Des chercheurs de l’université Texas A&M ont développé une simulation prédisant avec précision l’étendue d’une inondation soudaine (flash flooding) lors d’une tempête tropicale ou d’un ouragan – des catastrophes récurrentes dans le Golfe du Mexique.
Les crues soudaines, fréquentes le long du Golfe de Mexique, sont des phénomènes de montée d’eau brusques et rapides, généralement de l’ordre de l’heure, pouvant engendrer des dégâts matériels importants.
L’équipe du Urban Resilience, Networks, and Informatics Lab du département d’ingénierie civile de l’université Texas A&M (TA&M) ont publié dans le journal Computer‐Aided Civil and Infrastructure Engineering un algorithme leur permettant de prédire l’évolution et la propagation d’une crue en temps quasiment réel.
Pour ce faire, les chercheurs se sont appuyés sur une palette importante de données, dont celles enregistrées lors de l’ouragan Harvey en été 2017, notamment les relevés hydrodynamiques et les mesures de hauteurs d’inondation du comté de Harris au Texas – dans lequel se trouve Houston – à cette période.
Contrairement aux modèles plus classiques, ce modèle probabiliste – au sens Bayésien du terme – prend en compte les divers réseaux de drainage préexistants pour ses estimations. Ceci permet de raffiner la prédiction, en modulant l’effet domino attribuable au débordement d’une rivière vers un autre cours d’eau. Dans le cas de la crue soudaine du Tax Day flood (avril 2016), l’algorithme est capable de retrouver l’étendue des flux hydrodynamiques avec une précision de 85%.
Les développeurs gardent toutefois un œil critique sur les résultats obtenus. Le facteur humain, imprévisible, est bien souvent susceptible de fausser l’intégralité des données, comme ce fut le cas pendant Harvey lorsque la municipalité de Houston décida de vider certains bassins de rétention (ceux d’Addicks et Barker), et d’inonder la région des bayous.
Cet outil, financé par la NSF à hauteur de 2 millions de dollars, servira avant tout à évaluer les vulnérabilités du réseau de drainage et des moyens de contrôle actuels. L’équipe de chercheurs espère que leur outil puisse, à terme, guider les autorités dans leurs priorités et leurs choix d’investissement.
Le littoral texan, sujet à des inondations récurrentes
La cause de ces inondations soudaines consiste bien souvent en des précipitations importantes et localisées. Le 19 septembre dernier, la dépression tropicale Imelda avait fait pleuvoir près d’un mètre d’eau sur la côte du Golfe, détruisant au passage 5 milliards de dollars d’infrastructure et provoquant la mort de cinq personnes.
Quant à l’ouragan Harvey de 2017, les précipitations ont atteint 18 mètres par endroits. Les dégâts se chiffrent à 125 milliards de dollars.
Selon certaines études (ici et ici), ce type d’événement météorologique (100-years hurricanes, dont la fréquence d’apparition est de l’ordre de un par siècle) sera six fois plus fréquent à l’avenir, accroissant par là-même les chances de crues soudaines.
Enfin s’ajoute à cela l’enfoncement de la ville de Houston, de part des phénomènes tectoniques mais aussi en conséquence des pluies abondantes. Loin d’être sous le niveau de la mer, la ville se retrouve dans une situation de plus en plus propice à des inondations et à des dégâts tant matériels que humains.
D’autres outils de modélisation
D’autres groupes de recherche ont développé des outils de simulation et prédiction des crues soudaines.
Trois catégories de modèles se distinguent en fonction des variables utilisées en entrée :
le modèle empirique, auquel se greffe les techniques d’apprentissage machine via des bases de données pré-alimentées.
le modèle hydrodynamique, reposant sur l’utilisation des lois de la mécanique des fluides pour calculer l’élévation et le flux de l’eau.
le modèle conceptuel, utilisant un ensemble de processus physiques unitaires pour évaluer les zones et les probabilités d’inondation.
A l’échelle nationale, la National Oceanic and Atmospheric Administration (NOAA) a mis en place un National Water Model (NWM) en 2016. Ce modèle hydrodynamique recense différents paramètres comme l’humidité des sols, leur capacité hygrométrique ou de ruissellement, et établit la carte de 2,7 millions de cours d’eau aux Etats-Unis (carte interactive en ligne).
La National Weather Service (l’une des branches de la NOAA) dispose également d’un modèle probabiliste collectant les mesures de la pluviométrie nationale. Ces prévisions sont incorporées aux observations de tempêtes en approche et permettent d’en estimer les impacts.
Au niveau universitaire, l’université de Rice possède un centre de recherche et de prévention dédié aux catastrophes naturelles : le Severe Storm Prediction, Education, & Evacuation from Disasters (SSPEED) center , a pour objectif principal de réduire le temps de calcul nécessaire en gardant une précision toujours plus accrue. Le directeur de ce centre et du département d’ingénierie Civile et Environnementale à Rice, le Dr. Phil Bedient, développe un modèle hydrodynamique FAS4 depuis 1997. Celui-ci s’alimente de relevés RADAR en temps réel, et est désormais utilisé par le Texas Medical Center de Houston pour la sécurité de ses patients en cas de tempête.
