Le 7 août dernier, les sénateurs américains ont approuvé par 51 voix contre 50 l’adoption d’un ensemble de réformes fiscales et de nouvelles dépenses au sein d’une loi historique appelée Inflation Reduction Act (IRA), qui comprend les mesures les plus ambitieuses jamais mises en œuvre par les États-Unis pour atténuer le changement climatique.
Face à l’opposition républicaine unifiée, les démocrates ont négocié pendant plus d’un an le contenu du projet de loi afin d’obtenir le soutien unanime nécessaire dans leurs rangs au Sénat pour l’adopter en utilisant la procédure de réconciliation budgétaire du Congrès. La Chambre des Représentants, majoritairement démocrate a également approuvé le projet de loi et le Président Biden a pu la promulguer le 16 août dernier.
Les dispositions de l’IRA relatives au climat s’élèvent à environ 370 milliards de dollars sur plusieurs années et comprennent principalement des mesures telles que des incitations fiscales et des subventions visant à décarboner l’économie et à renforcer la résilience face aux risques environnementaux. Cela représente l’investissement le plus important jamais réalisé aux Etats-Unis en
faveur du climat, dont l’objet principal consiste en une réduction d’au moins 40% à l’horizon 2030 des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 2005. Dans le cadre de ce financement, plusieurs milliards de dollars sont alloués à la recherche scientifique et au développement technologique, avec notamment un financement de 2 milliards de dollars pour des projets aux laboratoires (National Labs) du Département de l’Energie (DOE) qui ne sont pas directement liés au changement climatique. La loi prévoit également près de 500 millions de dollars pour la recherche sur les prévisions climatiques et météorologiques de la National Oceanic and Atmospheric Administration.
Le financement des projets de recherche est un « vestige » de la loi Build Back Better
Le financement de l’IRA pour les projets de recherche du DOE est bien inférieur aux près de 23 milliards de dollars proposés l’année dernière par la Commission Science et Technologie de la Chambre des représentants pour les besoins en infrastructures des agences scientifiques dans le cadre du projet de loi initial Build Back Better, qui était plus vaste. Lorsque les démocrates de la Chambre ont revu et réduit ce projet de loi afin d’obtenir un plus grand soutien, les fonds destinés aux infrastructures scientifiques ont été en grande partie abandonnés, mais un financement pour les laboratoires du DOE a ensuite été ajouté par la Commission Energie du Sénat présidée par le sénateur Manchin (D-WV).
Cependant, M. Manchin a rapidement retiré son soutien à l’ensemble de la loi Build Back Better, stoppant ainsi sa progression, et depuis lors, il a été le principal obstacle à toute tentative d’adoption d’une version révisée. Bien que l’IRA soit, selon l’insistance de M. Manchin, étroitement axée sur le climat et l’énergie, les soins de santé et la réforme fiscale, une fraction du financement initial dédié aux laboratoires du DOE a tout de même été intégrée à la version finale. Pour mémoire, M. Manchin représente l’aile droite du parti démocrate et est Sénateur de l’Etat de Virginie Occidental qui est historiquement un bastion du charbon. Depuis l’administration Obama, il s’est régulièrement opposé à des lois visant à lutter contre le changement climatique et ses effets afin de limiter les dépenses publiques selon lui.
Tous les fonds destinés aux laboratoires dans l’IRA seront affectés immédiatement et resteront disponibles jusqu’à l’année fiscale 2027. Bien que la loi spécifie le montant que recevront les différents département du DOE, elle accorde une certaine flexibilité quant aux projets auxquels l’argent sera consacré.
Parmi ces 2 milliards de dollars accordés au DOE, on trouve la répartition suivante:
- Physique nucléaire (217 millions de dollars). La construction du collisionneur Electron-ion, fleuron du programme de physique nucléaire au Brookhaven National Lab sera accélérée, afin de compenser la fermeture prévue du collisionneur actuel du laboratoire en 2025.
- Sciences fondamentales de l’énergie (295 millions de dollars). Un candidat possible au financement est le projet de deuxième unité de la source de neutrons à spallation du Oak Ridge National Lab. Cette unité devrait coûter environ 2 milliards de dollars et contribuerait à remédier à la pénurie chronique de capacité de recherche sur la diffusion des neutrons aux États-Unis, mais elle est toujours en attente de confirmation.
