Accélération de la décarbonation des Etats-Unis – Une approche systémique et sociale de l’Académie des Sciences américaine

Selon le rapport publié début février par l'Académie des Sciences américaine, les décideurs politiques devront élargir leur approche et tenir compte des conditions sociales associées aux efforts de décarbonation de l’économie américaine visant à atteindre des objectifs de neutralité carbone d'ici 2050.
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Suite au séminaire de juillet 2019 intitulé « Deployment of Deep Decarbonization Technologies », l’Académie des Sciences américaine nomma un Comité d’évaluation du consensus dans le but de réaliser une étude traitant des dimensions technologiques, politiques, sociales et économiques de la décarbonation de l’économie américaine. L’objectif est de fournir une liste de recommandations politiques pour les 5 à 20 prochaines années élaborée sur la base du consensus scientifique. Ce rapport publié ce mois de février 2021 et intitulé « Accelerating Decarbonization in the United States : Technology, Policy, and Societal Dimensions« , a également pour vocation de poser les fondations d’une initiative plus large de l’Académie sur la thématique de la décarbonation profonde de l’économie américaine.

Aligner les priorités technologiques, économiques et sociales

Compte-tenu du spectre extrêmement large de ce type d’étude, l’approche privilégiée est systémique, multisectorielle et se distingue par la place importante accordée aux objectifs sociaux. Selon le comité de rédaction du rapport, ces considérations de la future politique énergétique étendue d’une dimension sociale joueront un rôle essentiel sur la réceptivité du public. Ainsi, elle faciliterait la mise en oeuvre des politiques de la transition énergétique, nécessaires pour atteindre les objectifs de neutralité carbone de l’administration Biden.

« Ce qui est distinctif dans ce rapport, c’est son emphase sur les facteurs sociaux », a déclaré Stephen W. Pacala, Président du comité de rédaction du rapport et Directeur de la Carbon Mitigation Initiative à la High Meadows Environmental Institute de Princeton. « Au moins la moitié de ce que nous recommandons porte sur les dimensions sociales de ce défi », précise-t-il.

Si les avantages environnementaux des efforts de décarbonation sont évidents, le rapport de l’Académie examine comment ces politiques peuvent également servir de moteur à l’économie américaine et stimuler simultanément les investissements dans l’innovation. Le rapport recommande donc une évolution de l’approche politique du système énergétique, permettant notamment d’anticiper et de remédier aux inégalités de longue date dans le réseau énergétique national, et en notant que les décideurs politiques devraient considérer l’inclusion comme un objectif central de toute future politique du secteur.

Le comité fixe ainsi une liste de 9 objectifs qui cadreront les recommandations contenues dans ce rapport :

  1. Cinq objectifs technologiques :
    1. Investissement dans les technologies d’efficacité énergétique et de productivité ;
    2. Investissement dans les technologiques d’électrification du transport, bâtiment et industrie ;
    3. Recherche et développement de production d’énergie décarbonée ;
    4. Planification et construction d’infrastructure critiques liés à la décarbonation ;
    5. Extension de la boîte à outil de l’innovation aux technologies de décarbonation.
  2. Quatre objectifs socio-économiques :
    1. Renforcer l’économie américaine ;
    2. Promouvoir l’équité et l’inclusion ;
    3. Soutenir les communautés, les entreprises et les travailleurs ;
    4. Maximiser le rapport coût-efficacité.

L’éventail des recommandations couvre les dimensions politiques, économiques, scientifiques et technologiques dont voici une liste non-exhaustive :

  1. Au niveau de l’Etat fédéral :
    1. Un taxe carbone élevée à 40$/T CO2 appliquée à l’ensemble de l’économie américaine qui augmentera de 5% par an ;
    2. L’établissement d’une National Transition Task Force au sein du gouvernement fédéral dotée d’un mandat de 2 ans qui devra évaluer l’impact social de la transition énergétique ;
    3. L’établissement d’un bureau à la Maison Blanche, l’Office of Equitable Energy Transitions, qui sera chargé d’étudier les recommandations de la Task Force ;
    4. L’établissement d’un comité consultatif indépendant, le National Transition Corporation ;
    5. Un triplement sur 10 ans du budget de Recherche, Développement et Démonstration sur les technologies bas carbone du Département de l’Energie.
  2. Au niveau des politiques économiques sectorielles :
    1. L’élaboration d’un Clean Energy Standard for Electricity ;
    2. L’élaboration de standards sur la fabrication et la performance des véhicules électriques ainsi que des standards sur les performances énergétiques des bâtiments ;
    3. Ajustement carbone à la frontière ;
    4. La création d’une Green Bank pour le financement des projets industriels liés aux énergies propres.

Le rapport souligne le rôle central du Département de l’Energie dans ses recommandations portant sur la politique d’innovation à mener

Le Comité recommande un certain nombre d’initiatives politiques visant à améliorer et à élargir les capacités d’action du Département de l’Energie (DOE), notamment par la recommandation au Congrès de tripler le financement du DOE pour la recherche, le développement et la démonstration (RD&D) des technologies à faible ou à zéro émission de carbone au cours des dix prochaines années. Ces financements couvriraient l’augmentation du budget de l’agence dédié aux projets de démonstration technologique à grande échelle mais également, chose nouvelle, le soutien à la recherche en sciences sociales en lien avec ces technologies énergétiques. L’objectif du Comité est clairement indiqué dans le rapport : il s’agirait de faire évoluer le cadre de pensée des politiques d’innovation afin de placer la recherche et l’innovation au service d’une transition juste. Cette dimension sociale est élevée au même titre que celui de la nécessité stratégique de consolidation du leadership américain en matière de progrès technologique.

