La série de webinaires avait pour but de rendre systématique et intégrer l’approche One Health comme partie intégrante des stratégies de prévention, détection, préparation et réponse aux pandémies, ce qui permettrait de renforcer les systèmes nationaux de santé publique comme la sécurité sanitaire globale. Les mécanismes de collaboration, les stratégies d’implication communautaire, les opportunités éducatives, ainsi que les politiques pouvant effectivement mettre en oeuvre les capacités centrales des principes de One Health étaient aussi au coeur des présentations.
Depuis 50 ans, l’émergence des crises liées aux zoonoses s’accélère : 75 % de ces maladies infectieuses humaines sont en effet issues de réservoirs animaux en lien avec les pressions exercées sur la biodiversité
Une approche One Health, ou « Une seule santé », intégrant les interactions entre santé humaine, santé animale et santé environnementale s’impose pour anticiper de nouvelles pandémies. Les émergences de virus ou bactéries pathogènes pour l’humain se multiplient et leur récurrence semble inévitable. Il paraît donc aujourd’hui indispensable de travailler en amont de futures crises sanitaires en anticipant les risques d’émergence et en détectant de manière précoce ces maladies, de manière à réagir le plus tôt possible avant qu’elles ne se diffusent. Plusieurs études ont souligné qu’investir dans la prévention des maladies réduirait considérablement le coût de la gestion des crises.
L’approche One Health a bénéficié d’un regain d’intérêt par les gouvernements, alors que la communauté scientifique s’est largement mobilisée sur la thématique à l’heure de la pandémie de COVID-19. Dans ce cadre, sous l’égide de la France, et notamment du Ministère de l’Enseignement Supérieur de la Recherche et de l’Innovation et du Ministère de l’Europe et des Affaires Etrangères, l’initiative PREZODE – Prévenir les risques d’émergences zoonotiques et de pandémies – a été annoncée à l’occasion du One Planet Summit du 11 janvier consacré à la biodiversité. Initiée par trois instituts de recherche français – INRAE, le CIRAD et l’IRD – en concertation avec une dizaine d’autres organisations de recherche, en France, en Allemagne et aux Pays-Bas, PREZODE regroupe déjà plus d’un millier de chercheurs.
Cette initiative, qui se veut d’emblée globale, combinera projets de recherche et actions opérationnelles. Elle a été partagée en décembre 2020 avec plus de 400 participants de 50 pays des 5 continents dans l’objectif d’une co-construction très ouverte. Les organisations internationales comme l’OMS (Organisation Mondiale de la Santé), l’OIE (Organisation Mondiale de la Santé Animale), la FAO (Organisation Mondiale pour l’Alimentation et l’agriculture), le PNUE (Programme des Nations-Unies pour l’Environnement), la Banque Mondiale et la Commission Européenne ont manifesté leur vif intérêt pour cette initiative.
Une approche One Health mise à l’épreuve des gouvernements
L’appropriation des questions liées au concept One Health est progressive, mais les gouvernements font face à certaines difficultés de coordination pour intégrer l’approche dans leurs politiques nationales comme dans les initiatives globales, qui ne se limitent pas au financement de programmes dédiés.
Côté américain, le séminaire a mis en lumière les opportunités de financement de tels programmes de surveillance permises par le changement d’administration, alors que la présidence Trump avait poussé pour l’arrêt du financement du programme PREDICT, coordonné par l’Institut One Health de UC Davis. Même si le programme était censé s’arrêter fin mars 2020, le Global Health Bureau de l’agence USAID avait reçu une extension de six mois, validée par les comités d’experts des NIH (National Institutes of Health), et a annoncé sa volonté de poursuivre ses recherches en ce sens à travers un nouveau projet. Cette extension avait néanmoins été court-circuitée par la Maison Blanche, objectant que l’organisation collaborait avec l’Institut de Virologie de Wuhan. En février 2021, l’organisation EcoHealth, impliquée dans le programme PREDICT, s’est joint à l’adresse au Congrès formulée par un groupe d’organisations de santé publique et de conservation de l’environnement, par laquelle ils enjoignent les sénateurs à intégrer les aspects de prévention au Plan de Soutien COVID. La lettre réclame aussi la création d’un Fonds Global pour la Prévention des Pandémies, qui disposerait d’un premier volet d’investissement de 2,5 milliards USD.
