Synthèse de la Situation de SpaceX au 31 décembre 2020

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À partir de 1984, plusieurs décrets ont été promulgués aux États-Unis afin de simplifier la règlementation et permettre à des entités privées d’investir dans le secteur spatial. Des lois ont ainsi été régulièrement proposées, principalement par les administrations républicaines, notamment celles de Ronald Reagan, de Georges Bush ou encore de Georges W. Bush. Au début des années 2000, des entrepreneurs privés ont commencé à s’intéresser aux marchés du secteur spatial pour proposer des lanceurs, satellites et stations-sol capables de concurrencer les fournisseurs historiques gouvernementaux. Parmi eux, Elon Musk : il fonde Space Exploration Technologies Corp. (SpaceX) en 2002 avec 3 objectifs : réduire d’un facteur 10 le coût de l’accès à l’Espace, développer une famille de lanceurs réutilisables et établir une base habitée permanente sur Mars.

Des lanceurs commerciaux : Falcon 9 et Falcon Heavy

Note préliminaire : l‘analyse détaillée des lancements de Falcon 9 et Falcon Heavy au cours de l’année 2020 est consultable via les liens suivants :

À l’origine, le cœur de métier de SpaceX est le développement et la production « à la chaîne » de lanceurs réutilisables. Aujourd’hui, SpaceX exploite et propose 2 versions de lanceurs commerciaux de la famille Falcon :

  • Le Falcon 9 (un propulseur de premier étage unique), qui a passé la barre des 100 lancements réussis en 2020. Au 31 décembre 2020, il totalise 102 succès sur 104 lancements depuis 2015, avec 66 récupérations réussies du propulseur de premier étage sur 80 tentatives
  • Le Falcon Heavy (trois propulseurs de premier étage), qui totalise 3 succès en 3 lancements depuis 2018, avec 6 propulseurs récupérés sur 9 tentatives

A ce jour, les capacités de récupération de ses propulseurs ont permis à SpaceX de les utiliser jusqu’à 7 fois d’affilée (les deux propulseurs concernés étant en cours de reconditionnement dans l’optique d’une 8ème utilisation).

 En 2020, lors de son année la plus prolifique en terme de nombre de lancements, SpaceX a effectué 25% des lancements mondiaux, soit 26 tirs sur 104. Si la société d’Elon Musk était un pays, elle se placerait en deuxième position, derrière la Chine (39 lancements, soit 35% du total mondial). Lors de l’année écoulée, SpaceX a également battu d’autres records. Le mois de novembre, le dernier trimestre et le deuxième semestre 2020 ont respectivement enregistré 4, 10 et 15 lancements (records mensuel, trimestriel et semestriel). De plus, 81% des lancements de Falcon 9 en 2020 (21 sur 26) ont utilisé un premier étage ayant déjà volé (contre 69% en 2019, 57% en 2018, 27% en 2017). Enfin, SpaceX a réalisé une nouvelle performance en utilisant un premier étage à 5 reprises en 2020 (entre le 29 janvier et le 13 décembre), tandis que le délai minimal entre deux utilisations s’établit à 56 jours (réalisé à deux reprises). Avec SpaceX, les États-Unis ont retrouvé leur position de leader sur le marché des lancements commerciaux : à la traîne en 2012, ils ont capté 70% de ce marché en 2020.

SpaceX travaille également à la récupération des coiffes des Falcon 9 (la récupération du deuxième étage étant étudiée pour le Starship uniquement). Après une première récupération réussie en mars 2017 par amerrissage, la société a tenté de récupérer des demi-coiffes à 72 reprises, initialement par amerrissage dans l’océan Atlantique puis avec l’aide de barges autopilotées équipées de filets et asservies à la trajectoire des coiffes. Il faudra attendre juin 2019 pour un succès de récupération d’une demi-coiffe intacte par le filet d’un des vaisseaux, puis novembre de la même année pour la première réutilisation d’une coiffe entière ayant déjà volé. En juillet 2020, SpaceX a récupéré pour la première fois une coiffe ayant déjà effectué deux lancements. Au total, la société a réussi à récupérer 9 demi-coiffes dans les filets de ses barges (dont 7 intactes et prêtes à réutilisation).

