Dans le cadre de la collaboration entre le CNRS et l’Université d’Arizona, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Dr. Alexandra Langlais et Dr. Greg Barron-Gafford, qui travaillent conjointement pour développer des solutions innovantes à la croisée des sciences et du droit, afin d’apporter des solutions durables aux défis climatiques mondiaux.
Dr. Greg Barron-Gafford, biogéographe à l’Université d’Arizona, mène des recherches depuis 18 ans dans le sud-ouest des États-Unis, explorant les dynamiques des systèmes terrestres, l’écologie végétale ainsi que les impacts du changement climatique. De son côté, Dr. Alexandra Langlais, directrice de recherche au CNRS en droit de l’environnement à l’Université de Rennes et récipiendaire de la médaille de Bronze du CNRS, se spécialise dans les enjeux juridiques liés à l’environnement.
Ensemble, ils s’efforcent de trouver des solutions intégrées à grande échelle pour l’alimentation, l’énergie et l’eau, dans le cadre des recherches conjointes entre le CNRS et l’Université d’Arizona. Ces deux institutions entretiennent des collaborations fructueuses depuis plusieurs années, couronnées en 2021 par l’inauguration du premier International Research Center (IRC) du CNRS aux États-Unis, le « France Arizona Institute for Global Grand Challenges » [1]. Cet institut a pour objectif de répondre aux grands défis scientifiques mondiaux, à travers trois axes stratégiques liés au changement climatique : (1) l’habitabilité du futur, (2) la santé, et (3) des solutions pour l’eau, l’énergie et l’alimentation.
L’agrivoltaïsme, au cœur du troisième axe, émerge comme une innovation prometteuse dans les régions arides. Cette approche combine la production d’énergie solaire et l’agriculture sur une même parcelle, et la protection de l’ensoleillement excessif grâce aux panneaux solaires permet de préserver les ressources en eau et tout en optimisant la croissance des plantes. L’agrivoltaïsme contribue également à réduire le conflit d’usage entre l’agriculture et la production d’énergie renouvelable, tout en protégeant les agriculteurs et les élevages des vagues de chaleur extrême. Testée à petite échelle à l’institut France-Arizona, cette solution durable a déjà démontré son potentiel.
Dans cet entretien, nous explorons la dimension internationale et interdisciplinaire de l’agrivoltaïsme, un levier pour une science durable et impactante.
- Greg, en tant que Professeur à l’Université d’Arizona, et Alexandra, en tant que directrice de recherche CNRS à l’université de Rennes, pouvez-vous nous expliquer la genèse du projet agrivoltaïsme et ses principales étapes ?
Alexandra: Les origines de la coopération internationale entre l’université d’Arizona et le CNRS sur la thématique de recherche de l’agrivoltaïsme sont intimement liées à la création de l’IRC (International Research Center) en 2021. Cet IRC dédié aux grands changements globaux comprend trois axes de recherche illustrant trois champs scientifiques que les chercheurs américains et français souhaitent explorer ensemble. Aux côtés de l’habitabilité sur terre et le changement climatique et la santé, le troisième des axes de cet IRC porte sur le nexus agriculture-énergie-eau à large échelle appliqué à l’agrivoltaïsme. Pour donner corps à ce découpage thématique, un séminaire de plusieurs jours dédié à l’agrivoltaïque a eu lieu à Biosphère 2 [2] fin avril 2023. Lors de ce séminaire, un brainstorming des questions interdisciplinaires envisageables a été réalisé en vue d’identifier les principaux enjeux, bases nécessaires pour asseoir et développer la coopération internationale naissante et construire un cluster de thèses commun [3]. C’est au cours de ce séminaire que Greg et moi avons été désignés co-responsables de cet axe de recherche. Sous la houlette de Greg, une proposition d’écrit abordant les connexions entre les objectifs de développement durable (ODD) et l’agrivoltaïsme a été lancée et co-écrite. Pour faciliter et poursuivre nos échanges interdisciplinaires, je suis venue trois mois de la mi-avril à la mi-juillet à Tucson, grâce à un soutien financier du CNRS pour une mobilité internationale. Ce temps nous a permis de finaliser les 5 premiers sujets de thèses financés par le CNRS [3] et de lancer deux autres articles sous un angle plus juridique, l’un en lien avec une entrée services écosystémiques et l’autre avec une entrée transition agro-écologique. Fin août 2024, un dossier a été élaboré en vue d’être déposé à la fondation MacArthur dans la perspective de constituer une « école internationale de l’agrivoltaïque ». Ce projet regroupant l’Arizona, le Mexique, Israël, le Maroc et la France n’a malheureusement pas abouti mais l’idée n’est pas abandonnée pour autant.
