alors que les premiers systèmes de traçage ont déjà été mis en place en Asie de l’Est (Chine, Corée du Sud, Hong-Kong, Singapour ou Taiwan) [6], le déploiement sur le territoire américain se révèle plus compliqué. Pourtant, les initiatives pour développer les applications et autres protocoles d’échange de données ne manquent pas. On pensera en particulier à l’application Private Kit et la technologie Safe Paths développées par le MIT mais aussi à spécification technique PACT (Private Automatic Contact Tracing) [7, 8]. Sur la côte ouest, un protocole similaire renommé le West Coast PACT est développé par des chercheurs de l’Université de Washington en collaboration avec Microsoft et l’Université de Pennsylvanie [9]. L’application CovidSafe issue de cette collaboration vient tout juste d’être lancée [10]. Le projet américano-canadien (Université de Stanford et Université de Waterloo au Canada) Covid-Watch est un autre exemple d’utilisation conjointe du Bluetooth et des données GPS bien que la cartographie GPS initialement envisagée ait été abandonnée (du moins provisoirement) du fait des difficultés à préserver l’anonymat des utilisateurs [11]. Enfin, l’Université Carnegie Mellon diffère des autres applications en ayant récemment annoncé une solution baptisée Novid qui utilise les ultrasons pour mesurer plus précisément la distance de contact [12].

Parmi les initiatives venant de startups, on peut noter l’application Coalition et le protocole Whisper Tracing développés par la startup spécialisée dans les objets connectés (IoT) Nodle.io. Les fondateurs de cette startup s’étaient notamment illustrés en développant l’application de communication par Bluetooth FireChat utilisée dans des situations de catastrophe naturelle aux Philippines mais aussi lors de tensions sociales en Inde ou à Hong-Kong. Le protocole proposé permettrait une plus grande anonymisation et serait adapté à une utilisation transfrontalière [13, 14, 15].

Une autre approche, ayant recours à la reconnaissance faciale et aux images de caméras surveillance, est développée par la startup californienne Traces.ai [16]. Ajoutons pour terminer, la proposition de la startup Estimote s’appuyant sur d’autres appareils portables type bracelet [17].

Dépassant le cadre du pur traçage, le projet COVID-19 Credentials Initiative (CCI) développe lui l’idée d’un “passeport d’immunité” (immunity passport) avec en tête l’idée de permettre aux personnes ayant soit été testées négatives, testées positives et rétablies, ou les personnes ayant reçu un vaccin (une fois celui-ci disponible) de reprendre une activité “normale”. L’initiative regroupe plus de 60 organisations à travers le monde dont l’ONG spécialisée dans l’identité numérique ID2020, Microsoft ou également des organisations européennes [18, 19, 20].

Ce large panel de solutions reflète une réelle difficulté dans la conception des systèmes et des protocoles qui doivent répondre aux inquiétudes précédemment évoquées tout en préservant leur utilité. A ce stade, il est difficile d’évaluer avec certitudes les conséquences de chaque choix de conception (partage de position, de contact, identification personnelle, système centralisé ou non, interaction avec le gouvernement ou non).

Ce qu’en pense l’opinion publique américaine

Selon une récente étude publiée par l’institut Pew Research [21], les citoyens américains sont assez sceptiques quant à l’efficacité de ces applications de suivi et de traçage. En effet, 60% des personnes sondées estiment que le contact tracing ne ferait pas une grande différence (16% pensent que cela pourrait beaucoup aider et 22% un peu aider).

En termes d’acceptabilité de ces applications, la même étude révèle que si 52% des interrogés sont plutôt favorable à leur utilisation pour localiser les cas testés positifs et comprendre comment le virus se propage, 54% sont plutôt contre pour localiser les personnes susceptibles d’avoir été en contact avec un individu testé positif, et 62% contre la localisation pour s’assurer du bon respect des mesures de confinement. L’âge des sondés semble également avoir une incidence sur cette acceptabilité. En effet, il semblerait que les américains de 30 ans et plus sont davantage favorable à la localisation par application par rapport à la catégorie des 18-29 ans.

Et pourtant, cette question de la confiance et de l’adoption est une des clés du débat sur le contact tracing et de son efficacité. Ainsi, selon un modèle développé par l’université d’Oxford, il faudrait qu’au minimum 56% de la population générale d’un pays utilise une des applications pour qu’il y ait un réel impact sur le contrôle de l’épidémie [22, 23]. Dans le même temps, plusieurs média américains ont relayé une statistique selon laquelle plus de 2 milliards de téléphones portables pourraient être incompatibles avec les applications de contact tracing développées ceux-ci n’étant pas équipés des composants Bluetooth nécessaires [24].