Dans une optique constante de capter la plus grande part disponible du marché des lancements, SpaceX a dévoilé le SmallSat Rideshare Program en août 2019. Ce programme a pour objectif de proposer des offres de lancements groupés de petits satellites (1 M$ pour 200 kg). Ce service a rencontré un vif succès auprès de constructeurs de satellites américains mais également européens. En juin 2020, la société a effectué avec succès la première mission de ce type.

Par ailleurs en 2020, SpaceX a remporté avec ses deux versions de Falcons en activité le programme National Security Space Launch (NSSL) aux côtés d’ULA. Dans ce cadre, les deux sociétés vont se partager tous les lancements des missions spatiales de sécurité nationale du Pentagone prévus entre 2022 et 2027. SpaceX devrait récupérer 40% de ces contrats, représentant environ 2,5 Md$ pour une quinzaine de missions. La confiance engrangée auprès du Pentagone pourrait permettre à SpaceX de remporter des contrats au-delà du domaine spatial : l’U.S. Air Force a estimé que les techniques de production de son nouvel avion de combat du programme Next Generation Air Dominance ne sont maîtrisées que par le secteur commercial, et laisse donc la porte ouverte à SpaceX sur ce projet.

La Lune et Mars : SpaceX Starship

SpaceX développe depuis 2012 le SpaceX Starship composé du premier étage Super Heavy et du second étage Starship, tous deux réutilisables. Ce lanceur, entièrement réutilisable donc, serait capable d’emporter 100 tonnes de fret/satellites en orbite basse terrestre. Le 9 décembre 2020, le SN8 (prototype du second étage), doté de 3 moteurs Raptor, a effectué un « bond » de 12,5 km d’altitude. Cet essai a été qualifié de succès par Elon Musk malgré la destruction totale du véhicule à l’atterrissage. Après une ascension verticale, une descente horizontale et une mise en positionnement vertical maîtrisées, le SN8 s’est écrasé sur le pas de tir duquel il était parti quelques minutes plus tôt. Toutefois, les essais s’enchaînent (un vol d’essai du SN9 est planifié en janvier 2021). Ce lanceur très lourd devrait tenter son premier vol orbital en 2021, puis un essai de ravitaillement en orbite en 2022, condition indispensable pour des voyages en direction de la Lune – dont l’objectif annoncé par Musk est 2022 ou 2023 – puis de Mars.

Par ailleurs, le SpaceX Starship a été choisi par la NASA avec deux autres projets en avril 2020 pour une phase préliminaire de développement du Human Landing System, l’alunisseur d’Artemis. Dans ce cadre, SpaceX a reçu 135 M$ pour développer ce vaisseau.

Ce lanceur intéresse également le Pentagone : en octobre 2020, l’U.S. Transportation Command a demandé à SpaceX de lui proposer des concepts de transport rapide de fret point à point pour des situations d’urgence (livraison de 70 tonnes de matériel en moins d’une heure en tout point du globe).

Des vols cargo et habités : vaisseaux Dragon

Même si SpaceX est une société privée, elle doit sa croissance (voire sa survie) à la confiance qui lui est accordée par le gouvernement américain, que ce soit par le biais de contrats octroyés par la NASA ou par le Pentagone (National Reconnaissance Office, U.S. Air Force, U.S. Space Force).

En 2006, la NASA a octroyé à SpaceX un contrat de 396 M$ dans le cadre de la Phase 1 du Commercial Orbital Transportation Services (COTS), qui lui a permis de développer ses vaisseaux réutilisables Dragon 1 (Cargo) puis Dragon 2 (Crew et Cargo).

En 2008, SpaceX s’est vu attribuer 1,6 Md$ par la NASA pour douze missions de ravitaillement de la Station Spatiale Internationale (ISS) jusqu’en 2016 dans le cadre du contrat Commercial Resupply Services-1 (CRS-1). En 2010, le Dragon est devenu le premier vaisseau lancé, placé sur orbite et récupéré par une société privée. C’est donc sans surprise que la NASA a attribué jusqu’en 2020 à SpaceX quatre missions supplémentaires dans le cadre de CRS-1, puis qu’en 2016 elle a choisi notamment SpaceX pour CRS-2 avec six vols entre 2019 et 2024 (minimum).