Cette série de webinaires a été l’occasion de revoir les stratégies existantes et à développer pour améliorer les efforts de prévention, détection, préparation et réponse aux épidémies. Les experts qui y sont intervenus ont exposé les modalités d’intégration des programmes One Health dans les politiques de santé publique nationales et locales, en amont du déclenchement d’épidémies, et les ont confronté à l’approche d’action en aval. Ils ont démontré les bénéfices du développement de systèmes de surveillance croisés intégrant les santés humaine et animale, et permettant une meilleure compréhension des pathogènes transmis entre animaux et humains. Cet effort n’est pas sans difficultés, puisqu’il existe une tension entre les besoins en santé publique et l’inclinaison du secteur prévu à partager des données de santé. Par ailleurs, certaines politiques minimisent l’interconnectivité des santé animale, végétale, humaine et environnementale. Finalement, sur base des pratiques à succès déjà engagées parmi les communautés, des actions prioritaires visant à unifier les organisations ont été dégagées aux niveaux domestique et international, de façon à dépasser les obstacles identifiés lors de la pandémie actuelle.
One Health pour améliorer les capacités de prévention et de surveillance face aux maladies infectieuses
L’approche One Health semble essentielle afin de mieux appréhender les risques épidémiques, améliorer la préparation et la résilience des sociétés. Eric Goosby, Professeur de Médecine à l’Ecole de Médecine UCSF (University of California, San Francisco) et anciennement Envoyé Spécial des Nations Unies pour la Turbeculose, a abordé les aspects liés à la prévention et la surveillance des épidémies, notamment sous l’angle de la résistance antimicrobienne.
Alors que 60% des maladies infectieuses impactant l’humain émergent de pathogènes partagés avec les animaux sauvages ou domestiques, il semble effectivement central de surveiller les risques de passage de l’animal à l’homme, à différents niveaux. L’orchestration de cette surveillance doit prendre sa source au niveau local, afin de relayer des informations pouvant être exploitées à des niveaux plus globaux, bien que la crise actuelle ait révélé la fragilité des systèmes de détection globaux. Il est important de souligner que les faiblesses de ces systèmes concernent tous les pays, y compris ceux disposant en théorie des ressources nécessaires à la mise en place de mécanismes fiables et soutenables. Afin de pallier ces défauts, le Pr. Goosby recommande le développement d’incitations aux gouvernements à partager leurs données de santé. Il pointe par ailleurs le rôle du mécanisme des International Health Regulations (IHR) de l’Organisation Mondiale de la Santé, qui a actuellement un impact limité.
Au niveau local, des efforts peuvent être faits au niveau de la détection des individus, à travers les nouvelles technologies, qui permettent le traçage des contacts, et le développement des outils collaboratifs qui placent la société civile au cœur du système. Ces méthodes participatives peuvent renforcer la responsabilité individuelle et permettre l’inclusion de communautés parfois exclues des mécanismes de santé publique traditionnels. La mise en partenariats avec les institutions académiques de proximité est essentielle afin d’améliorer la fiabilité des systèmes utilisés. Si les gouvernements ne sont pas historiquement habitués à traiter directement avec leurs citoyens sur ces aspects, les précédentes crises liées à Ebola ou au HIV ont, d’après le Pr. Goosby, largement prouvé l’efficacité de l’intégration des communautés dans le diagnostic et le traitement des cas.
Kent Kester (Vice-Président et Responsable de la recherche translationnelle et des biomarqueurs chez Sanofi Pasteur) a rappelé que la pandémie de COVID-19 battait toujours son plein, tandis que le virus Ebola était en train de réapparaître. Aussi, prévenir, détecter et réagir sont de réels impératifs. Il a brièvement synthétisé les échanges selon 5 points qui lui sont apparus comme récurrents :
- Coordination : souvent sous-estimé, cet aspect crucial reste compliqué à mener à bien et fragile. K. Kester de rappeler qu’aucune discipline scientifique ne « possède » l’approche One Health, pas plus que les professionnels de la santé ou les citoyens.
- Pluridisciplinarité : élément clef de l’approche, la pluridisciplinarité doit être présente partout notamment dans l’éducation et la manière de traiter.
- Capacité : les idées évoquées doivent être mises en œuvre. Il semble nécessaire de créer une capacité à surveiller, une capacité à répondre, une capacité à prévenir.
- Innovation : souvent issue de la nécessité, l’innovation paraît particulièrement importante. Il ne faudrait pas faire le procès des idées avant de les avoir testées.
