Un changement majeur de réglementation dans le domaine de la biotechnologie va maintenant exempter certains végétaux génétiquement modifiés de contrôle gouvernemental. Cette nouvelle politique a été publiée dans le Federal Register le 18 mai 2020 (voir ici). Elle appelle aussi une approbation automatique de certaines variétés d’organismes génétiquement modifiés (OGM) afin de faciliter leur accès au marché.
La norme fait suite à un processus entamé sous l’administration Obama et poursuivi par celle du président Trump, qui avait proposé l’application de nouvelles règles en janvier 2017, avant de se rétracter 9 mois plus tard. L’été dernier, l’USDA (U.S. Department of Agriculture) a publié une nouvelle norme révisée qu’elle a soumise aux commentaires publics, dorénavant finalisée. La plupart des changements seront mis en application à partir d’avril 2021, et la totalité du texte devrait être effectif d’ici octobre 2021.
Cette nouvelle politique traduit la volonté de l’USDA, et notamment de l’APHIS (Animal and Plant Health Inspection Service), de se concentrer sur les nouveaux traits physiologiques ou phénotypiques obtenus plutôt que sur la technologie ayant permis leur création. Cette orientation reflète un changement d’approche que beaucoup de spécialistes en biologie végétale réclament depuis longtemps. Une plante génétiquement modifiée ne sera ainsi pas soumise à une règlementation si les changements sont considérés mineurs (comme par exemple la suppression d’une partie de l’ADN), ceux-ci pouvant être obtenus par des techniques d’amélioration traditionnelle. Si le produit final obtenu dans ce dernier cas peut être le même que par manipulation génétique, celle-ci peut potentiellement économiser des années d’efforts. La National Academy of Sciences a conclu à travers plusieurs rapports que le risque de transformation d’OGM en plantes indésirables est globalement faible, et que les outils moléculaires typiques ne posent généralement pas plus de nouveaux risques que les techniques traditionnelles d’amélioration génétique du végétal.
Kent Bradford, chercheur en génétique végétale à U.C Davis, a déclaré au Science Mag que “l’aspect positif principal est que [cette loi] va permettre à la manipulation génétique de progresser sur certains aspects ». En effet, la loi stipule que lorsque les chercheur.se.s utilisent la manipulation génétique afin de créer des espèces qui auraient aussi pu être le résultat de processus conventionnels, ces nouvelles espèces seront exemptées de contrôle. Tous les autres types de manipulation, comme par exemple le transfert génétique inter-espèces ou le recâblage métabolique, feront toujours l’objet d’une surveillance systématique. Le chercheur souligne que cette nouvelle norme permet une plus grande facilité d’expérimentation, mais regrette que l’exemption n’aille pas plus loin – notamment en autorisant la mobilité de gènes entre des plantes fortement similaires comme les poivrons et les tomates.
La nouvelle loi facilite aussi certaines modifications considérées comme « mineures », c’est-à-dire appliquées à un trait précis, telles que le renforcement de la résilience de certains OGM face au changement climatique. Elle supprime aussi l’obligation pour les entreprises de faire évaluer par l’APHIS le risque de commercialisation de tout nouvel OGM, dans les cas de modifications ayant déjà été réalisées et approuvées. Les entreprises peuvent néanmoins consulter l’APHIS en cas de doute sur l’éligibilité de certaines nouvelles cultures. L’APHIS a fait savoir qu’il espérait pouvoir évaluer ces risques en quelques mois pour les cultures familières, et qu’il estimait à 1% la proportion de plantes ne rentrant pas dans le régime d’exemption.
L’APHIS a manifesté sa volonté de se maintenir à niveau des évolutions scientifiques et technologiques. Les instituts de recherche, les entreprises, et autres parties prenantes, peuvent demander à l’APHIS d’étendre ses exemptions, via un processus permettant les commentaires publics. L’Americain Seed Trade Association considère qu’un processus “clair, transparent, et basé sur la science » est nécessaire pour soutenir l’innovation future. Les nouvelles règles ouvrent à priori la voie pour le développement de produits de niche, accessibles aux petites entreprises, contrairement au système traditionnel, surtout pratiqué par les groupes industriels.
Les groupes de l’agro-industrie accueillent globalement cette nouvelle avec enthousiasme, tandis que ses opposants dénoncent une réduction de la surveillance gouvernementale.
De nombreuses entreprises exportatrices du milieu agroalimentaire se sont montrées très critiques, en partie du fait que le signalement des OGM auprès de l’APHIS n’est pas obligatoire mais volontaire. Elles s’inquiètent que les industriels commercialisant de nouveaux OGM ne soient contraints par aucun contrôle, ce qui pourrait avoir des conséquences sur la résistance des adventices aux pesticides par exemple. Par ailleurs, des risques de perturbations commerciales sont anticipés. Le président de l’ONG Center for Food Safety Bill Freese, a confié au média Capital Press qu’il craignait un assouplissement des contraintes de vérification préjudiciable pour l’économie et l’environnement. D’après lui, l’impact de différents OGM est unique, même lorsque les modifications effectuées sont similaires. Aviva Glaser, directrice de la politique agricole à la National Wildlife Federation ajoute que l’USDA failli à son rôle de contrôle des impacts des OGM sur la biodiversité.
D’un autre côté, l’American Soybean Association a par exemple commenté la décision : “le nouveau processus mis en place par cette règle doit permettre de réduire les coûts de régulation et les délais nécessaires au développement de nouvelles variétés de végétaux ». D’autres organisations comme la American Farm Bureau Federation, le National Council of Farmers Cooperatives et les National Sorghum Producers ont publié des communiqués soutenant cette règlementation.
Pour plus d’informations : https://www.sciencemag.org/news/2020/05/united-states-relaxes-rules-biotech-crops
Rédactrice : Juliette Paemelaere, Chargée de mission coopération scientifique INRAE, [email protected]