L’improbable réforme de l’USPTO et du système des brevets américains : état des réflexions (3/3)

"Too many cooks spoil the soup". C’est la réponse immédiate que m’a faite un avocat de la place de Boston alors que je lui posais la question de savoir pourquoi les pouvoirs exécutifs et parlementaires avaient suspendu le projet de réforme du système national des brevets. On l’a compris, l’avocat ne faisait pas référence à la chanson [1] mais au dicton populaire. A vouloir trop consulter et trop longtemps, les autorités américaines ont du renoncer, au moins temporairement, à s’engager sur la voie d’une réforme. Il n’y a en effet pas consensus dans les milieux concernés et il continue de se manifester une forte opposition entre les tenants d’un solide système de brevets et les détracteurs des "trolls" [2]. Au total, en fournissant toujours plus de contributions et de propositions, les parties ont fait en sorte que le dossier soit devenu incompréhensible, sinon ingérable. D’où le statu quo actuel. D’où également l’improbable réforme de l’USPTO. D’où aussi les espoirs que suscite l’arrivée d’une nouvelle Administration, seule capable d’impulser une dynamique de réformes.

Cet article, qui fait suite à deux autres contributions sur la question [3], tente d’y voir plus clair dans le débat mais n’a pas pour ambition d’être exhaustif. En fait, la seule chose simple dans ce dossier est l’existence d’un projet de loi, le "Patent Reform Act" qui résulte de plusieurs années d’instruction. Dévoilé en 2008, le texte n’a quasiment aucune chance de devenir force de loi en raison des oppositions qu’il suscite, notamment auprès des "trolls", mais il sert désormais de référence. En fait, il tend à corriger les aspects de la loi actuelle qui peuvent les favoriser, à savoir :
– la possibilité aux Etats-Unis de publier des brevets étendus [4],
– la possibilité d’obtenir des injonctions et d’engager des poursuites qui peuvent se révéler dispendieuses pour les contrevenants et
– la quasi-impossibilité d’introduire des recours auprès de l’USPTO.
Dans la pratique, les juristes sont moins catégoriques car le CAFC [5] rend des jugements et des décisions qui peuvent être cassés par la Cour Suprême [6].

Mais revenons au texte, que contient-il exactement ? Une série de dispositions qui ont trait aux points suivants :
– le tribunal compétent [7]. Ce dernier devrait être celui qui est le plus proche des "activités physiques", des activités commerciales ou industrielles et/ou du lieu principal d’enregistrement de la société. Ces dispositions sont susceptibles de délester les tribunaux des districts de l’est du Texas, réputés plus accommodants dans les domaines de la propriété intellectuelle et auxquels font davantage appel les "trolls".
– Des limitations raisonnables quant au montant des redevances [8]. Les nouvelles dispositions modifient le principe de l’intégralité d’un marché [9], l’invention devant se rapporter à un volet principal de son application [10]. D’où l’idée d’une répartition de la redevance qui serait calculée sur la base de la portion de valeur économique du produit faisant l’objet d’une contestation [11]. Naturellement la redevance est appelée à être en rapport avec la contribution spécifique de l’invention revendiquée par rapport à l’état de l’art antérieur.
– Abandon du principe d’intentionnalité ou de préméditation [12]. Seul le juge en décide.
– Examen du brevet après son obtention. Le projet de loi ouvre la possibilité d’un recours auprès de l’USPTO mais selon un calendrier très précis. L’effet d’estoppel [13] peut s’appliquer.

Sur ces dispositions, l’encre continue de couler, surtout sur les points (2) et (4) [14]. Le "juge in chief of the Federal Circuit" a récemment fait valoir auprès du Congrès que les dispositions allaient considérablement allonger les procédures, notamment en raison du fait que les dommages pouvaient se révéler très difficiles, voire impossibles à prouver. Sur les dispositions du point (4), des voix s’élèvent pour dire que les délais imposés ne sont pas réalistes et vont conduire à des abus. Les aspects positifs de ces points concernent les possibilités de recours quant aux décisions de l’USPTO.

Mais, comme nous l’indiquions au début de cet article, toutes ces contributions ont peu de chances d’être appliquées en l’état. Pour trois raisons : le Congrès et l’Exécutif ont d’autres préoccupations que les brevets, les textes ne font pas l’unanimité et l’application de ces textes pose de véritables problèmes à l’Administration. Mais, au delà de ces textes, les obstacles rencontrés par les projets de réforme ont trait au rôle des parties prenantes qui évolue avec le temps, l’économie et la production de connaissances. La montée en puissance des "trolls" conjuguée au retournement économique en est une illustration. Une autre source de problème concerne la difficulté à imposer un système unique de brevets dans des domaines aussi différents que les technologies informatiques ou diagnostiques et ce qui se rapporte au pharmaceutique et aux biotechnologies. Il est vrai que, dans les premières, les "trolls" se livrent à des activités particulièrement lucratives. Ce n’est pas le cas des secondes où les "trolls" sont moins présentes.

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Cette brève fait suite à deux contributions antérieures parues dans les BE Etats-Unis :
– "800.000 brevets et marques en attente ou l’improbable réforme du bureau fédéral des brevets et des marques (USPTO)" – BE Etats-Unis 153 (13/02/2009) : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/57726.htm
– "L’improbable réforme du bureau fédéral des brevets et des marques : le rôle croissant des "patent trolls" dans le système d’innovation américain" – BE Etats-Unis 154 (20/02/2009) : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/57886.htm

Source :

Cet article a été conçu à partir de plusieurs contributions, notamment celles produites par les cabinets Scully, Scott, Murphy & Presser et Nixon Peabody dans le cadre du séminaire du congrès annuel de l’AUTM : "Patent Reform : New Developments" (13 février 2009). L’ensemble des textes se trouvent sur le site du Congrès :
– https://www.govtrack.us/congress/bill.xpd?bill=s110-3600
– https://www.govtrack.us/congress/bill.xpd?bill=s110-1145
– https://www.govtrack.us/congress/bill.xpd?bill=h110-1908

Pour en savoir plus, contacts :

– [1] "Too Many Cooks Spoil The Soup", Mick Jagger & John Lennon (1973).
– [2] Voir BE n°154 : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/57886.htm
– [3] Voir BE Etats-Unis n°153 et 154 : https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/57726.htm – https://www.bulletins-electroniques.com/actualites/57886.htm
– [4] Issuance of broad Patents.
– [5] Court of Appeals for Federal Circuit.
– [6] Cf. 547 U.S. 388 (2006), 549 U.S. 118 (2007), 549 U.S. 398 (2007).
– [7] "Venue".
– [8] "Reasonable Royalty Limitations".
– [9] "Entire Market".
– [10] "predominant basis".
– [11] "Royalty is calculated on only that portion of economic value of the infringing product"
– [12] "No more willfulness".
– [13] Principe de "Common Law".
– [14] Voir https://kslaw.com/Library/publication/ca093008.pdf
– https://autm.net/about/patent/chart_on_patent_law_reform.pdf
Code brève
ADIT : 57996

Rédacteur :

Antoine Mynard [email protected]

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