Parallèlement, SpaceX a concouru à partir de 2011 au Commercial Crew Program de la NASA. Retenue en 2014 aux côtés de Boeing, SpaceX a été la première à acheminer deux astronautes de la NASA à bord de l’ISS le 30 mai 2020 avec sa capsule Crew Dragon (Dragon 2 Crew). La société d’Elon Musk n’avait reçu « que » 3 Md$ de subvention contre 5 Md$ pour Boeing. Le 16 novembre de la même année, SpaceX a conduit avec succès le premier vol opérationnel « Crew-1 » du Crew Dragon vers l’ISS. Cette mission était une première à bien des égards : premier vol par la NASA d’un équipage de quatre personnes dans un même habitacle et premier vol orbital habité autorisé par l’Office of Commercial Space Transportation de la Federal Aviation Administration (FAA). L’équipage de quatre astronautes du Crew-1 devrait quitter l’ISS dans le même module dans 6 mois, juste après l’arrivée du Crew-2 au printemps. Pour mémoire, Crew-1 est la première des « missions de post-certification » de la NASA. Crew-2 a été programmé pour le 30 mars 2021 tandis que Crew-3 devrait suivre à la fin de l’été 2021. Ces missions ont été qualifiées d’opérationnelles par la NASA car leur objectif premier est de transporter des équipages plutôt que de mener des essais. Toutefois, les représentants de la NASA se gardent pour le moment de dire que le vaisseau est opérationnel et restent prudents pour les deux prochaines missions.

En parallèle de ces vols habités, le premier vol d’un Dragon 2 Cargo (modèle identique au Crew Dragon sans les systèmes de sécurité nécessaire aux vols habités) a été effectué avec succès vers l’ISS en décembre 2020.

A noter enfin qu’en mars 2020, la NASA a choisi le Dragon XL, une autre variante des Dragon 1 en cours de développement, pour le programme Gateway Logistics Services. Ce programme, analogue au CRS, a pour objectif de permettre le ravitaillement du Lunar Gateway, la station orbitale lunaire développée dans le cadre du programme Artemis. Le Dragon XL, qui devrait être lancé à bord d’un Falcon Heavy, aurait une capacité d’emport de 5 tonnes de fret pressurisé et non-pressurisé. À noter que SpaceX est à ce jour la seule société sélectionnée dans le cadre de ce programme, pour lequel l’Agence se réserve le droit d’incorporer d’autres prestataires.

Une méga constellation de satellites en orbite basse : Starlink

En janvier 2015, SpaceX s’est lancée dans le développement de Starlink, une constellation de 11 782 satellites capables de fournir un service internet en large bande dans le monde entier. Après un lancement de prototypes en février 2018, SpaceX a enchaîné 16 lancements en 18 mois depuis mai 2019. À ce jour, 953 satellites opérationnels Starlink ont été lancés bien que 54 aient déjà été désorbités. L’abonnement à ce service s’établirait à $99 (et l’achat préalable des terminaux et autres équipements à $499) tandis que les essais semblent démontrer de performances meilleures que 95% des connexions internet américaines actuelles. La qualité de ce service ainsi que les zones géographiques couvertes devraient être améliorées à mesure que grandira le nombre de satellites de la constellation Starlink. L’entreprise annonce ainsi une amélioration considérable de sa bande passante et de ses temps de latence d’ici l’été 2021. SpaceX estime que son service pourrait lui rapporter annuellement 30 Md$.

En outre, la société est en lice pour le Rural Digital Opportunity Fund proposé par la Federal Communications Commission (FCC) afin de réduire la fracture numérique aux États-Unis, doté d’un montant total de 20,4 Md$. En décembre 2020, la première phase du programme a attribué 9,2 Md$ sur 10 ans à 180 opérateurs : SpaceX s’est taillé la part du lion en remportant 885,5 M$ (4ème bénéficiaire).

Par ailleurs, SpaceX a obtenu 149 M$ de la Space Developement Agency en octobre 2020 pour fournir 4 satellites capables de détecter et de suivre les missiles balistiques et hypersoniques, dont l’architecture reposera sur celle des satellites Starlink.

Une valorisation financière inédite pour une société privée du Spatial

Force est de constater qu’en moins de deux décennies, SpaceX a complètement bouleversé les marchés du secteur spatial américain, voire mondial, en ayant atteint deux de ses trois objectifs initiaux. En juillet 2020, la banque d’investissements new-yorkaise Morgan Stanley évaluait SpaceX à 52 Md$ : un mois plus tard, la société était estimée à plus de 100 Md$, alors qu’elle a enregistré pour 2 Md$ de revenus en 2019.

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