Les chapitres 2 et 3 identifient les besoins de recherche spécifiques, tandis que le chapitre 4 comprend des recommandations qui proposent une répartition du financement de la RD&D avec d’autres agences fédérales et définit les grandes thématiques de recherche et d’innovation.

En particulier, les 5 objectifs technologiques suscités couvrent un spectre très large des travaux de RD&D du DOE comme :

  1. L’efficacité énergétique des technologiques liées au transport, au bâtiment, à l’industrie ;
  2. L’électrification, avec ses thématiques liées au transport de l’électricité (résilience des réseaux) et le stockage (hydrogène) ;
  3. La recherche dans les technologies liées aux infrastructures nécessaires au développement d’émissions négatives comme les pipelines de transport de CO2 pour le déploiement national des technologies de capture de carbone, par exemple ;
  4. L’évolution des modèles d’innovation afin d’inclure les notions de décarbonation sur toute la chaîne d’innovation, depuis la recherche fondamentale jusqu’au déploiement industriel et démonstrations.

La position du comité relative à la politique d’innovation est la suivante :

« Les précédentes mesures politiques ont accéléré la RD&D dans le domaine de l’électricité éolienne et solaire, tandis que les incitations financières ont créé des marchés de niche en permettant à des sources d’énergie éolienne et solaire encore coûteuses de concurrencer les sources d’énergie fossiles et autres. La concurrence permanente a permis de réduire les coûts des énergies renouvelables de façon continue et d’une ampleur considérable, ainsi que de rentabiliser plusieurs fois l’investissement fédéral dans l’économie américaine. On peut en dire autant des crédits d’impôt, des autres incitations et des autres soutiens fédéraux à la RD&D pour le développement du gaz naturel non conventionnel, des lumières LED et de nombreuses autres innovations énergétiques. En offrant un soutien fédéral pour une RD&D nette zéro et un déploiement précoce sur le marché, les politiques présentées devraient dynamiser l’innovation au sein de nombreux centres de recherche, et ce depuis les universités jusqu’aux laboratoires fédéraux en passant par les entreprises. Il s’agirait de stimuler la concurrence pour conquérir les marchés émergents, tout en identifiant les voies de transition les plus justes, équitables et bénéfiques pour la société. »

Un bilan financier soutenu par une taxe carbone et des économies sur les prestations de santé

Le coût de la mise en place de ces politiques est estimé à 300 milliards de dollars supplémentaires dans le budget fédéral annuel. Le rapport postule que les réformes seraient remboursées ne serait-ce que par les économies en termes de prestations de santé publique. Ces réformes auraient des « avantages spectaculaires » pour les communautés de la classe ouvrière et les communautés de couleur qui subissent un préjudice disproportionné en raison de l’extraction et de la consommation de combustibles fossiles, ainsi que pour les communautés historiquement dépendantes des combustibles fossiles.

Par ailleurs, le rapport précise que la mise en place d’une taxe carbone à 40$/T devrait rapporter environ 2 000 milliards de dollars sur la décennie (2021-2030).

Un plan d’action volontairement centré sur la décennie à venir

L’objectif de neutralité des émissions nettes de carbone est fixé pour 2050, mais le rapport indique clairement que ce sont les dix prochaines années qui dicteront le succès des États-Unis dans la réalisation de l’objectif de 2050. C’est pourquoi il concentre ses recommandations et objectifs politiques sur cette période de dix ans. Le comité estime qu’un engagement fort à court terme en faveur d’une décarbonation équitable peut servir de base solide pour atteindre l’objectif à plus longs termes d’émissions nettes zéro.

Les recommandations du rapport de l’Académie mettent à disposition des décideurs politiques une trajectoire potentielle afin d’étendre leurs efforts vers la décarbonation. Le rapport se distingue particulièrement dans son approche sociale, qu’il intègre aux considérations technologiques et économiques, plus conventionnelles. Il est fort probable que cette publication influence et crée un terreau fertile favorisant l’émergence d’une génération de propositions politiques plus inclusives sur la thématique.

Un mouvement vers la décarbonation qui s’accélère dans l’écosystème politique Washingtonien

Les réflexions autour des stratégies de décarbonation existent évidemment depuis de nombreuses années dans les sphères politiques, scientifiques et technologiques Washingtoniennes, mais elles bénéficient dorénavant du soutien du gouvernement. Ce soutien est illustré par la publication des récents décrets du président Biden mettant fin aux nouveaux permis d’exploitation d’hydrocarbures sur les terres fédérales ou faisant passer le parc automobile fédéral aux véhicules électriques, entre autres.

Cette nouvelle administration est perçue comme plus réceptive à ces thématiques par la communauté scientifique et politique américaine. L’élection semble ainsi avoir créé un appel d’air ayant comme conséquence, entre autres, une augmentation du volume d’activité des think-tanks américains sur les questions de décarbonation, aussi bien sur les volets scientifiques et technologiques que politiques ou sécuritaires (voir les travaux du WRI à ce sujet, ou du CSIS).

Pour aller plus loin :

  • Le rapport (en anglais) : ici.
  • Le résumé aux décideurs : ici.
  • Communiqué de presse : ici.
  • Highlights du Consensus Study report : ici.
  • Réunion de rendu : ici.
  • Présentation de la réunion de rendu : ici.
  • Carte interactive des objectifs : ici.
  • Table des objectifs : ici.

 


Rédacteur :

Julien Bolard, Attaché adjoint pour la Science et la Technologie – Climat, environnement et énergie – Washington, D.C. – [email protected]

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