De l’oncologie aux essais cliniques innovants pour lutter contre la COVID-19

Si de nouveaux vaccins ou nouvelles molécules, sont essentiels dans la recherche d'un traitement d'une pathologie comme la COVID-19, la manière dont sont conduits les essais cliniques joue elle aussi un rôle important et peut faire l’objet d’innovations.

Le Texas à la pointe de l’oncologie

Fer de lance du Texas Medical Center (TMC) – l’un des plus grands complexes hospitaliers au monde -, le MD Anderson Cancer Center de l’université du Texas à Houston est spécialisé dans la recherche, le traitement et la prévention du cancer.

Créé en 1941 et comptant 22.000 employés, il a été classé par le US News and World Report  comme meilleur centre de soin des Etats-Unis cette année. En fait, le MD Anderson Cancer Center a été désigné comme l’un des deux meilleurs hôpitaux du pays pour les soins contre le cancer chaque année depuis le début de l’enquête en 1990 (sur près de 5 000 hôpitaux évalués).

Le Texas à la pointe des conceptions d’essais cliniques en oncologie

Le MD Anderson Cancer Center (#EndCancer) est également connu du fait du prix Nobel de médecine 2018, décerné à James Allison pour ses travaux en immunologie des tumeurs et sa contribution à la découverte d’une thérapie contre le cancer « par inhibition de la régulation immunitaire négative »[1].

Ce Cancer Center est cependant moins connu pour être un pionnier de conceptions innovantes d’essais cliniques, en particulier les essais cliniques adaptatifs. Ces derniers ont la particularité d’utiliser les données accumulées pendant l’essai clinique pour en modifier éventuellement certains aspects, sans en compromettre la validité ni l’intégrité. Par rapport aux essais plus traditionnels, les schémas adaptatifs permettent en théorie de minimiser la taille de l’échantillon tout en augmentant la probabilité de détecter l’activité du médicament. Les statistiques bayésiennes sont utilisées pour prédire quels traitements sont susceptibles d’avoir un effet bénéfique sur la base de données précoces et limitées.

Professeur à l’université du Texas au MD Anderson Cancer Center, Don Berry est un pionnier dans le domaine des essais cliniques adaptatifs, tant au niveau de la recherche que de la politique en matière de lutte contre le cancer. Comme directeur du département de biostatistiques, il a en effet conçu plus de 300 essais cliniques adaptatifs et a publié plus de 400 articles sur les statistiques bayésiennes. Il a également largement contribué à l’adoption des essais adaptatifs par les organismes de réglementation américains.

Les essais cliniques I-SPY et I-SPY 2

Laura Esserman (Directrice du Carol Franc Buck Breast Care Center à l’University of California à San Francisco) et Don Barry (co-investigateur et statisticien en chef) ont développé l’essai clinique I-SPY (Investigation of Serial Studies to Predict Your Therapeutic Response With Imaging and Molecular Analysis), une étude multicentrique sur le cancer du sein intégrant des données cliniques, d’imagerie et de génomique pour évaluer la réponse pathologique via des biomarqueurs tumoraux[2].

Faisant suite à ces travaux, ils ont conçu l’essai clinique I-SPY 2 sur le traitement néoadjuvant du cancer du sein localement avancé. Ce projet implique la collaboration de tous les secteurs, y compris les scientifiques de la Food and Drug Administration (FDA), les scientifiques du National Cancer Institute, les centres cliniques, les industriels et les groupes de défense des patients[3]. I-SPY 2i est un essai adaptatif, mais qui utilise également un protocole maître (Master Protocol ou MAP).

Un protocole maître est une innovation méthodologique permettant d’évaluer plus d’un ou deux traitements chez plus d’un type de patients ou de maladies dans le cadre d’un même essai clinique. Les protocoles maîtres peuvent impliquer une ou plusieurs interventions dans une ou plusieurs maladies, chacune ciblant une population ou un sous-type de maladie particulier défini par un biomarqueur[4],[5].

Un autre essai clinique emblématique (coordonné par Roy Herbst, anciennement au MD Anderson Cancer Center), utilisant un protocole maître est le Lung-MAP, dont la coordination nationale du protocole est basée à San Antonio au Texas. Lung-MAP, actif depuis 2014, vise à tester rapidement et efficacement de nouveaux traitements pour les cancers avancés du poumon non à petites cellules- qui représentent environ 85% de tous les diagnostics de cancer du poumon aux États-Unis[6].

Les conceptions adaptatives gagnent du terrain

Si, selon ses concepteurs, I-SPY 2 pourrait ouvrir la voie au développement de la prochaine génération d’essais cliniques en oncologie[7], d’autres envisagent ce schéma comme une piste d’innovation pour les essais cliniques appliqués à d’autres pathologies [8][9], dont la maladie d’Alzheimer[10],[11].