Greg: Bien que la plupart des régions de la France soient très différentes de ce que l’on imagine en pensant à l’Arizona, nous partageons des préoccupations très réelles concernant l’élévation des températures, les périodes de sécheresse et les vagues de chaleur qui affectent nos systèmes alimentaires – à la fois les cultures et les travailleurs agricoles. De plus, nous nous efforçons tous deux d’atteindre des objectifs importants en matière d’énergies renouvelables et de parvenir à une souveraineté énergétique. Fait intéressant, des scientifiques en France et en Arizona étaient à l’avant-garde du développement de l’agrivoltaïsme, sans se connaître ni savoir ce que faisait l’autre. Maintenant que nos institutions sont liées, nous sommes prêts à jouer le rôle de catalyseurs pour la croissance mutuelle et la compréhension de ce domaine en plein essor.
- En tant que biogéographe, Greg, et spécialiste en droit de l’environnement, Alexandra, comment vos disciplines respectives se complètent-elles pour répondre aux défis liés à l’agrivoltaïsme ?
Greg: En tant que chercheur sur les plantes et leur environnement, nous avons pu démontrer l’efficacité de l’agrivoltaïque d’un point de vue biophysique. Nous avons documenté les impacts positifs des interactions entre les plantes, les personnes et la production d’énergie renouvelable, ainsi que la réduction du stress pour ces différents acteurs. Si l’agrivoltaïsme fonctionne si bien en théorie, pourquoi n’est-il pas plus largement pratiqué ? Quels sont les défis et opportunités potentiels que nous ne percevons pas en l’étudiant de manière aussi restreinte ? Travailler à l’intersection des aspects biophysiques, sociopolitiques, techniques et juridiques nous permet, pour la première fois, d’examiner l’agrivoltaïsme comme un véritable système intégré.
Alexandra: La complémentarité de nos approches s’exprime d’au moins deux manières. La première concerne l’objet de recherche. Greg dispose d’une très grande connaissance technique et écologique quant à la mise en œuvre des installations agrivoltaïques. Cela implique notamment une connaissance des pratiques agricoles pertinentes à mobiliser, une identification des lacunes scientifiques à explorer et a fortiori des résultats validés permettant de créer une passerelle avec la prise de décision. Spécialisée en droit de l’environnement avec l’agriculture comme terrain d’analyse, cette compétence technique et scientifique est précieuse pour caractériser les enjeux sociaux, économiques et politiques et identifier le besoin de droit. Les interactions fortes entre le droit et la société comme le droit et la science permettent également respectivement d’attirer l’attention sur des enjeux d’équité et de justice sociale dans le développement de ces installations mais également de mettre la focale sur les défis juridiques à relever pour appréhender ces installations dans toute leur complexité (soit la prise en compte simultanée de ces dimensions, leur impact écologique à court et long terme, les incertitudes scientifiques les concernant…). La seconde manière d’appréhender la complémentarité de nos champs de compétence tient également à l’existence de terrains de recherche différents. Les acteurs, les espaces, les conditions climatiques, les règles juridiques entre l’Arizona et la France permettent de s’ouvrir à des comparaisons inédites. Ce sont ces différences qui permettent pleinement de tester l’hypothèse d’une approche à large échelle de l’agrivoltaïque.
- Pourriez-vous préciser la dimension internationale de cette initiative ? Pourquoi est-ce important ?
Alexandra: depuis plusieurs années, le CNRS s’inscrit dans une internationalisation de la recherche. Les IRC (International Research Center) participent à renforcer cette dimension internationale. Le fait qu’elle soit ici bien ancrée dans une thématique favorise les échanges Arizona-France car les contours de la recherche commune sont dessinés sans être enfermants. Plus encore, elle permet de créer une vraie dynamique de réseaux et donc de faire rayonner la recherche au-delà des collaborations originelles. De part la complexité de cet objet de recherche, la dimension internationale couplée à une dimension interdisciplinaire offre ici une vraie valeur ajoutée car elle permet de multiplier les connaissances et savoir-faire à l’origine de partages et de co-construction d’expériences. Or, cette étape est cruciale pour établir des choix éclairés et ce tout particulièrement lorsqu’il s’agit de penser l’agrivoltaïque à large échelle. En effet, il est important de rappeler que si la menace créée par le changement climatique est globale, la réponse et au préalable la prise de conscience, laquelle devrait être également collective, ne s’exprime et ne s’exprimera pas partout dans les mêmes termes. Autrement dit, le caractère global favorable à une internationalisation de la ou des réponse(s) doit nécessairement reposer sur une diversité de visions, conceptions, savoir-faire, connaissances… pour adapter à une échelle plus locale la réponse souhaitée ou souhaitable.