Le Hurricane Resilience Research Institute (HuRRI) est un regroupement académique dont font partie plusieurs universités texanes (University of Houston, Texas Tech., UT Tyler). Ce consortium traite avant tout de sujets liés à la prévention et cherche, par exemple, à identifier les zones à risques au travers d’une modélisation géo-spatiale par LiDAR (Light Detection And Ranging, l’équivalent du RADAR sur des longueurs d’ondes visibles). Le HuRRI aborde également des thèmes de recherche fondamentale, tels que la qualité de l’eau et la géologie des sols, ou des questions sociétales.
Enfin, l’université du Texas à Austin (UT Austin) est très active sur la prévision des événements météorologiques. Le Texas Advanced Computing Center (TACC), rattaché à l’université, dispose d’une large collection de supercalculateurs (dont Frontera, inauguré en 2019) mis à contribution pour l’analyse de données. Le directeur de ce centre, Dan Stanzione, est également l’un des co-instigateurs de l’initiative DesignSafe , élaborée suite à la saison des ouragans de 2017. DesignSafe est une plateforme numérique collaborative impliquant UT Austin, le TACC, mais aussi l’université de Rice et l’université de Floride. Elle est subventionnée à hauteur de 13 millions de dollars par la NSF pour mener des simulations liées aux catastrophes naturelles. En utilisant les données de l’ouragan Ike de 2008 comme scénario d’exercice, l’équipe est parvenue à estimer l’élévation du niveau d’eau, et à générer une liste des logements touchés par les crues.
Des sociétés privées (start-ups ou grands groupes) œuvrent de la même manière pour la prévision d’événements climatiques, à l’exemple de One Concern.
One Concern est une start-up de la Silicon Valley, créée par d’anciens étudiants de Stanford, dont le produit phare est Flood Concern . Cet algorithme – spécifique à la ville qui en fait l’achat – modélise le réseau urbain ainsi que les sols, puis interroge les archives publiques et privées pour obtenir une image plus complète. En recoupant avec les bases de données d’images satellitaires, des prises de vue aériennes, et des informations météorologiques de la NOAA, le logiciel obtient toutes les renseignements pour simuler une montée des eaux et son impact.
Les villes de Los Angeles et San Francisco sont d’ores et déjà en partenariat avec One Concern pour la prévision des séismes et des tremblements de terre. Cependant, le prix de cette technologie, indexé sur la taille de population, est prohibitif pour la ville de Houston et ses deux millions d’habitants. Les autorités investiguent différents partenariats publics-privés afin de mettre à l’essai cet outil.
Une solution dans le réaménagement urbain
Houston est fréquemment touchée par de fortes intempéries, totalisant plus de 45 inondations en un siècle. Au-delà de la prévention, la ville a longtemps étudié la possibilité de creuser des réservoirs géants en addition des bassins de rétention existants, à l’instar de Chicago ou de la Californie. Un tel projet est en étude depuis juin 2019, mais se heurte à certains écueils matériels (présence de failles géologiques, nature des sols), technologiques et financiers.
Comme le soulignent certains opposants, il serait plus judicieux de cesser la construction dans les zones à risque, et d’inciter financièrement les habitants aux revenus les plus modestes à déménager sur des terrains plus sûrs.
Une prise de conscience globalisée
La gestion de l’eau et des risques attenants sont une préoccupation centrale pour l’état du Texas. L’université UT Austin a lancé en 2016 l’initiative Planet Texas 2050, qui regroupe cent vingt chercheurs de quatorze instituts différents, pour réfléchir et concevoir des projets à longs termes liés à la raréfaction de l’eau dans l’ouest de l’état, et à la résilience face aux événements climatiques.
En 2014, l’édition de l’Académie Texane de Médecine, Ingénierie et des Sciences (TAMEST) portait sur la gestion de l’eau et des différents impacts sur l’économie, l’industrie et l’agronomie de l’état.
Cette année, le TAMEST organisera le Natural Hazards Summit , une conférence dédiée tout particulièrement aux catastrophes naturelles dans l’état du Texas qui sera scindée en deux parties :
Une première session se déroulera le 2 juin 2020 à l’université Texas Tech, et abordera les tornades, le vent et les problématiques de sécheresse.
Une deuxième session se déroulera le 20 octobre 2020 à l’université de Houston, et traitera des ouragans, des inondations et des feux de forêts.
> Plus de pistes :
Le service de surveillance cartographique du comté de Harris (Texas) :
https://www.hcfcd.org/
L’implication du Texas Advanced Computing Center (TACC) dans la détection des ouragans :
https://news.utexas.edu/2019/10/15/monitoring-hurricanes-for-better-life-saving-property-preserving-decisions/
Le projet de simulation FLASH à l’université d’Oklahoma :
https://journals.ametsoc.org/doi/pdf/10.1175/BAMS-D-15-00247.1
Le simulateur météorologique Deep Thunder conçu par IBM, en activité depuis 1996 : https://www.ibm.com/ibm/history/ibm100/us/en/icons/deepthunder/
Rédacteur :
Olivier Tardieu, Attaché adjoint pour la science et la technologie, [email protected]