- Leadership : selon K. Kester, une organisation peut fonctionner de façon relativement autonome sans direction, mais un leadership éclairé, éduqué et dont l’attention n’est pas détournée serait souhaitable.
L’intégration du concept dans les politiques locales et les systèmes existants
Plusieurs études de cas ont alimenté la réflexion à l’occasion du webinaire. Elles ont notamment visé à analyser les programmes actuels mis en place dans le cadre de l’approche intégrée et leur participation dans la réponse aux crises de santé publique globales. Ces études ont aussi permis de montrer comment certaines de ces pratiques peuvent améliorer le modèle actuel de santé publique.
Dana Beckham, Directrice du Bureau pour la Science, la Surveillance et la Technologie au Département de Santé publique du Comté de Harris (Texas) a présenté la stratégie locale d’opérationnalisation de l’approche One Health. Son intervention a mis en relation la préparation du Département aux évènements climatiques extrêmes et l’adaptation des politiques locales face à la crise COVID-19, venant souligner les avantages de la mobilisation de ressources financières, humaines et matérielles pour les programmes de santé publique dans des situations épidémiques.
L’intervenante a aussi montré l’avantage d’une approche One Health au niveau local, par le renforcement des liens entre humains, animaux et environnement, pour une même problématique, prenant l’exemple du virus Zika ayant touché le Comté de Harris. Elle a mis en avant les avantages de programmes de sensibilisation et d’éducation de la part des gouvernements locaux vers les populations, qui faciliteraient l’expérimentation de solutions partagées et la mise en commun des ressources permettant le diagnostic et la prévention.
D’autres études de cas ont été exposées par Supaporn Wacharapluesadee, Président adjoint du Centre des Sciences de Santé en Maladies Infectieuses Emergences à l’antenne thaïlandaise de la Croix Rouge, ainsi que par Thierry Nyatanyi, Conseiller Senior à la Taskforce COVID-19 aux CDC (Centers for Disease Control and Prevention) pour l’Afrique.
Mme. Wacharapluesadee a présenté l’intérêt de l’engagement multisectoriel dans la réponse aux épidémies en Thaïlande. Elle est revenue sur le programme PREDICT, mis en place entre 2010 et 2019 en Thaïlande avec le soutien de USAID. Un des axes développés par ce programme est la détection simultanée par test PCR (Polymerase Chain Reaction) de maladies connues et inconnues. Par ailleurs, le programme a assisté la systématisation de prélèvements sérologiques chez certaines espèces de chauves-souris (Rhinolophus ferrumequinum) en Thaïlande ainsi qu’en Chine, et leur analyse par des équipes vétérinaires issues d’universités locales.
M. Nyatanyi s’est concentré sur les leçons tirées de la pandémie actuelle au Rwanda pour le renforcement des principes One Health. Il a lui aussi reconnu l’intérêt de collaborer avec des agences locales expérimentées dans la gestion de crises et d’urgences humaines. De façon plus générale, les intervenants ont tous rappelé l’intérêt de prendre en compte les différents aspects la santé humaine en tant que facteurs de risque aggravant et le rôle des gouvernements locaux dans l’éducation au concept de One Health, à travers des politiques transversales de lutte contre la pollution atmosphérique, la gestion des déchets, etc.
Les bénéfices d’une approche One Health à court terme et les obstacles à sa mise en place
Les autres volets du webinaire se sont attelées à la question de l’actualité du concept et de ses possibilités d’application dans le cadre de la crise COVID-19, ainsi qu’aux pistes d’amélioration envisageables à court terme. Le développement d’une main d’œuvre dédiée à la mise en œuvre de cette approche est envisagé à travers l’identification des décalages entre les programmes d’éducation et de formation et les besoins en emplois. Autres pistes étudiées : l’établissement de cadres de référence pour l’établissement de collaborations plurisectorielles et l’engagement de communautés. Les défis et méthodes pour l’introduction de cette idéologie dans les systèmes existants pour la surveillance épidémiologique ont aussi été discutés.
La dernière session, menée par Peter Daszak, Président de EcoHealth Alliance, se concentre sur les leçons à tirer de la crise actuelle, en vue de dégager des actions prioritaires pour les gouvernements, de faciliter les partenariats publics-privés et améliorer la résilience du secteur privé.
Rédactrice : Juliette Paemelaere, Chargée de coopération scientifique INRAE, [email protected], avec la participation de Renaud Seigneuric, Attaché pour la Science et la Technologie, [email protected]