Introduction
Au cours des dernières décennies, les avancées en sciences de la vie et en biotechnologie ont considérablement amélioré la santé publique, la sécurité sanitaire et la sécurité alimentaire.
Toutefois, les progrès dans des domaines tels que l’ingénierie génétique et la biologie de synthèse permettent désormais de créer et modifier des agents infectieux en laboratoire, pouvant potentiellement augmenter leur pathogénicité et leur transmissibilité. La crainte est que certaines recherches soient ainsi susceptibles de représenter des risques pour la santé publique, l’agriculture, la sécurité alimentaire, la sécurité économique et la sécurité nationale [1]. Les récentes polémiques autour de l’émergence du SARS-CoV-2 (severe acute respiratory syndrome coronavirus 2) illustrent la méfiance que ces domaines de recherche peuvent susciter et soulignent l’importance d’une plus grande transparence et de la mise en place de standards en matière de biosécurité au niveau mondial.
Certaines recherches entrent ainsi dans le domaine de la recherche à double usage , c’est-à-dire des recherches légitimes et utiles à la société (i.e. à des fins médicales, de recherche, ou commerciales) mais qui peuvent être détournées à des fins malveillantes et in fine présenter des risques sanitaires mettant en danger la sécurité nationale (i.e. bioterrorisme, pandémie). Dans le domaine des sciences de la vie, cela concerne des recherches impliquant des agents pathogènes et des toxines.
De nombreux gouvernements instaurent ainsi des politiques afin de cadrer les recherches à double usage préoccupantes et assurer la biosécurité nationale (voir “En savoir plus”). Le Bureau de la politique scientifique et technologique de la Maison Blanche aux États-Unis a annoncé le 6 mai 2024 une politique révisée pour la surveillance fédérale des recherches à double usage et plus précisément ceux concernant des agents pathogènes à fort potentiel pandémique [2]. Cette politique actualisée unifie trois politiques antérieures : la United States Government Policy for Oversight of Life Sciences Dual Use Research of Concern (Federal DURC Policy, 2012), la United States Government Policy for Institutional Oversight of Life Sciences Dual Use Research of Concern (Institutional DURC Policy, 2014) et la Recommended Policy Guidance for Departmental Development of Review Mechanisms for Potential Pandemic Pathogen Care and Oversight (P3CO Framework, 2017). Un document d’orientation sur sa mise en œuvre a été publié conjointement [3]. Cette nouvelle version prend en compte les propositions d’amélioration promulguées par le National Science Advisory Board for Biosecurity, un comité fédéral d’experts dépendants du Department of Health and Human Services (HHS) et du National Institute of Health [4].
Cette politique renforce l’engagement des États-Unis sur la question de la préparation aux pandémies. En tant qu’État membre de l’Organisation mondiale de la santé, les États-Unis participent activement aux négociations pour l’établissement du Pandemic Accord, un programme mondial visant à prévenir, préparer et répondre aux pandémies, avec un consensus attendu avant 2025 [5]. Avec un soutien de 450 millions de dollars, les États-Unis sont également les deuxièmes contributeurs aux fonds de lutte contre les pandémies (Pandemic Fund), après l’Union européenne [6]. Sous réserve de l’approbation du Congrès, le gouvernement fédéral prévoit une contribution supplémentaire à hauteur de 250 millions de dollars [7]. En outre, s’inscrivant dans le plan national de biodéfense, le budget fédéral de l’administration Biden-Harris pour l’année fiscale 2025 demande au Congrès une subvention de 20 milliards de dollars pour soutenir les efforts de préparation aux pandémies, mise à disposition aux diverses agences du HHS pendant cinq ans [8].
Messages principaux de la politique actualisée sur la surveillance des recherches à double usage et des agents pathogènes à haut risque pandémique :
Cette nouvelle politique aura pour effet de renforcer la surveillance des études et des recherches en sciences de la vie menées par les institutions aux États-Unis et à l’international recevant des fonds fédéraux américains. Elle établit des directives politiques claires à l’intention des chercheurs, des instituts de recherche et des agences fédérales, permettant ainsi de :
- Définir un champ d’application élargi pour la recherche sur les agents biologiques et les toxines, qui doit faire l’objet d’une surveillance accrue de la part du gouvernement des États-Unis. Ces agents pathogènes et toxines, au nombre de soixante-huit, sont identifiés par le Department of Health and Human Services, le Centers for Disease Control and Prevention, ainsi que le Department of Agriculture et son agence Animal and Plant Health Inspection Services, comme pouvant constituer une menace sérieuse pour la santé humaine, animale et végétale, ainsi que pour les produits d’origine animale ou végétale [9] ;
– Établir un cadre unifié pour identifier et surveiller les propositions de recherche relevant de cette politique, en intégrant des considérations de sûreté, de sécurité et d’éthique ;
– Préciser les rôles et responsabilités des chercheurs, des instituts de recherche et des agences et départements fédéraux qui mènent, financent ou supervisent la recherche à double usage, en mettant l’accent sur la supervision et la gestion au niveau des institutions de cette recherche.
