Compte rendu de l’audition au Sénat portant sur la justice environnementale et la production plastique

Le jeudi 15 juin, se tenait l’audition du Senate Committee on Environment and Public Works (Commission sénatoriale sur l’environnement et les travaux publics), sur les impacts de la production et de l’élimination du plastique sur les communautés de justice environnementale (Impacts of plastic production and disposal on environmental justice communities).

Sujet important dans l’actualité internationale actuelle, le plastique (et ses conséquences environnementales) a fait l’objet de négociations en vue d’un traité intergouvernemental sur la pollution plastique prévu pour la fin de l’année. Ce sujet est suivi de prêt par la Service pour la Science et la Technologie, qui y a consacré une partie significative de son travail, ainsi qu’un article le mois dernier [1]. Puisque les positions américaines sont parmi les plus influentes sur la question, nous avons jugé pertinent d’assister à l’audition sénatoriale, afin de bénéficier d’éclairages supplémentaires sur les débats internes à la politique américaine sur la question du plastique. 

La séance fut présidée par Jeff Merkley (Démocrate, Oregon), président du Sous-comité sur la sécurité chimique, la gestion des déchets et la surveillance réglementaire (Subcommittee on Chemical Safety, Waste Management, and Regulatory Oversight), et Markwayne Mullin (Républicain, Oklahoma), le Ranking member du sous-comité. Ont également participé à la séance les sénateurs Tom Carper (Démocrate, Delaware), Sheldon Whitehouse (Démocrate, Rhode Island), Ed Markey (Démocrate, Massachusetts), John Boozman (Républicain, Arkansas) et Dan Sullivan (Républicain, Alaska).

Présentation du comité et des témoins pour l’audition du 15 juin. Crédit photo : SST

L’audience comptait aussi un panel de cinq témoins, une doctorante en médecine de la Tulane University (Louisiane), une représentante d’une organisation de la paroisse de St James (dans la Cancer alley, Louisiane) centrée sur la justice environnementale, un directeur de l’alliance du New Jersey pour la justice environnementale, un directeur de la chambre de commerce et d’industrie de Pennsylvanie, et une directrice d’un centre de recherche en politiques publiques (Washington DC).

Les démocrates étant majoritaires au Sénat, l’audition fut principalement menée par le Sénateur Merkley. Il rappela l’enjeu de cette audition, à savoir la justice environnementale en matière de production et d’élimination du plastique, arguant les importants problèmes de santé publique causés par l’industrie pétrochimique dans le sud du pays et notamment sur la Cancer Alley, un couloir d’une centaine de kilomètres en Louisiane qui regroupe 15 sites pétrochimiques le long du Mississippi. Se basant sur des éléments donnés par l’Environmental Protection Agency (EPA), le Sénateur Merkley évoqua les préoccupations sur la justice environnementale et les questions d’inégalités sociales et raciales, puisque les personnes les plus exposées aux risques de santé publique sont majoritairement afro-américaines disposant de faibles revenus.

En réponse, le Sénateur Mullin évoqua l’importance de l’industrie du plastique pour le pays et le Sud, en termes d’emploi et d’économie. Il souligna également le caractère incontournable du plastique, central dans la vie quotidienne de chacun. La position du Sénateur est qu’il n’y a pas de « problème du plastique, mais un problème de recyclage » [2], une déclaration provoquant une consternation d’une partie du public venu assister à l’audience. Cette position est rappelée à la fin de l’audience, argumentant qu’un arrêt du plastique à usage unique n’est pas pertinent, et qu’il est plus important de se concentrer sur une augmentation des taux de recyclage.

Au travers des débats parfois houleux, une fracture perceptible est apparue entre les camps démocrate et républicain sur la question de la justice environnementale, les premiers plaidant pour une mise à l’agenda de la justice environnementale, les seconds pour une préservation de l’industrie pétrochimique et de l’usage nécessaire du plastique, rejetant en bloc tout élément contradictoire sur une limitation de la production. Le sénateur Mullin souligna par exemple que la justice environnementale risquerait, selon lui, de « faire plus de mal que de bien » [2] pour les foyers à bas revenu, en cas de réduction de la production de plastique.

De plus, l’idée d’une limitation de la production de plastique entraîne, dans le camp républicain, une crainte d’un déclin de l’industrie américaine au profit de l’industrie chinoise. Au-delà des divergences de principes, quelques éléments témoignèrent cependant de positions pouvant rapprocher les deux camps sur des sujets précis. Ainsi, le sénateur Sullivan souligna l’importance des lois bipartisanes, regroupant républicains et démocrates, comme la loi Save Our Seas, défendue par les Sénateurs Whitehouse et Sullivan [3].

Le Président Merkley a conclu la séance en rappelant l’importance de la justice environnementale dans l’agenda politique. Le Sénateur rappelle que l’important est de se concentrer sur la réduction des nuisances provenant de la production du plastique et de son élimination (e.g. par incinération), avec l’application des réglementations de l’EPA notamment, et des régulations des émissions carbone sans, pour autant, ouvrir le débat sur la réduction de la production à la source. Le sénateur maintient une position d’ouverture vis-à-vis du secteur industriel, l’invitant à être force de proposition sur le sujet. Le thème de la justice environnementale devient de plus en plus central pour l’administration Biden, qui a déjà pris plusieurs initiatives en ce sens, comme l’annonçait l’executive order on environmental justice en avril 2023 [4], dont les sénateurs ont fait fréquemment référence durant l’audition. 

Ainsi, les débats du sous-comité sénatorial sur la production et l’élimination du plastique, avec les questions de justice environnementale en toile de fond laisse transparaître la position américaine affichée lors des négociations internationales récentes, à savoir une non-remise en question du modèle de production de plastique lui-même et l’absence de mesure contraignante, afin de préserver l’importance de l’industrie pétrochimique. 

Références

[1] Pollution plastique : événements organisés par l’Ambassade de France en vue du Comité intergouvernemental de Négociation des Nations-Unies – France-Science

[2] US-Senate-EPW-plastic-production

[3] Bipartisan Save Our Seas 2.0 Act Signed into Law | U.S. Senator Sheldon Whitehouse of Rhode Island (senate.gov)

[4] Executive Order on Revitalizing Our Nation’s Commitment to Environmental Justice for All | The White House

Rédacteur : Théophile Altuzarra, Chargé de mission scientifique à l’Ambassade de France à Washington DC, [email protected] 

Partager

Derniers articles dans la thématique