Note synthétisant un ensemble d’articles parus dans la presse
Le 1er septembre a vu l’échec du 29ème lancement d’un Falcon 9 de SpaceX, deuxième échec depuis le vol inaugural du lanceur en juin 2010, après l’explosion en vol de juin 2015. La perte concomitante du satellite Amos-6 contrarie les projets de l’opérateur Spacecom, mais également de la Défense israélienne et de Facebook. L’impact de l’immobilisation du lanceur Falcon 9 et de la remise en état du site de lancement endommagé par cette explosion sur le calendrier des vols commerciaux, des missions de ravitaillement de la station spatiale internationale et à plus long terme des missions d’acheminement d’astronautes à bord de celle-ci, ainsi que sur le calendrier des lancements de sécurité nationale, demeure un point d’interrogation.
L’explosion
La fusée Falcon 9 de la société SpaceX a explosé pendant les opérations de remplissage des réservoirs le 1er septembre au matin sur son pas de tir (SLC-40) au Cap Canaveral en Floride. L’explosion, qui se serait produite au niveau du réservoir d’oxygène de l’étage supérieur, alors que les moteurs du lanceur étaient éteints, a également détruit le satellite israélien Amos-6, qui devait être lancé le 3 septembre. Cet accident, dont la cause est à ce stade indéterminée, n’a pas fait de victime.
Une équipe d’investigation comprenant des représentants de la Federal Aviation Administration (FAA) de la NASA, de l’Air Force, de SpaceX ainsi que de l’industrie analyse les informations fournies par les quelque 3 000 canaux de transmission pendant les 93 ms qui se sont écoulées entre les premiers signes de l’anomalie et la perte de données, afin en particulier d’essayer de déterminer si la cause de l’accident provient du lanceur ou des systèmes au sol.
Le deuxième échec du lanceur Falcon 9 depuis son vol inaugural en juin 2010
Cet accident met fin à une série de neuf lancements successifs réussis s’échelonnant de décembre 2015 à août 2016 (le dernier lancement en date étant la mise en orbite de transfert géostationnaire du satellite japonais de télécommunications JCSat-16), après l’explosion en vol du 28 juin 2015, qui avait détruit la capsule Dragon (cf. infra) destinée à une mission de fret vers la station spatiale internationale. Avant ce premier échec mi-2015, le lanceur Falcon-9, dont le vol inaugural s’est déroulé en juin 2010, avait effectué une succession de dix-huit lancements réussis (dont un succès partiel en octobre 2012, avec le lancement sur une mauvaise orbite de la charge utile secondaire, un satellite de la constellation Orbcomm). SpaceX est en outre jusqu’à présent parvenu à récupérer à six reprises le premier étage du Falcon 9 après lancement, en vue de lancements ultérieurs avec une fusée réutilisant celui-ci, au cœur de la communication de la société californienne (cf. infra).
SpaceX avait fait son entrée dans le domaine des lanceurs avec une version moins puissante que Falcon 9, le Falcon 1 aujourd’hui abandonné, qui a effectué deux lancements avec succès respectivement en septembre 2008 et juillet 2009, après trois échecs (vol inaugural en mars 2006).
Le satellite Amos-6 détruit
La destruction du satellite Amos-6 (satellite de haute technologie développé par l’industrie israélienne pour un montant estimé à 200 M$) intervient après la perte en orbite en novembre dernier du satellite Amos-5 lancé en novembre 2011. Le satellite Amos-6 aurait été le plus lourd jamais mis sur orbite par SpaceX (5,5 tonnes). Sa perte pénalisera non seulement la Défense de l’Etat hébreu, mais également Facebook, qui devait utiliser ce satellite pour un service d’accès Internet à large bande sur le continent africain en collaboration avec Eutelsat. L’opérateur israélien Spacecom, qui doit donc aujourd’hui se reposer sur le satellite vieillissant Amos-2 lancé en 2003, avant le lancement dans plus de trois ans d’un hypothétique successeur au satellite perdu le 1er septembre, a vu au lendemain de l’explosion son cours en bourse baisser substantiellement. Spacecom devrait recevoir un dédommagement pour la destruction d’Amos-6 de la part de SpaceX (qui pourrait prendre la forme d’un remboursement de 50 M$ ou d’un lancement gratuit) et du fabricant IAI (via une assurance pré-lancement). L’explosion a en outre des répercussions sur la prise de contrôle de Spacecom par le conglomérat chinois Beijing Xinwei Technology Group pour un montant de 285 M$ annoncée le 24 août, qui était conditionnée par la mise en opération du satellite aujourd’hui perdu. L’acquisition serait désormais en cours de renégociation.