Enfin, notons que plusieurs chercheurs américains se sont unis à plus de 300 collègues dans différents pays pour manifester leur soutien pour le développement d’une solution de contact tracing décentralisé dans une lettre ouverte [25].

Tout ceci témoigne de l’attachement fort d’une frange de la population américaine à ses libertés individuelles (voir notamment un papier sur le contact tracing par l’ACLU, association de défense des droits individuels [26]) mais également de la peur d’une télésurveillance généralisée et rend complexe le déploiement d’une solution unique.

Un juste milieu entre tout numérique et méthodes plus traditionnelles

En dépit des nombreuses initiatives lancées, de nombreux défis tant techniques que liés à l’utilisation subsistent (voir notamment [27] sur les difficultés pour analyser les signaux Bluetooth). Certains chercheurs rappellent que si l’outil numérique peut être d’une aide précieuse et permettre un gain de temps important, il est souhaitable que ces outils viennent en soutien de démarches plus traditionnelles de suivi des contacts pour être réellement efficaces [28]. Dans cette optique, la ville de San Francisco mais aussi l’état du Massachusetts et d’autres localités, ont mis en place des équipes composées entre autres de chercheurs, d’étudiants en médecine et de fonctionnaires, afin faire ce travail de traçage manuellement mais en étant aidés de différents outils [29]. A New-York, le gouverneur d’état Andrew Cuomo et l’ancien maire de la ville Mike Bloomberg ont ainsi dévoilé un plan massif pour le contact tracing dans l’état avec notamment un programme de formation des traceurs volontaires développé par l’université Johns Hopkins [30].

Sources:

[1] https://www.apple.com/covid19/contacttracing
[2] https://www.nouvelobs.com/confinement/20200417.OBS27654/tribune-un-tracage-numerique-oui-mais-seulement-a-certaines-conditions.html
[3] https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_670
[4] https://www.washingtonpost.com/technology/2020/03/19/privacy-coronavirus-phone-data/
[5] https://www.eff.org/deeplinks/2020/04/challenge-proximity-apps-covid-19-contact-tracing
[6] https://hbr.org/2020/04/how-digital-contact-tracing-slowed-covid-19-in-east-asia
[7] https://www.media.mit.edu/projects/safepaths/overview/
[8] https://pact.mit.edu/
[9] https://arxiv.org/pdf/2004.03544.pdf
[10] https://covidsafe.cs.washington.edu/
[11] https://www.covid-watch.org/about
[12] https://www.novid.org/#howitworks
[13] https://www.coalitionnetwork.org/about-coalition
[14] https://docsend.com/view/nis3dac
[15] https://nodle.io/
[16] https://www.forbes.com/sites/amyguttman/2020/03/31/this-startup-is-using-ai-to-trace-covid-19-patient-contacts-at-risk/
[17] https://techcrunch.com/2020/04/02/estimote-launches-wearables-for-workplace-level-contact-tracing-for-covid-19/
[18] https://www.covidcreds.com/
[19] https://www.ledgerinsights.com/sovereign-identity-covid-19-immunity-passports-credentials/
[20] https://id2020.org/
[21] https://www.pewresearch.org/fact-tank/2020/04/16/most-americans-dont-think-cellphone-tracking-will-help-limit-covid-19-are-divided-on-whether-its-acceptable/
[22] https://science.sciencemag.org/content/early/2020/04/09/science.abb6936
[23] https://045.medsci.ox.ac.uk/files/files/report-effective-app-configurations.pdf
[24] https://arstechnica.com/tech-policy/2020/04/2-billion-phones-cannot-use-google-and-apple-contract-tracing-tech/
[25] https://www.esat.kuleuven.be/cosic/sites/contact-tracing-joint-statement/
[26] https://www.aclu.org/report/aclu-white-paper-principles-technology-assisted-contact-tracing
[27] https://www.technologyreview.com/2020/04/22/1000353/bluetooth-contact-tracing-needs-bigger-better-data
[28] https://hunch.net/?p=13762603
[29] https://www.technologyreview.com/2020/04/08/998758/how-san-francisco-plans-to-trace-every-coronavirus-case-and-contact/
[30] https://www.forbes.com/sites/brucelee/2020/04/23/governor-cuomo-bloomberg-announce-unprecedented-new-york-covid-19-coronavirus-contact-tracing-program/

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