Les “missing millions” toujours introuvables : état des lieux de la diversité en STEM

Malgré une forte volonté politique affichée depuis deux ans par l’administration Biden, un récent rapport de la NSF sur la diversité dans les formations puis dans les carrières scientifiques au cours des dix dernières années montre au mieux de timides améliorations dans l’inclusion des femmes et des minorités, au pire de sérieuses régressions dans certaines disciplines et pour certaines populations. Si les inégalités hommes-femmes diminuent progressivement tant dans l'enseignement supérieur que dans l’accès aux métiers STEM, certaines minorités ethniques sont encore sous-représentées au sein des formations les plus avancées qui leur permettraient d’accéder à des postes qualifiés.
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Couverture du rapport de la NSF « Diversity and STEM »

L’inclusion et la diversité de la main-d’œuvre dans les métiers des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STEM) figurent parmi les priorités de l’agenda scientifique de l’administration Biden. 

Selon le directeur de la National Science Foundation (NSF), Sethuraman Panchanathan, le déploiement de l’entière capacité d’innovation du pays passe par deux processus de démocratisation de l’effort de recherche à l’échelle fédérale : la recherche des “missing millions”, ces personnes capables de réussir en tant que scientifiques et ingénieurs mais qui n’ont pas accès aux voies menant à ces carrières, et la régionalisation de l’innovation, par une meilleure répartition des investissements publics en R&D, longtemps accaparés par une poignée d’Etats. Cette restructuration de l’écosystème des sciences et technologies (S&T) doit notamment permettre de relancer les Etats-Unis dans un contexte de concurrence internationale accrue où la Chine concentre toutes les inquiétudes.

Dans son dernier rapport intitulé “Diversity and STEM: Women, Minorities, and Persons with Disabilities 2023”, la NSF présente les principales statistiques relatives à la formation scientifique et aux carrières scientifiques. Les données sont issues de plusieurs enquêtes statistiques menées par la NSF et le U.S. Census Bureau entre 2011 et 2021 auprès d’étudiants et de la population générale.

 

Des inégalités persistantes dans l’accessibilité des carrières

La NSF étend la définition d’emploi en sciences et ingénierie, qui ne se restreint plus aux seuls chercheurs (S&E occupations), mais inclut également les professions intermédiaires affiliés aux STEM (S&E related occupations), tels que les personnels de santé, les techniciens ou les enseignants, et les emplois STEM moyennement qualifiés, dans la construction, la maintenance et l’instrumentation scientifique (middle-skill occupations). En retenant cette définition élargie, le pourcentage d’emplois STEM dans la population active atteint 24% en 2021, en augmentation de trois points par rapport à 2011.

Si la participation croissante des populations noires, hispaniques ou amérindiennes dans les STEM se vérifie statistiquement, l’étude de leur répartition au sein de ces trois catégories d’emploi met en lumière des inégalités persistantes. 

Les travailleurs issus des minorités sont majoritairement employés dans des professions intermédiaires, et ne sont que 14% à occuper des postes hautement qualifiés. Les travailleurs d’origine asiatiques, en revanche, sont surreprésentés dans les fonctions supérieures (52%).

Alors que les femmes composent la moitié de la population du pays, elles ne représentent que 35% des personnes employées dans les secteurs STEM. L’étude du genre en fonction du niveau de qualification montre la sous-représentation des femmes dans les métiers très qualifiés, mais aussi dans les tranches les moins qualifiées. Au contraire, elles sont surreprésentées au sein des professions intermédiaires.

 

A la racine, un accès déterminant aux formations scientifiques

L’accès à une formation scientifique dans l’enseignement supérieur demeure le premier déterminant de la plupart des inégalités constatées dans le rapport, celui dont découle ensuite l’accès aux différentes carrières en STEM.

Les Hispaniques, les Noirs et les Amérindiens autochtones représentent 37% de la population américaine âgée de 18 à 34 ans en 2021, mais seulement 26% des diplômes de licence, 24% des diplômes de master et 16% des diplômes de doctorat en sciences et technologie obtenus par des citoyens américains aux Etats-Unis en 2020.

La proportion de diplômes délivrés à des femmes est en augmentation dans tous les domaines sur la dernière décennie. Au niveau du bachelor, elle est passée de 19% en ingénierie en 2011 à 24% en 2021. Les femmes restent sous-représentées parmi les diplômés en physique, sciences de la terre, mathématiques, informatique et ingénierie.

Au sein des minorités sous-représentées, si la tendance décennale reste à la hausse, la progression observée est d’autant plus faible que le diplôme est élevé. Les diplômes associés (délivrés en deux ans, contrairement aux bachelors délivrés en quatre ans) en STEM obtenus par des minorités sous-représentées ont connu le taux de croissance le plus élevé, avec une augmentation de 13 points pour atteindre 43 % en 2020. L’augmentation est beaucoup moins prononcée aux niveaux supérieurs, notamment pour les doctorats, où la part des diplômes obtenus par des minorités sous-représentées est passée de 13 % à 16 %.

Les étudiants noirs ou afro-américains enregistrent la plus faible progression. Leur proportion parmi les diplômés en ingénierie et sciences de la terre est restée inchangée depuis dix ans et elle a même chuté de quelques points en mathématiques, informatique et sciences sociales.

Concernant la poursuite d’études au-delà du bachelor (graduate enrollment), les données montrent que l’écart entre les hommes et les femmes en sciences et technologies se réduit. A l’inverse, les étudiants d’origine hispanique ou noire demeurent particulièrement sous-représentés au niveau du doctorat. Une proportion nettement plus faible d’étudiants noirs est inscrite à temps plein, par rapport aux étudiants d’autres origines, signe d’un niveau de ressources inférieur au cours des études.

Lire aussi : Les mesures prévues par la loi CHIPS and Science Act pour renforcer l’inclusion et la diversité dans la recherche

Les critères de l’étude de la NSF ne font pas l’unanimité au sein de la sphère politique. Plusieurs sénateurs démocrates ont publié une lettre le 1er février dernier pour regretter l’absence de statistiques sur les populations LGBT+. Evoquant une sous-représentation de ces populations de l’ordre de 20 % dans les métiers STEM, les sénateurs recommandent à la NSF de réviser ses enquêtes pour inclure des questions sur l’identité de genre et l’orientation sexuelle, ce afin de mieux identifier les besoins de ces populations au sein de la main-d’oeuvre STEM. De même, l’étude ne s’intéresse pas aux personnes qui subissent simultanément plusieurs discriminations. Une lettre signée par 1 700 scientifiques plus tôt dans l’année avait déjà alerté la NSF à ce sujet, qui n’a pas encore réagi.

Rédacteur : Julian Muller, chargé de mission scientifique, Washington, [email protected]

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