- Fusion nucléaire (280 millions de dollars). La contribution des États-Unis au programme international ITER en cours de construction en France est le principal projet actuellement soutenu par le DOE. L’année dernière, la responsable du bureau américain pour ITER, Kathy McCarthy, a déclaré devant le Congrès que les États-Unis étaient à court de 97 millions de dollars par rapport à leur engagement envers le projet. Le CHIPS and Science Act, qui a été promulgué cette semaine, recommande également au Congrès d’augmenter considérablement la contribution annuelle des États-Unis à l’avenir. Outre ITER, le programme de fusion prévoit de moderniser la station Matter in Extreme Conditions du SLAC National Accelerator Laboratory, afin d’augmenter la capacité américaine de recherche sur les lasers à haute intensité, mais le financement de ce projet a été réduit pendant que le DOE réfléchit à sa portée.
- Supercalculateurs (164 millions de dollars). Le DOE est en train de finir la construction de supercalculateurs exascale dans les laboratoires nationaux d’Oak Ridge et d’Argonne, et il n’est pas clair quels projets pourraient bénéficier du financement de l’IRA. Cependant, le programme prévoit de construire une installation qui aidera à traiter le volume de plus en plus important de données que les projets de recherches du DOE produisent. La loi CHIPS and Science Act prévoit également d’étendre le programme sur l’infrastructure de réseau quantique, en recommandant un budget annuel de 100 millions de dollars.
- Physique fondamentale et radio-isotopes (158 millions de dollars). Oak Ridge NL prévoit de construire un centre de recherche et de production d’isotopes stables ainsi qu’une installation de traitement des radio-isotopes afin de développer une production nationale d’isotopes critiques. Les travaux sur la première installation doivent encore démarrer et la seconde n’en est qu’à sa phase de conception. Les préoccupations concernant les chaînes d’approvisionnement en isotopes sont devenues récemment plus urgentes en raison de la guerre en Ukraine et du rôle de la Russie en tant que fournisseur majeur d’isotopes et d’uranium utilisés pour alimenter les réacteurs de production d’isotopes.
- Infrastructure de laboratoire (583 millions de dollars). L’IRA prévoit 133 millions de dollars pour des projets d’infrastructures dans les laboratoires gérés par l’Office of Science du DOE. 450 millions de dollars seront également répartis équitablement entre différents départements pour des projets d’infrastructures (énergie nucléaire, énergie fossile et de la gestion du carbone, efficacité énergétique et énergies renouvelables).
Le soutien à la recherche n’est qu’une part mineure de l’Inflation Reduction Act
Outre son soutien à la recherche scientifique, le vaste éventail de mesures de décarbonation de l’IRA comprend des dispositions visant à encourager le déploiement et la commercialisation de nouvelles technologies. Elle décuple notamment les capacités de financements sous forme de prêts du DOE, en créant un programme temporaire autorisant à garantir jusqu’à 250 milliards de dollars de prêts pour des projets d’infrastructure d’énergie. Elle affecte également près de 6 milliards de dollars à un programme du nouvel Office of Clean Energy Demonstrations du DOE qui soutiendra les projets de réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les installations industrielles (notamment capture carbone et hydrogène propre).
En outre, l’IRA vise à encourager le déploiement d’une nouvelle génération de réacteurs nucléaires en allouant 700 millions de dollars pour accélérer la disponibilité du très stratégique combustible à base d’uranium faiblement enrichi HALEU. C’est un combustible nucléaire enrichi entre 5 et 20 % en uranium 235. La Russie est actuellement le principal fournisseur mondial d’HALEU, et le Congrès américain souhaitait se positionner sur sa production bien avant la guerre en Ukraine.
Au sein du Département des Transports, l’IRA affecte 245 millions de dollars au financement de projets liés à la production de carburants durables pour l’aviation et 47 millions de dollars à des projets liés à la technologie de l’aviation à faibles émissions.
Parmi les autres fonds destinés à la NOAA, l’IRA fournit un soutien à la recherche sur les prévisions climatiques et météorologiques, comprenant :
- 190 millions de dollars pour le calcul à haute performance et la gestion des données.
- 150 millions de dollars pour la recherche, les systèmes d’observation, la modélisation, les prévisions et la diffusion de l’information, y compris les subventions extra-muros.
- 100 millions de dollars pour l’acquisition d’avions chasseurs d’ouragans.
- 50 millions de dollars pour les subventions de recherche sur le climat.
La loi comprend également 23,5 millions de dollars pour le programme 3D de l’U.S. Geological Survey, qui fournit des données topographiques à haute résolution ayant diverses utilisations, notamment dans la résilience climatique, la réponse aux catastrophes et le déploiement de systèmes d’énergie propre.
Rédacteur: Benoit Faivre, Chargé de mission scientifique, Washington D.C.