L’administration Biden a affiché en février 2021 un objectif de neutralité carbone (Net Zero Greenhouse Gas Emission) des Etats-Unis à l’horizon 2050 [1]. Tous les scénarios envisagés par la Maison Blanche pour atteindre cet objectif font porter l’essentiel de l’effort sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre (d’au moins 80% par rapport à l’année de référence 2005 pour le CO2), mais la complètent par des méthodes de retrait du CO2 déjà présent dans l’atmosphère. Les initiatives américaines en la matière ont été introduites dans un rapport produit par le Service pour la Science et la Technologie de l’ambassade en octobre 2021 [2].
Nous avons évoqué dans la Newsletter de décembre 2022 la feuille de route adoptée depuis par la Maison Blanche concernant les “Solutions fondées sur la Nature” (Nature-Based Solutions, NBS) pour le retrait de CO2 de l’atmosphère [3]. Ces solutions peuvent avoir une composante biotechnologique : la start-up Living Carbon, basée à San Francisco, a ainsi bénéficié en février 2023 d’une large couverture médiatique [4] grâce à son projet de planter aux Etats-Unis 4 à 5 millions de “super-peupliers”, génétiquement modifiés pour augmenter leur taille et leur masse (notamment par l’introduction de gènes d’algues). Si elles bénéficient d’une image positive, les NBS ne sont pas à l’abri d’examens et de questionnements, en particulier quant à leur impact sur la biodiversité et la compétition pour l’usage des sols.
C’est aux approches plus technologiques que réfère communément la désignation de Carbon Dioxide Removal (CDR – A noter que la production d’énergie par biomasse avec séquestration de CO2 leur est rattachée, du fait de son bilan carbone négatif) [5]. Elles bénéficient aux Etats-Unis d’un lobbying actif et d’un relatif consensus bipartisan (dont témoigne leur défense par des think-tanks conservateurs spécialisés dans les questions énergétiques, tels que ClearPath [6]). A contrario, la communauté des scientifiques du climat reste divisée quant à ces approches, avec des craintes qu’elles ne détournent les efforts et investissements de l’objectif prioritaire de réduction des émissions.
Le programme Carbon Negative Shot, annoncé en novembre 2021 par le Department of Energy, se donne l’objectif de faire passer le coût du CDR en dessous de 100 dollars par tonne à l’horizon 2030. En juillet 2022 a été réuni un Carbon Negative Shot summit, qui a rassemblé des représentants de 39 pays.
Le budget fédéral adopté en décembre 2022 (Omnibus Bill) a autorisé un montant de 140 millions de dollars – en hausse de 36 millions par rapport à l’année précédente – pour la recherche et le développement sur le CDR et la construction de démonstrateurs. Sont également soutenues des approches innovantes de stockage du carbone, telles que la “minéralisation augmentée” et la séquestration dans les matériaux de construction. La recherche sur la captation de CO2 à partir des océans est également encouragée.
Le 30 janvier 2023, le Department of Energy a annoncé la sélection de 33 projets de “carbon management” pour un total de 130 millions de dollars [7]. Parmi eux, 12 projets relatifs au CDR se partagent 23.7 millions de dollars.
Ces financements fédéraux crédibilisent le CDR, et incitent les investisseurs privés à s’y intéresser. Le 23 février 2023 a été annoncée la création d’un nouveau groupe rassemblant plus de 20 entreprises, la Carbon Removal Alliance, pour défendre les intérêts de ce secteur industriel naissant [8].
Une des principales technologies actuellement éligibles aux subventions fédérales est le Captage Direct dans l’Air (Direct Air Capture, DAC), dont l’intérêt réside dans la possibilité d’installer le système de captage à proximité immédiate de la zone de stockage, minimisant ainsi le besoin en transport de CO2 et le coût associé. Un grand nombre de procédés sont envisageables, “physiques” (adsorption, filtrage par des membranes, séparation cryogénique) ou “chimiques” (réactions chimiques en solution, carbonatation minérale…). Ces procédés consomment une énergie (alimentation des ventilateurs qui dirigent l’air atmosphérique vers les filtres, chauffage pour la récupération du CO2 capté…) qui doit impérativement être elle-même non-émettrice de gaz à effets de serre [9]. Leur viabilité économique supposera une réduction très importante du coût à la tonne de CO2 captée, et des progrès dans la structuration d’un marché des certificats d’élimination.
Le déploiement industriel du DAC est encore à un stade embryonnaire : si l’Agence Internationale de l’Energie (IEA) évalue à 60 millions de tonnes de CO2 par an son potentiel à horizon 2030 (à comparer aux 840 millions de tonnes espérées en 2030 pour le captage du CO2 avant relâchement dans l’atmosphère), elle ne recensait, en septembre 2022, que 18 projets dans le monde [10], ne captant au total que 10 000 tonnes de CO2 par an. Aux Etats-Unis, la mise en service de l’installation DAC1, qui ambitionne de capter 1 million de tonnes par an, est annoncée pour 2024, dans le Bassin Permien texan.
On peut aussi tâcher de valoriser le CO2 capté par ces méthodes : l’entreprise californienne Heirloom a ainsi revendiqué en février 2023 la première démonstration d’incorporation dans du béton du CO2 capté dans l’atmosphère [11].
Si de nombreuses incertitudes restent à lever sur le bilan tant écologique qu’économique des technologies émergentes de captage du CO2 atmosphérique, cette accélération des annonces au cours des derniers mois confirme le pari des Etats-Unis sur leur crédibilité comme complément aux efforts de réduction des émissions.
Rédacteur : Joaquim Nassar, Attaché pour la Science et la Technologie, Washington, DC