Glissement des prochains lancements
A la reprise des vols après l’échec de juin 2015, SpaceX était parvenu à un rythme de lancement légèrement supérieur à un lancement par mois et en mars 2016 la société affichait l’objectif de 18 lancements en 2016 (incluant le vol inaugural du Falcon Heavy, cf. infra) et de 24 lancements ou plus en 2017, comptant en particulier sur la mise en opération prochaine de son troisième site de lancement (complexe 39A, en Floride, cf. infra), le site en développement de Chica Boca au Texas ne devant quant à lui n’être opérationnel qu’à l’horizon 2018.
L’explosion du 1er septembre affecte le manifeste de lancement et en particulier le calendrier prévu jusqu’à la fin de l’année 2016 : cinq lancements depuis le pas de tir SLC-40 de Cap Canaveral (EchoStar-23, SES-10, SES-11/EchoStar-105, un véhicule cargo vers la station spatiale CRS-10 et KoreatSat-5A) et trois lancements depuis la base de Vandenberg en Californie (la grappe des dix satellites 1 à 10 de retransmission de données et de voix d’Iridium NEXT, Formosat-5 avec un ensemble de cubesats intégrés dans le module Sherpa de la société Spaceflight Inc. en passagers secondaires, et enfin la grappe des dix satellites 11 à 20 d’Iridium NEXT). Le lancement des dix premiers satellites Iridium-NEXT, initialement prévu pour la fin septembre à Vanderberg, devait immédiatement succéder à celui d’Amos-6 dans le cadre d’un contrat de près de 500 M$ pour le lancement depuis Vanderberg de sept Falcon 9, emportant chacun dix satellites. L’achèvement du programme Iridium, d’un coût de 3 MD$ pour la construction et le lancement de 81 satellites ainsi que pour la modernisation du réseau terrestre de la société, était prévu pour la fin 2017 selon un calendrier qui s’avérait déjà ambitieux avant l’explosion.
Aucune date n’a pour l’instant été arrêtée pour le deuxième lancement inscrit sur le manifeste de SpaceX après l’explosion, en l’occurrence celui du satellite SES 10 (cf. infra) initialement prévu pour la fin octobre. SES 11 aurait également dû être lancé avant la fin de la l’année.
Le vol inaugural du lanceur Falcon Heavy – composé de trois boosters du premier étage de Falcon 9 et destiné aux satellites commerciaux et militaires les plus lourds – a lui aussi été reporté de fin 2016 au premier quart de l’année 2017, soit quatre an après la date estimée initialement. Il apparaît difficile d’évaluer à ce stade si le lancement de la mission inhabitée vers Mars Red Dragon, qui dépendra du lanceur Falcon Heavy et dont la date de lancement paraissait déjà ambitieuse à la NASA avant l’accident, pourra être maintenu pour mai 2018.
Quel impact sur la desserte de la station spatiale internationale ?
Outre ses activités de mise en orbite de satellites commerciaux, SpaceX joue un rôle majeur dans la desserte de la station spatiale internationale avec son lanceur et ses capsules Dragon. Après avoir bénéficié d’un premier contrat exploratoire de la NASA en août 2006 d’un montant de 278 M$ dans le cadre du programme COST (Commercial Orbital Transportation Services), Space X a signé en 2008 avec l’agence spatiale un contrat d’une valeur de 1,6 MD$ pour le transport de marchandises vers et depuis la station spatiale internationale, contrat étendu en 2015 pour 700 M$ dans le cadre du Commercial Resupply Services Phase 1. SpaceX a ensuite été sélectionnée (aux côtés d’Orbital ATK et de Sierra Nevada Corporation) dans le cadre du Commercial Resupply Services phase 2 pour un minimum de six missions de fret vers l’ISS. A ce jour le Falcon 9 a effectué avec succès deux missions de test et sept missions opérationnelles de sa capsule Dragon vers la station spatiale internationale (échec au lancement de la mission de fret du 25 juin 2015).
SpaceX développe également dans le cadre de contrats du Commercial Crew Program de la NASA une version habitée du Dragon (Dragon 2) pour la desserte de la station spatiale internationale (jusqu’à sept passagers). Après un premier contrat en novembre 2015, l’agence américaine a passé un second contrat à SpaceX le 29 juillet. Quatre Dragon-2 habitables sont développés dans ce cadre, avec un premier vol automatique, prélude à un vol habité, jusqu’alors prévu durant le deuxième trimestre 2017.
