Les scénarios énergétiques privilégiés par les Etats-Unis nécessiteraient un investissement de 600 milliards de dollars dans la gestion du carbone d’ici 2050

L'opinion publique américaine n'est majoritairement pas favorable à une sortie des énergies fossiles d'ici 2050, et les scénarios de référence des agences fédérales prévoient un essor des énergies renouvelables en complément plutôt qu'en substitut du pétrole et du gaz à cet horizon. Dans ces conditions, le respect des engagements pris par les Etats-Unis au titre de l'accord de Paris supposera des investissements dans la "gestion du carbone" qu'un rapport récent du Department of Energy évalue à 600 milliards de dollars, avec un modèle economique encore à inventer.
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Le 18 avril 2023, le Pew Research Center (un think tank bipartisan basé à Washington, fournissant des statistiques et informations sociales et démographiques depuis 2004) a publié les résultats d’une série d’enquêtes sur la perception des enjeux climatiques et énergétiques par la population des Etats-Unis, dont la dernière a été effectuée en mars 2023 auprès d’un échantillon représentatif de 10 000 individus [1] .  Riches d’enseignements parfois paradoxaux, ils confirment de forts écarts partisans et générationnels, à un moment où la remise en question du financement de mesures liées à la transition énergétique votées en 2022 (dans le cadre de l’Inflation Reduction Act)  est un des principaux terrains d’affrontement entre la Maison Blanche et la nouvelle majorité Républicaine de la Chambre des représentants :

  • 69% des Américains se déclarent favorables à des mesures visant à l’atteinte de la neutralité carbone de l’économie du pays à horizon 2050 (l’engagement lié à l’adhésion à l’accord de Paris), avec toutefois une très forte disparité entre sympathisants Démocrates (90%) et Républicains (44%). Parmi les Républicains eux-mêmes, des différences importantes se manifestent selon l’âge : si 67% des moins de 30 ans sont favorables à des mesures visant à l’atteinte de la neutralité carbone, 64% des plus de 65 ans y sont opposés.
  • On retrouve ces clivages dans l’appréciation de la menace climatique : elle est considérée comme majeure par une forte majorité des sympathisants Démocrates (78%), mais seulement une minorité des sympathisants Républicains (23%), et au final une faible majorité pour l’ensemble de la population (54%, contre 81% en France), avec de nouveau une perception plus aiguë de la part des jeunes générations. Ces proportions n’ont pas crû au cours des cinq dernières années voire régressent légèrement, et le changement climatique  est considéré comme une priorité moindre que le renforcement de l’économie ou la réduction du coût des soins médicaux.
  • Les Américains considèrent majoritairement que ce sont les entreprises qui n’agissent pas suffisamment pour le climat (67%) plutôt que les élus (58%) ou qu’eux-mêmes en tant qu’individus (43%).
  • 67% des Américains sont favorables au soutien aux énergies renouvelables (notamment via des incitations financières et fiscales), mais seuls 31% à une sortie complète des énergies fossiles. Ultraminoritaire chez les Républicains (11%), dont les élus s’efforcent au contraire d’accélérer les délivrances de permis d’exploitation de nouveaux gisements, la préférence pour une sortie complète des énergies fossiles reste légèrement minoritaire chez les Démocrates dans leur ensemble (48%), même si elle est majoritaire chez les moins de 50 ans.

L’Energy Information Administration (EIA, l’agence fédérale chargée de la production de statistiques indépendantes sur le secteur énergétique américain) anticipe de fait dans son rapport de prospective publié en mars 2023 une relative stabilité de la production et de la consommation domestique de gaz et de pétrole jusqu’à 2050 [2]. Seule la consommation de charbon devrait baisser significativement (On peut également noter que l’EIA prévoit une baisse des émissions de CO2 américaines  “de 25 à 38%” d’ici 2030 par rapport au niveau de 2005, plutôt que les 50 à 52% annoncés par l’administration Biden au titre de la “contribution déterminée nationalement” des Etats-Unis à l’Accord de Paris).

Dans ces conditions, comment les Etats-Unis entendent-ils tenir leur engagement de neutralité carbone à horizon 2050 ? Dans l’hypothèse la plus optimiste, les “Solutions fondées sur la Nature”, pour lesquelles la Maison Blanche a adopté une feuille de route en novembre 2022 [3] permettront de compenser jusqu’à 30% des émissions. Pour le reste, il faudra compter sur le développement des capacités de captage et séquestration ou utilisation du carbone, soit à la source (Carbon Capture and Storage, CCS), soit dans l’atmosphère – cf notre article sur les investissements américains dans le Carbon Dioxide Removal (CDR), beaucoup moins mature [4]. Dans le scénario de référence de la Maison Blanche, il faudra ainsi capter 1,2 milliards de tonnes de CO2 par an en 2050 (ce scénario est sans doute optimiste : le scénario de référence de l’EIA prévoit des émissions de CO2 à hauteur de 4,7Md$ de tonnes en 2050 pour le seul secteur énergétique américain).

Le 24 avril 2023, le Department of Energy (DoE) a publié un nouveau rapport [5] sur les “voies vers le décollage commercial” (“Pathways to Commercial Liftoff”) de la “gestion du carbone”. Le rapport fait le constat que la capacité de traitement du CO2 installée aux Etats-Unis (20 millions de tonnes par an) ne représente qu’entre  1%  et 5% du besoin final. Les projets déjà lancés représentent une capacité de 140 millions de tonnes par an à horizon 2030. L’investissement supplémentaire nécessaire est estimé à 100 milliards de dollars à horizon 2030 et 600 milliards à horizon 2050 pour traiter les 1,2 milliards de tonnes de CO2 par an évoquées plus haut, en couvrant l’ensemble de la “chaîne de valeur” : captation, transport, stockage ou utilisation.

Le rapport, qui détaille les nombreuses incertitudes techniques et économiques à lever, estime au final le défi “réel mais soluble”. Vu la faible maturité des filières de valorisation  du CO2 capté (matériaux de construction, plastiques, carburants synthétiques), et en l’absence d’un marché international du carbone “cohérent et prédictible”, les crédits d’impôts, les financements publics et une volonté régulatrice forte resteront toutefois déterminants dans les décisions d’investissement des acteurs privés. 

Rédacteur: Joaquim Nassar,  Attaché pour la Science et la Technologie à l’Ambassade de France à Washington, [email protected].

[1] https://www.pewresearch.org/short-reads/2023/04/18/for-earth-day-key-facts-about-americans-views-of-climate-change-and-renewable-energy/

[2] https://www.eia.gov/outlooks/aeo/

[3] https://fscience-old.originis.fr/a-loccasion-de-la-cop27-la-maison-blanche-devoile-sa-feuille-de-route-des-solutions-fondees-sur-la-nature-pour-laction-climatique/

[4] https://fscience-old.originis.fr/les-etats-unis-investissent-dans-lelimination-directe-du-co2-atmospherique/

[5] https://www.energy.gov/lpo/articles/doe-releases-fourth-pathways-commercial-liftoff-report-carbon-management

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