La directive établit deux niveaux de surveillance distincts en fonction du type d’expérience menée :
- Catégorie 1 : concerne les recherches à double usage impliquant les agents biologiques ou toxines répertoriés, ainsi que les expériences susceptibles de générer des connaissances, informations, technologies ou produits susceptibles d’être utilisés à mauvais escient. Ces recherches sont ainsi soumises à la supervision des institutions de recherche et des agences fédérales de financement.
- Catégorie 2 : concerne un ensemble plus restreint d’expériences à plus haut risque, qui impliquent ou pourraient générer des agents pathogènes à potentiel pandémique accru, susceptibles de constituer une menace pour la population (i.e. des expériences visant à améliorer la transmissibilité ou la virulence d’un agent pathogène, ou modifiant l’immunité). En raison du risque accru en matière de biosécurité, ces recherches doivent non seulement être supervisées par les institutions de recherche et les agences fédérales de financement, mais également être surveillées par les départements fédéraux concernés.
Dans une volonté de responsabilité commune, la directive encourage vivement les institutions réalisant des recherches à double usage non financées par des fonds fédéraux à respecter les règles établies. De plus, dans un contexte où l’intelligence artificielle et les sciences computationnelles sont de plus en plus impliquées dans les sciences de la vie, la politique appelle à surveiller toute expérimentation in silico qui pourrait déboucher sur une utilisation malveillante de données biologiques.
Zoom sur la mise en oeuvre de cette politique à l’Université de Californie de Los Angeles :
À l’Université de Californie de Los Angeles, le bureau DURE (Dual Use Review Entity) est chargé de la surveillance des recherches à double usage impliquant les agents pathogènes répertoriés par le gouvernement américain et de mettre en œuvre les bonnes pratiques [10]. Ce comité est constitué de plusieurs membres : des scientifiques experts du sujet d’étude, d’un point de contact institutionnel assurant la liaison avec les agences de financement fédérales concernées, ainsi que du responsable de la biosécurité du campus. Le Principal Investigator, qui est responsable du projet de recherche et des subventions fédérales, est tenu de signaler au comité DURE toute recherche à double usage préoccupante ou utilisant les agents pathogènes listés.
Un suivi particulier de la mise en conformité de cette nouvelle politique :
Les institutions de recherche et les agences fédérales américaines ont jusqu’au 6 mai 2025 pour mettre à jour leurs directives afin de se conformer à cette nouvelle politique. Le guide de mise en œuvre sera révisé au moins tous les deux ans, et la politique elle-même fera l’objet d’une réévaluation tous les quatre ans par le Bureau de la politique scientifique et technologique ainsi que par les ministères et agences fédérales concernées. Cela permettra aux chercheurs, aux instituts de recherche, aux experts en sécurité nationale, aux professionnels de la santé mondiale et aux partenaires internationaux de soulever et d’adresser leurs préoccupations au fur et à mesure que le contexte mondial évolue.
Rédactrice :
Célestine Belloeil, Chargée de mission scientifique au Consulat Général de France à Los Angeles, [email protected]
Références :
[5] WHO. Pandemic prevention, preparedness and response accord. 2024
[6] https://fiftrustee.worldbank.org/en/about/unit/dfi/fiftrustee/fund-detail/pppr#1
[8] Budget of the U.S. Government. Fiscal Year 2025
[10] Dual Use Review Entity of UCLA
Pour en savoir plus :
- Sur la stratégie nationale française en matière de biosécurité avec la création du Conseil national consultatif pour la biosécurité géré par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale
- Sur la stratégie de sécurité biologique du Royaume-Uni, mise à jour en 2023 suite à la pandémie du COVID-19
- Sur la stratégie des État-Unis en matière de biosécurité