Northwestern University : 30 actions pour atteindre la neutralité carbone dans l’industrie du ciment et du béton d’ici 2060

Afin de limiter les changements climatiques, l’industrie du ciment et du béton, qui est responsable d’une part non négligeable des émissions mondiales totales de gaz à effet de serre, doit modifier ses procédés pour réduire son empreinte carbone.

Le rapport publié par l’Université de Northwestern (Illinois) intitulé « Decarbonizing concrete : Deep decarbonization pathways for the cement and concrete cycle in the United States, India, and China » (Décarbonation du béton : voies de décarbonation  profonde du cycle du ciment et du béton aux États-Unis, en Inde et en Chine), présente une analyse complète du cycle de vie du ciment et du béton et met en exergue les principaux leviers permettant à l’industrie de parvenir à des émissions nettes nulles d’ici le milieu du 21ème siècle.

Les chercheurs ont examiné deux scénarios, l’un centré uniquement sur la production du ciment et du béton et l’autre, appelé « système complet », qui place les deux matériaux dans leur environnement global et fait intervenir les différents acteurs de l’urbanisme et de la construction.

Le scénario « production » explore les moyens d’atteindre la neutralité carbone via des mesures réduisant l’émission de carbone lors de la production. Conformément aux modèles commerciaux existants, ce scénario s’appuie sur les améliorations technologiques apportées aux processus de fabrication du ciment et du béton et repose principalement sur les cimentiers pour agir.

En revanche, le scénario « système complet » envisage un éventail plus large de leviers, et met notamment l’accent sur la réduction de la demande de ciment et de béton. Pour que cette approche soit couronnée de succès, il faudrait que l’industrie adopte de nouveaux modèles commerciaux, qu’elle fasse des progrès technologiques et qu’elle développe rapidement des régimes politiques favorables, notamment en mobilisant le soutien d’un groupe plus large de parties prenantes, allant des architectes au grand public.

Le rapport propose 30 leviers faisant appel à la fois à des technologies existantes et à des technologies émergentes en cours de développement.

A titre d’exemple, en 2017, la fabrication d’une tonne de clinker de ciment (matériaux de base du ciment résultant de la cuisson d’un mélange de calcaire et d’argile) nécessitait 3 768 MJ d’énergie aux Etats-Unis, contre 3 264 MJ en Chine et 3101 MJ en Inde. Afin d’atteindre l’objectif des « zéro émission », les États-Unis doivent moderniser leurs installations pour qu’en 2060, une tonne de clinker soit produite avec 3 150 MJ d’énergie. Ces technologies existent déjà et devraient être mises en œuvre dans les années à venir. La différence d’efficacité énergétique entre l’Inde et les États-Unis s’explique par l’âge des installations. Les fours ont une durée de vie de 30 à 50 ans. L’industrie du ciment s’est développée massivement en Inde (et en Chine) plus récemment expliquant qu’ils aient eu accès à des technologies plus modernes. Actuellement, l’âge moyen des fours aux Etats-Unis est de 34 ans.

En 2017 aux Etats-Unis, l’énergie provenait principalement du charbon (66,2%) et du gaz naturel (18,3%). Afin de réduire les émissions, l’énergie devra être fournie à 45% par des combustibles à faible émission de carbone en 2060 (contre 15% en 2017). Le rapport préconise l’incinération de déchets peu ou pas recyclables (pneu broyés, huiles usagées, textiles, papier…) et l’utilisation de combustibles biogènes (gaz issus de la méthanisation, agro-carburants…). Bien que l’incinération de déchets ne soit pas la meilleure option, ils sont disponibles en grande quantité et ne sont généralement pas recyclés, car enfouis ou incinérés sans récupération énergétique. Dans ces conditions, ils libèrent moins de CO2 que le charbon. Pour les fours électriques, l’électricité devra provenir de modes de production moins émetteurs de carbone (nucléaire, solaire, éolien…).

Le rapport présente également deux méthodes maximisant la captation de CO2 par le béton (assemblage de liants (ciment…), de granulats (graviers, sable…) et d’eau). Les liants présents dans le mélange absorbent naturellement le CO2 ambiant lors du durcissement et tout au long de son cycle de vie ; ce processus s’appelle la carbonatation. Afin de maximiser cette captation, le rapport suggère la généralisation et/ou l’intensification de l’utilisation de substituts alcalins de granulats dans le mélange de béton. Ces substituts, composés de coproduits et de déchets industriels, comprennent notamment des gravats de ciment ou de béton, des scories de fer et d’acier (laitier) et des cendres volantes (déchet issu de la combustion du charbon). A cela, afin de maximiser encore l’absorption de CO2 par ces éléments alcalins, ils recommandent l’adjonction de CO2 lors de la cure du béton. Ainsi, le béton absorberait jusqu’à 12% de CO2 supplémentaire. Par ailleurs, la résistance mécanique du béton serait augmentée (jusqu’à 15%), permettant ainsi de réduire la part de ciment dans le mélange et l’empreinte carbone du béton.

Dans le second scénario, les recommandations comprennent l’augmentation de la durée de vie des infrastructures comme les routes et les bâtiments. Les bâtiments sont souvent détruits, non pas à cause de leur vieillesse, mais pour faire place à de nouveaux édifices qui répondent à de nouveaux besoins (densification, réaménagement urbain…). La durée de vie moyenne des bâtiments est de 77,5 ans aux USA. Elle devrait atteindre au moins 90 ans en 2060.

Le rapport propose également la réutilisation d’éléments de structure des bâtiments. Ainsi, une étude, citée dans le rapport et portant sur un immeuble de 9 étages, a révélé que 60 à 90% des colonnes, hourdis et murs du noyau central (shear core) pouvaient être réutilisés. L’économie de béton représenterait alors jusqu’à 68%.

La substitution du béton et du ciment par d’autres matériaux sont également mis en exergue. Par exemple, le bois d’ingénierie pour les éléments porteurs et la terre crue pressée, le chanvre ou la paille pour les non porteurs. Les poutres de bois d’ingénierie de nouvelle génération ont prouvé leur fiabilité dans des ouvrages de taille moyenne (jusqu’à 18 étages). L’utilisation du bois d’ingénierie permet de réaliser des réductions nettes des émissions de CO2 en remplaçant le béton dans les bâtiments (de 25 à 42%). Ainsi, un bâtiment de 1 000 m2 permettrait le stockage de 220 tonnes de CO2 pendant la durée de sa vie.

Néanmoins, bien que prometteuses, ces dernières recommandations se confrontent à de nombreuses difficultés techniques, sécuritaires et réglementaires. Au vu des connaissances actuelles, le rapport fixe un seuil de 10% de réutilisation d’éléments en béton. Il en est de même concernant la substitution.

Pour que ces mesures soient intégralement mises en place, elles demandent l’implication des cimentiers, des ingénieurs et architectes, et des décideurs publics. Elles nécessitent le développement de nouvelles méthodes de construction et de nouveaux matériaux, de profonds changements dans la conception des ouvrages et l’adoption de nouvelles politiques d’urbanisme. Les décideurs publics doivent également inciter les parties prenantes en utilisant le levier réglementaire et des incitations financières afin d’atteindre l’objectif de zéro émission dans la filière d’ici 2060.

L’intégralité des 30 mesures se trouve dans le rapport.

Rédacteur : Benjamin Doreilh, Attaché adjoint pour la Science et la Technologie, Consulat de France à Chicago ; [email protected]

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