Interview de Charles Paillard, directeur du  Smart Ferroic Materials Center à l’Université d’Arkansas

 

Les membres français et américains du Smart Ferroic Materials Center et le Service Scientifique de Houston – Credit Alessio Guarino

 

Le 11 novembre 2024, l’Université de l’Arkansas a inauguré le Smart Ferroic Materials Center (SFMC), un centre dédié à la recherche fondamentale sur les matériaux ferroïques, tels que les matériaux ferroélectriques, ferromagnétiques, ferroélastiques et ferrotoroïdiques. Ces matériaux, dont les propriétés physiques évoluent sous l’effet d’influences extérieures [1], sont étudiés pour relever des défis majeurs [2], notamment la création d’ordinateurs plus rapides et économes en énergie, ainsi que la promotion d’un environnement plus écologique et sûr.

 

Le SFMC met également l’accent sur des approches multiculturelles et bilatérales en science et éducation, notamment grâce à des échanges entre étudiants et chercheurs. Des institutions françaises, telles que CentraleSupélec et l’Université Paris-Saclay, figurent parmi les partenaires clés de ce projet [3].

 

Le SFMC est dirigé par [4,5] :

  • Charles Paillard, directeur, Ph.D. (Université Paris-Saclay, France), M.Sc., B.Sc. (Université Paris-Sud/École Centrale de Paris), Research Professor au département de Physique, [email protected] ;
  • Laurent Bellaiche, vice-directeur, Ph.D., M.S., B.S. (Université Paris VI, France), Distinguished Professor au département de physique.

 

Entretien avec le Dr Charles Paillard: 

Question: Vous avez reçu un financement du ministère de l’énergie (The Department of Energy, DOE) d’environ 1 million de dollars pour étudier le nitrure d’aluminium et de scandium (aluminium scandium nitride) au niveau atomique en partenariat avec le Laboratoire national des énergies renouvelables (National Renewable Energy Laboratory, NREL) du DOE [2]. Comment envisagez-vous ce partenariat ? Quels sont les atouts du SFMC dans ce partenariat ?

 

Charles Paillard : 

Nous avons effectivement eu la chance de recevoir le soutien du DOE afin d’étudier la réponse dynamique sous champ électrique d’un nouveau et prometteur ferroélectrique nommé le nitrure d’aluminium et de scandium. Dans le cadre de ce partenariat, nous allons développer de nouveaux modèles numériques permettant la compréhension et la prédiction des propriétés de ce ferroélectrique inhabituel. En parallèle, nous effectuerons des caractérisations poussées à l’échelle nanométrique sur des échantillons très minces (environ 100 nm d’épaisseur) qui auront été élaborés au NREL.

La recherche collaborative que promeut le SFMC nous permettra, au travers d’échanges réguliers d’étudiants et de chercheurs avec CentraleSupélec, d’accéder à des équipements de pointe permettant d’accéder à la position des atomes sous champ électrique dans ces échantillons. Nous pourrons ainsi confronter nos résultats numériques et les raffiner, afin d’améliorer la sensibilité de ces nitrures aux champs électriques. Le but final est de faciliter leur intégration dans les technologies de transistors actuels afin de réaliser des calculs plus rapides tout en consommant moins d’énergie !

 

Question: Aux États-Unis, les centres de données consomment environ 2 % de l’énergie totale, et cette proportion devrait augmenter avec la croissance de la demande en calculs à grande vitesse (high-speed computing) et en intelligence artificielle [2]. Quel serait l’impact des matériaux ferroélectriques intégrés aux puces de silicium ? Peuvent-ils réduire de moitié la consommation d’énergie liée aux centres de données ?

 

Charles Paillard : 

Les ferroélectriques ont des propriétés merveilleuses, telles que la capacité négative ou leur capacité à modifier un potentiel de surface. Malheureusement, la plupart d’entre eux sont difficilement intégrables sur les puces en silicium. Les nitrures ont le problème inverse : ils sont facilement intégrables sur silicium, mais pendant longtemps, la tension nécessaire à leur contrôle électrique était prohibitive. Tout a changé en 2019, quand Fichtner et al. ont démontré qu’en mélangeant du nitrure d’aluminium avec du nitrure de scandium, on pouvait piloter les dipôles électriques à l’aide d’un champ électrique raisonnable. Tout le défi est maintenant de comprendre comment les champs électriques contrôlent la réorientation des dipôles dans ces matériaux, afin d’abaisser encore plus la tension nécessaire à leur opération dans une puce à base de silicium. Si on y arrive, alors oui, on peut espérer drastiquement réduire la consommation de nos appareils électroniques et informatiques ou, à facture énergétique égale, permettre l’émergence de technologies à base d’Intelligence Artificielle qui sont actuellement très énergivores.

 

Question: Quel est votre feuille de route pour les 10 prochaines années du Smart Ferroic Materials Center ?

 

Charles Paillard : 

Dans les 5 prochaines années, le Smart Ferroic Materials center doit mettre en place des accords d’échange et un double diplôme de doctorat entre l’Université de l’Arkansas, CentraleSupélec et l’Université Paris-Saclay. C’est, à mon avis, critique à la réalisation d’un vrai centre international qui agrège les compétences exceptionnelles et complémentaires de ces partenaires pour créer un leader mondial de la recherche sur les matériaux ferroïques.

En parallèle de cette phase de structuration de nos échanges académiques, il m’apparaît également important de développer nos échanges avec des industriels afin de transférer le fruit de nos recherches aux tissus économiques et sociaux des deux côtés de l’Atlantique.

C’est notre ambition que, d’ici 10 ans, nous soyons identifiés comme celles et ceux qui mènent la recherche fondamentale et l’innovation technologique sur les matériaux ferroïques de par l’excellence de notre expertise et de nos capacités, et que nous mettions nos compétences au service du développement de techniciens et cadres qualifiés dans ces domaines.

 

Rédacteurs : 

Noelly Roussel, Chargée de mission pour la Science et la Technologie, Consulat Général de France à Houston, [email protected]

Alessio Guarino, Attaché pour le Science et la Technologie, Consulat Général de France à Houston, [email protected] 

 

Références : 

[1] Ferroelectrics and multiferroics articles from across Nature Portfolio | Nature Portfolio https://www.nature.com/subjects/ferroelectrics-and-multiferroics#:~:text=Ferroelectrics%20demonstrate%20a%20switchable%20electric%20polarization%20when%20an,of%20their%20%28usually%20electric%2C%20magnetic%20or%20elastic%29%20properties
[2] DOE Funds Research That Could Lead to Faster, Energy Efficient Computers | University of Arkansas (News) https://news.uark.edu/articles/71536/doe-funds-research-that-could-lead-to-faster-energy-efficient-computers
[3] Smart Ferroic Materials Center Now Open | University of Arkansas https://news.uark.edu/articles/72801/smart-ferroic-materials-center-now-open
[4] Smart Ferroic Materials Center | University of Arkansas (Catalog of Studies) https://catalog.uark.edu/generalinfo/universitycentersandresearchunits/smartferroicmaterialscenter/
[5] Graduate Faculty | University of Arkansas (Catalog of Studies) https://catalog.uark.edu/graduatecatalog/faculty/#p2982315.

 

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