Yves Frénot (1958-2022) a été Conseiller pour la Science et la Technologie à l’Ambassade de France aux Etats-Unis de 2018 à 2021, après une carrière scientifique dédiée aux régions polaires, qui l’a amené à rejoindre en 2003 l’Institut Polaire Français Paul-Emile Victor, et à en prendre la direction en 2010.
Il n’y avait pas de meilleure manière pour l’Ambassade de lui rendre hommage que de promouvoir auprès du public américain le domaine auquel il a consacré sa vie – et dont l’importance et l’actualité ont été rappelées par l’adoption en 2021 et 2022 de stratégies polaires par la France, l’Union Européenne et les Etats-Unis.
Une table ronde sur les stratégies polaires française, européenne et américaine.
Après un mot d’accueil et un hommage personnel par l’Ambassadeur de France aux Etats-Unis, M. Philippe Etienne, une présentation vidéo de la stratégie polaire française a été donnée par son auteur, l’Ambassadeur aux Pôles et aux Océans, M. Olivier Poivre d’Arvor.
Cette stratégie, adoptée en avril 2022, embrasse à la fois l’Arctique et l’Antarctique. Elle vise à répondre à l’acuité des enjeux globaux liés à ces zones du globe qui connaissent le réchauffement climatique le plus rapide – ce qui en fait à leur tour des moteurs du changement global, via l’élévation du niveau de la mer due à la fonte de la calotte glaciaire et des glaciers, la perte de biodiversité induite dans les écosystèmes côtiers, et le relâchement de grandes quantités de méthane dans l’atmosphère entraîné par le dégel du pergélisol (ou permafrost) arctique – sans oublier l’impact direct pour les quatre millions d’habitants des régions arctiques.
Dans le même temps, ces évolutions rendent l’océan arctique plus accessible à la navigation, attisant les convoitises de puissances rivales en matière de pêche et d’exploitation des ressources énergétiques (notamment pétrolières et gazières) et minières, et exacerbant les risques sécuritaires dans un contexte de tensions géopolitiques entre la Russie et les autres nations arctiques.
La stratégie française, au sein de laquelle la recherche scientifique tient une place centrale, s’inscrit naturellement dans une logique de coopération européenne : la seule infrastructure de recherche française dans l’Arctique (à Ny-Ålesund, village scientifique international, au nord-ouest de l’île du Spitzberg, dans l’archipel norvégien du Svalbard) est exploitée conjointement avec Alfred Wegener Institut (AWI) allemand, tandis qu’en Antarctique la base Concordia est exploitée avec l’Italie. Yves Frénot s’est impliqué personnellement dans la mise en place du projet EU-PolarNet dessinant une feuille de route européenne pour la recherche aux pôles. La collaboration internationale au-delà de l’Europe est également partie intégrante de cette stratégie.
Dans une table ronde, M. Manuel Carmona, Conseiller pour les Océans et l’Environnement à la Délégation de l’Union Européenne aux Etats-Unis, a présenté la politique intégrée pour l’Arctique proposée par la Commission Européenne au Parlement et au Conseil en octobre 2021. Les questions climatiques et environnementales y sont centrales (climat et biodiversité, pollution plastique, chimique et déchets, réduction du “carbone noir”, développement des énergies renouvelables…) et la coopération de recherche transatlantique à travers l’association de partenaires américains à des projets Horizon Europe est fortement encouragée {voir aussi cet article}.
La stratégie de recherche arctique des Etats-Unis a été présentée par Dr Nancy Sung, Conseillère politique scientifique au Bureau des Affaires Polaires de la National Science Foundation (NSF). Elle s’appuie sur la National Strategy for the Arctic Region adoptée par la Maison Blanche en octobre 2022, en particulier son pilier 2 “Climate Change and Environmental Protection” qui appelle à développer la recherche pour mieux comprendre le changement climatique et informer la décision politique, et son pilier 4 “International Cooperation and Governance”, qui met en avant l’objectif de renforcement des collaborations scientifiques bilatérales et multilatérales ; l’Arctic Research Plan 2022-2026 détaille les priorités scientifiques : résilience des communautés et santé, amélioration de la compréhension des interactions entre le système arctique et le système Terre, économie et habitat durables, gestion et atténuation des risques et dangers.
Les échanges entre les intervenants et avec le public ont permis de détailler les opportunités de collaborations transatlantiques en recherche polaire dans le cadre de ces stratégie : elles peuvent concerner la conservation des “archives climatiques” (A l’instar du projet Ice Memory Foundation de l’Université Grenoble Alpes, qui porte sur le prélèvement de carottes dans les glaciers menacés de l’Arctique pour les stocker en Antarctique sur la base Concordia, afin que les scientifiques des générations futures puissent les étudier), l’accès croisés aux infrastructures (notamment stations et navires) particulièrement coûteuses à construire et maintenir, et dont il s’agit aussi de minimiser l’impact propre sur l’environnement polaire ; le partage des échantillons prélevés, y compris biologiques ; la cartographies d’espèces ; la co-localisation d’instruments de mesures appartenant aux pays partenaires, pour une connaissance plus exhaustive de chaque environnement local ; l’ouverture mutuelle des bases de données, etc.
Une expédition antarctique de l’Institut Polaire Français : témoignage du photographe François Lepage
Afin de faire connaître au grand public les objectifs scientifiques des expéditions de l’Institut Polaire Français Paul Emile Victor, mais aussi leur dimension humaine (pour tous les corps de métier concernés, jusqu’aux plombiers et cuisiniers), Yves Frénot a invité François Lepage, photographe, et son frère Emmanuel, auteur de bandes dessinées, à participer à une mission en Antarctique en janvier 2013 : acheminement à bord de l’Astrolabe (photo) depuis la Tasmanie jusqu’à la base Dumont d’Urville, puis trajet de 1200 km en convoi motorisé (Le « Raid », photo) sur le continent jusqu’à la station Concordia. Emmanuel et François Lepage relatent cette aventure dans une bande dessinée, La Lune est blanche, aux Editions Futuropolis (2014). Elle a également inspiré à François Lepage un ouvrage photographique, Les Ombres Claires (chez PerspectivesArt9 Editions).
A l’issue de la table ronde, François Lepage a livré un récit de cette expérience unique, rappelé l’histoire des expéditions françaises en Antarctique, et évoqué l’une des activités scientifiques cruciales de la station Concordia, dans la lignée des travaux pionniers de Claude Lorius dans les années 1950 : le prélèvement de carottes glaciaires qui emprisonnent des bulles d’air dont l’âge peut atteindre le million d’années, permettant ainsi d’établir l’historique de la composition de l’atmosphère, et en particulier de sa teneur en gaz à effet de serre.
Le public a pu également avoir un aperçu de cette aventure à travers une exposition de photographies de François Lepage.
Rédacteur : Joaquim Nassar, Attaché pour la Science et la Technologie, Washington