Géo-ingénierie solaire : relance des débats suite à l’arrêt de deux expérimentations menées par des universités américaines

Le pont du USS Hornet, choisi comme site de l’expérience de « Marine Cloud Brightening » CAARE – crédit photo : Valentine Asseman

Les trajectoires actuelles des émissions mondiales de C02 ne sont pas compatibles avec l’objectif de  limitation du réchauffement climatique planétaire à 1.5°C de l’accord de Paris (la majorité des scénarios laissent plutôt prévoir des valeurs entre 2.5 et 3°C par rapport à l’ère pré-industrielle d’ici la fin du siècle). Face à ce constat, un collectif de  scientifiques du climat, principalement américains et piloté par des chercheurs de l’université de Washington,  avait plaidé en février 2023 pour  le soutien à des recherches sur la “modification du rayonnement solaire” (Solar Radiation Modification, SRM) [1], qui visent à accroître la fraction du rayonnement solaire réfléchie vers l’espace en cas de besoin urgent de réduction de la température de l’atmosphère (par exemple face des canicules mortelles prolongées ou répétées).

Deux approches sont principalement envisagées : injecter des aérosols dans la haute atmosphère pour bloquer une partie du rayonnement solaire (et reproduire ainsi le mécanisme de refroidissement global observé suite à certaines éruptions volcaniques injectant des quantités massives d’aérosols soufrés dans la stratosphère, l’archétype étant celle du Pinatubo en 1991) ou augmenter le pouvoir réfléchissant des nuages marins en diffusant des gouttelettes d’eau salée dans l’atmosphère (Marine Cloud Brightening, MCB).

Il s’agit toutefois de solutions très controversées, sur l’impact desquelles les inconnues scientifiques sont nombreuses, et qui ne font que pallier dans l’urgence les effets les plus catastrophiques du changement climatique, sans s’attaquer à ses causes. Un autre collectif de scientifiques du climat (dont les Français Jean Jouzel et Hervé Le Treut),  avait plaidé en février 2022 pour un moratoire international sur la géo-ingénierie solaire [2], et en particulier sur les expériences en extérieur (cf notre article dans la Newsletter de février 2023).

 

Au cours des dernières semaines, le débat a été relancé suite aux coups d’arrêt portés à deux expérimentations à petite échelle de SRM en extérieur pilotées par des universités américaines : 

  • En mars 2024, l’Université de Harvard a pris la décision de renoncer à l’expérience SCoPEX (Stratospheric Controlled Perturbation Experiment [3]) d’injection de quelques kilogrammes d’aérosols  par ballon à une altitude de 20km à partir de Tucson, Arizona et de mesure des effets induits. Cette expérience, proposée dix ans plus tôt, avait fait l’objet de nombreux reports suite à l’opposition de scientifiques et d’activistes du pays hôte initialement envisagé (la Suède) puis à la pandémie de COVID19. Elle visait aussi à tester des aérosols alternatifs aux composés soufrés (par exemple, à base de carbonate de calcium) afin d’éviter des effets secondaires tels que les pluies acides et l’endommagement de la couche d’ozone.

 

  • Le 3 juin 2024, c’est le conseil municipal d’Alameda (Californie) qui a interdit la poursuite de l’expérience CAARE (Costal Atmospheric Aerosol Research and Engagement) de MCB par injection de gouttelettes d’eau de mer, à partir du quai de l’ancien porte-avions USS Hornet. Cette expérience,  pilotée par l’Université de Washington [4], avait été lancée dans une relative discrétion. Des mouvements militants s’étaient mobilisés pour mettre fin à cette campagne, tandis que des experts étaient intervenus pour la défendre.

 

Dans les deux cas, les expériences ont été attaquées sur leur objectif et leur légitimité même, et non sur leur impact environnemental direct, négligeable (les quantités d’aérosols en jeu dans l’expérience que proposait Harvard ne représentent qu’une proportion infime de celles émises par le trafic aérien). A été également critiqué le fait que cette recherche soit menée grâce à des financements privés et non dans le cadre d’un programme de la National Science Foundation par exemple.

Dans le cas de l’expérience de l’Université de Washington, la presse a souligné le décalage entre l’enjeu global de ces recherches et le fait que leur sort ait été tranché au niveau du conseil municipal d’Alameda. 

La canicule qui a frappé au mois de juin 2024 une grande partie du territoire américain a vraisemblablement augmenté l’écho de ces débats, jusque dans les colonnes de CNN [5]

Les défenseurs de ces recherches mettent en avant les millions de vies humaines qui pourraient être en jeu lors de canicules de grande ampleur,  et la nécessité d’une évaluation scientifique de la faisabilité et des risques des méthodes proposées pour faire baisser rapidement la température de l’atmosphère.

Leurs opposants mettent en avant la diversion que constitueraient ces recherches  et le détournement de ressources financières au détriment de  celles s’attaquant véritablement aux causes et aux impacts du changement climatique ; la difficulté d’extrapoler les conclusions d’expérience à petite échelle ;  le fait que loin d’être utilisable de façon ponctuelle, la géo-ingénierie solaire devrait en réalité, en cas de déploiement, être prolongée pendant des décennies ;  et enfin « l’aléa moral » créé par l’illusion de l’existence de ces solutions alternatives vis-à-vis des efforts de réduction des émissions.

Rédacteur : 

Joaquim Nassar, Attaché pour la Science et la Technologie, Ambassade de France à Washington 

[email protected]

Références :

[1]  An open letter regarding research on reflecting sunlight to reduce the risks of climate change

[2] We call for an International Non-Use Agreement on Solar Geoengineering

[3] https://geoengineering.environment.harvard.edu/frank-keutsch-stratospheric-controlled-perturbation-experiment 

[4] https://atmos.uw.edu/faculty-and-research/marine-cloud-brightening-program/

[5] Opinion: Amid deadly heat, why is critical climate research being halted?, CNN, 21 juin 2024

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