Greg: On dit souvent que le changement climatique nécessite de penser globalement et d’agir localement. Ici, c’est exactement ce que nous faisons. Mais, nous travaillons également en réseau, en tirant parti de nos expertises respectives et des ressources que nous apportons, que ce soit à travers nos collaborations internationales existantes, nos centres de recherche ou les domaines dans lesquels nos institutions sont mondialement reconnues. Nous nous appuyons sur nos expériences locales et testons des solutions élaborées dans une région pour en maximiser l’impact dans une autre.
- En Septembre 2024, le Consulat Général de France à Los Angeles a organisé, avec le soutien du service pour la Science et la Technologie, un événement de sensibilisation sur les enjeux de l’agrivoltaïsme dans le contexte du changement climatique. En quoi ce soutien par la France est-il important ?
Alexandra: Ce soutien du Consulat Général de France à Los Angeles est particulièrement important car il donne une assise à cette collaboration internationale hors des murs académiques. Ce soutien permet également de participer à cette prise de conscience collective mentionnée précédemment et s’inscrit comme un relai précieux entre les travaux de recherche et leurs traductions politiques et juridiques.
- Des projets de thèse sont proposés conjointement par le CNRS et l’Université d’Arizona. Avez-vous un message à faire passer aux étudiantes et étudiants quant à l’intérêt de prendre part dès leur thèse à une recherche internationale ?
Alexandra: Ces projets de thèse sont des opportunités extraordinaires pour les doctorants qui participent à ces « laboratoires d’idées » pour s’ouvrir à des points de vue différents, à des champs disciplinaires distincts du sien mais aussi à des cultures diversifiées, autant de regards parfois inhabituels sur l’objet de sa thèse. Outre le fait de gagner un temps précieux dans l’appréhension de son sujet de thèse, cela permet de se forger une base de recherche solide, contradictoire et souvent innovante qui constituent des caractéristiques indispensables pour rédiger une bonne thèse. C’est également une occasion fantastique pour développer son réseau, disciplinaire, interdisciplinaire mais aussi international sur un sujet en pleine émergence.
Greg: Nous tentons de résoudre un défi mondial alors que de nombreuses régions du monde sont confrontées à des conflits et aux conséquences d’un climat instable sur leur bien-être. Au-delà de l’apprentissage auprès de spécialistes ayant des expériences et des formations différentes, les opportunités de formation en partenariat international permettent de rencontrer des personnes issues d’autres cultures, de créer des relations qui vous accompagneront tout au long de votre parcours professionnel et personnel, et d’évoluer dans un environnement intentionnellement interdisciplinaire.
- Comment pouvons-nous suivre l’évolution de vos travaux de recherche ?
Alexandra: Nous sommes au tout début de nos travaux de recherche commun. L’actualité des travaux réalisés est et sera visible sur le site de l’institut France-Arizona pour les Grands défis globaux : https://www.fainstitute.arizona.edu/ ainsi que sur le site du CNRS https://www.cnrs.fr/fr.
Cet entretien illustre comment Dr. Greg Barron-Gafford et Dr. Alexandra Langlais, en combinant leurs expertises complémentaires, montrent que l’agrivoltaïsme va au-delà d’une simple solution technique aux défis climatiques. Il constitue un levier essentiel pour repenser la production agricole et énergétique à l’échelle mondiale. La collaboration entre l’Université d’Arizona et le CNRS met en évidence l’importance de travailler ensemble et d’adopter une approche interdisciplinaire pour construire un avenir plus résilient et durable.
Remerciements :
Je tiens à remercier chaleureusement Dr. Greg Barron-Gafford et Dr. Alexandra Langlais pour avoir pris le temps de partager leurs perspectives éclairantes sur l’agrivoltaïsme et ses enjeux essentiels pour notre avenir.
Rédactrice :
Célestine Belloeil, Chargée de mission scientifique au Consulat Général de France à Los Angeles, [email protected]
Références :
[1] France-Arizona Institute for Global Grand Challenges
[2] Université d’Arizona – Biosphere 2
[3] Découvrir les 5 projets de thèses conjointes CNRS – Université d’Arizona pour l’agrivoltaïsme
Pour en savoir plus sur la collaboration CNRS – Université d’Arizona :
Laboratoire de recherche international iGLOBLES, créé en 2007 entre le CNRS et l’Université d’Arizona, coopéré par l’université Paris Sciences & Lettres et l’Ecole Normale Supérieure