Les missions de fret et de transport d’équipage pourraient désormais également connaître un retard, au moment même où le NASA Advisory Council, notant que l’accord conclu entre les Etats-Unis et la Russie faisant des capsules Soyouz le moyen de transport exclusif des astronautes américains arrivait à échéance en 2018, avait fait part de sa préoccupation au sujet d’une éventuelle discontinuité de transport d’astronautes vers l’ISS, dans le cas où les deux entreprises Boeing et SpaceX connaîtraient des retards dans le développement de leurs vaisseaux. SpaceX assure toutefois que l’investigation sur l’explosion du 1er septembre n’aura pas d’incidence sur la construction des capsules Dragon 2.
Les relations entre SpaceX et la Défense
La Défense a très tôt marqué son intérêt pour l’activité de lancement de SpaceX, la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) ayant été le client des deux premiers vols du Falcon 1, respectivement en mars 2006 et mars 2007. Le National Reconnaissance Office (NRO) a confié le lancement d’un de ses cubesats en passager secondaire lors du deuxième vol du Falcon 9, en décembre 2010.
En décembre 2012, SpaceX a reçu sa première commande militaire d’envergure avec un contrat d’une valeur de 262 M$ pour le lancement des deux satellites Deep Space Climate Observatory et Space Test Program 2 Mission, respectivement en 2014 et 2015. Le premier a en fait été lancé avec un Falcon 9 en février 2015 et le lancement du second était jusqu’à présent prévu avec un Falcon Heavy au plus tôt en mars 2017.
Le Falcon 9, dans sa configuration dite de « pleine poussée » (full thrust), s’est vu attribuer en janvier 2015 la certification l’autorisant à lancer des charges utiles de sécurité nationale dans le cadre du programme militaire Evolved Expandable Launch Vehicle (EELV), certification que détient également son principal concurrent américain United Launch Alliance (ULA).
En avril 2016, SpaceX a obtenu le contrat de lancement du satellite de navigation et positionnement GPS-III-2 pour mai 2018, estimé à près de 83 M$, ULA n’ayant pas soumis d’offre.
En mai 2016, le NRO a annoncé avoir passé un contrat avec SpaceX pour le lancement de son satellite classifié NROL-67, un contrat qui pourrait avoir été signé il y a déjà plusieurs années.
Quel impact à plus long terme sur le manifeste de lancement ?
Il est aujourd’hui trop tôt pour apprécier, au-delà de la perte du satellite Amos-6, toutes les conséquences de l’explosion sur son pas de tir du lanceur Falcon de SpaceX le 1er septembre.
ULA, principal concurrent de SpaceX aux Etats-Unis, estime que la durée de l’interruption des vols du Falcon 9 pourrait durer entre neuf et douze mois. De son côté, SpaceX a annoncé une reprise des lancements en novembre, notamment grâce à l’utilisation de son deuxième site à Cap Canaveral. Il est à noter que si l’échec du lanceur Falcon 9 en juin 2015 avait provoqué une interruption des lancements pendant six mois, les vols avaient ensuite repris à une cadence plus élevée qu’avant l’échec.
En dépit de quelques défections en début d’année [[En février 2016 la société ViaSat avait décidé d’abandonner l’option d’un lancement avec un Falcon Heavy pour une fusée Ariane-5. Un mois plus tard, l’opérateur Inmarsat a également annoncé renoncer à lancer son satellite Europasat/Hellas-sat 3 en 2017 avec un Falcon Heavy, lui préférant un lanceur Proton.]], le carnet de commandes de SpaceX à la veille de l’explosion était évalué à plus de 10 MD$ pour quelque 70 lancements. L’explosion n’a donné lieu à aucune remise en cause de contrats de lancements. Le client historique SES (deux lancements effectués à ce jour, dont l’un dès décembre 2013), qui avait rendu publique le 30 août la signature d’un contrat de lancement de son satellite SES-10 pour la fin d’année 2016 à bord de la première fusée Falcon 9 partiellement réutilisée (premier étage utilisé en avril pour le lancement de la capsule Dragon vers la station spatiale internationale pour une mission de fret), a pour sa part annoncé le maintien de sa décision au lendemain de l’explosion.