Le Antibiotic  Resistance  Leadership Group (ARLG) entreprend quant à lui l’évaluation de plusieurs thérapies ciblant les agents pathogènes résistants dans le cadre d’un protocole maître (ADAPT), avec l’utilisation de méthodes et de technologies adaptatives similaires à celles de l’I-SPY 2[12].

Dès 2015, lors de l’épidémie d’Ebola en Afrique, la FDA et les National Institutes for Allergy and Infectious Disease (NIAID) avaient utilisé un protocole maître pour tester plusieurs agents thérapeutiques afin de traiter les patients infectés par le virus Ebola (Ebola Virus Disease Medical Countermeasures (EVD MCM) Trial)[13].

Essais cliniques adaptatifs, protocoles maîtres et COVID-19

Ayant gagné en maturité et en notoriété, plusieurs initiatives utilisant des essais cliniques adaptatifs et/ou des protocoles maîtres ont été mis en place du fait de la pandémie de COVID-19.

Image : MD Anderson Cancer Center

Dans le cadre de son initiative the Accelerating COVID-19 Therapeutic Interventions and Vaccines (ACTIV), les NIH viennent d’annoncer 2 essais adaptatifs de phase 3 pour évaluer différents anticoagulants en vue de traiter des adultes atteints de COVID-19 (en prévenant ou en réduisant la formation de caillots sanguins)[14]. La conception adaptative des protocoles permet de démarrer, d’arrêter ou d’associer différents anticoagulants au cours de l’étude en fonction des données générées par l’essai. Cette approche permet d’accélérer le calendrier des essais de différents agents sans en compromettre la sécurité.

Ces dernières semaines également, mentionnons une étude internationale réalisée par le consortium REMAP-CAP, qui a testé différentes administrations d’hydrocortisone chez 384 patients COVID-19 gravement malades, dans 8 pays (essais clinique adaptatif randomisé)[15]. Notons dans le consortium REMAP-CAP, la participation de statisticiens de Berry Consultants d’Austin au Texas. Cette société, fondée en 2000, se veut la première entreprise au monde en consultance spécialisée dans les statistiques bayésiennes. Ses 2 fondateurs, sont Scott Berry, qui a été Assistant Professor à l’université Texas A&M, et son père, Don Berry évoqué plus haut. La société a conçu plus de 500 essais adaptatifs uniques pour les entreprises de dispositifs médicaux, biotechnologiques et pharmaceutiques.

Conclusion

Issus de l’oncologie et souvent méconnus, les essais cliniques adaptatifs et/ou adoptant un protocole maître sont des innovations méthodologiques qui sont actuellement plus complexes à mettre en œuvre que les essais classiques[16].

Cependant, une fois initiés, ces essais comportent plusieurs avantages dont des gains globaux de temps et de coûts, estimés à environ 15% chacun par rapport à un essai traditionnel. Notons que plus leur utilisation deviendra fréquente, collective et ouverte, plus nos connaissances en matière de conception, de mise en œuvre et d’exploitation des résultats augmenteront rapidement.

Références:

[1] https://www.nobelprize.org/prizes/medicine/2018/allison/facts/

[2] https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pmc/articles/PMC3434983/

[3] https://fnih.org/what-we-do/biomarkers-consortium/programs/i-spy-trial-2

[4] https://nett.umich.edu/sites/default/files/docs/article_1_march_2019.pdf

[5] https://www.ispytrials.org/i-spy-platform/i-spy2

[6] https://www.lung-map.org/

[7] https://www.ispytrials.org/i-spy-platform/i-spy2

[8] https://www.nature.com/articles/d41587-019-00021-8

[9] https://www.nature.com/articles/d41587-019-00021-8

[10] https://jamanetwork.com/journals/jamaneurology/article-abstract/2645748

[11] http://ep-ad.org/for-intervention-owners/epad-benefits/#flexible-and-efficient-study-design

[12] https://arlg.org/arlg-study-employs-innovative-model-to-test-diagnostics-for-extragenital-gonorrhea/

[13] https://clinicaltrials.gov/ProvidedDocs/22/NCT02363322/Prot_SAP_ICF_000.pdf

[14]https://www.nih.gov/news-events/news-releases/nih-activ-initiative-launches-adaptive-clinical-trials-blood-clotting-treatments-covid-19

[15]https://jamanetwork.com/journals/jama/fullarticle/2770278?resultClick=1

[16] https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/32395664/

 

Rédacteur :

Renaud Seigneuric, Attaché pour la science et la technologie à Houston. [email protected]

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